Maître Stéphanie Bienfait

Maître Stéphanie Bienfait : les entrepreneurs doivent anticiper les difficultés à venir

Mandataire judiciaire à Nice, Maître Stéphanie Bienfait fait le point de la situation avec Les Petites Affiches.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les entreprises ?

Bon nombre d’entre-elles n’ont plus de chiffre d’affaires et n’ont pas la trésorerie pour faire l’avance du chômage partiel à leurs salariés. Auquel cas la Direccte examine au cas par cas pour faire une avance de salaire. Ou alors la Thémis Banque, qui est spécialisée pour les entreprises en difficulté faisant plus d’un million de CA, peut préfinancer le chômage partiel.

Justement, le chômage partiel : apparemment, les démarches sont compliquées...

Oui, c’est très compliqué d’avoir les codes. Au 31 mars, beaucoup d’entreprises n’avaient pas encore l’accord de prise en charge du chômage partiel par la Direccte. Le secteur le plus touché par le chômage partiel est celui de l’alimentaire et de la restauration, car la Direccte a refusé la prise en charge de salariés en disant que ces entreprises pouvaient continuer à travailler en faisant de la livraison. Or, certains salariés refusent pour des raisons "sanitaires". Ce refus n’ouvre pas le droit au chômage partiel.

Et pour les prêts garantis par l’état ?

Les entreprises faisant l’objet d’une procédure en sont exclues, comme celles qui sont en conciliation. Celles qui "font plan" sont l’objet d’un examen spécifique. Il y a aussi beaucoup de chefs d’entreprises qui viennent se renseigner sur le numéro vert (0800 94 25 64) pour savoir comment obtenir l’aide de 1 500 euros.

Comment vous préparez vous à l’après-crise ?

On essaie d’anticiper au maximum en conseillant les entreprises aujourd’hui. Je dis à leurs dirigeants de faire des prévisionnels pessimistes au moins jusqu’en juillet pour mettre en place les procédures adéquates - amiable, si ce n’est la sauvegarde - pour anticiper la reprise qui sera plus ou moins longue. Nous n’avons pas de visibilité sur la date de fin de déconfinement, ni d’ailleurs sur la vigueur de la reprise de consommation ensuite.

Vous prévoyez un redémarrage difficile ?

Il y aura des problèmes dans le tourisme et l’événementiel, c’est sûr, et le bâtiment souffre beaucoup lui aussi. Nous serons donc une région très touchée pour l’hôtellerie car je ne suis pas sûre que cet été les étrangers viendront passer leurs vacances en France, tout comme les Français qui n’iront peut-être pas à l’étranger. Juin sera compliqué, la saison risque d’être précaire.

Que conseillez-vous alors à ces secteurs particulièrement fragilisés ?

Il faudra envisager l’ouverture de procédures amiables pour passer les mois à venir. Les entreprises ne doivent pas hésiter à demander à leurs banques la suspension de leurs prêts, suspension quasi systématiquement accordée. Les banques accordent aussi des allongements de découvert. Je constate que tous les acteurs économiques jouent le jeu, mais cette politique économique mise en place pour passer la crise coûtera très cher à l’état.

Comment voyez-vous 2021 ?

Il ne faut pas se cacher que ce sera une année difficile pour les entreprises, car il leur faudra rembourser les échéances fiscales et sociales qui sont actuellement suspendues. Pour moi, les principales difficultés vont se manifester au dernier trimestre de 2020 et au début 2021.

Avec le confinement, pouvez-vous travailler "normalement" avec les tribunaux de commerce ?

Les ordonnances et circulaires pour la mise en place du fonctionnement des tribunaux sont parues pour partie samedi 28 et lundi 30 mars. Aujourd’hui, les tribunaux fonctionnent uniquement par voie dématérialisée parce qu’ils sont fermés et les audiences peuvent se tenir soit par voie dématérialisée sur rapport des organes de la procédure, soit par visioconférence.

Comment cela se passe t-il pour l’ouverture des procédures qui se font en principe face-à-face comme le mandat "ad hoc" ?

C’est différent selon les tribunaux. Soit c’est une demande déposée par mail, et le président prend son ordonnance d’ouverture du mandat, soit cela se fait en visioconférence. À Nice, je n’ai pas eu de cas pour l’instant, sur Antibes c’est par visioconférence et à Grasse j’ai eu une audience complètement dématérialisée.

Dématérialisée, cela signifie que chaque partie dépose ses pièces via internet ?

Oui, et le tribunal désigne un juge rapporteur pour rendre la décision, ou alors les juges statuent entre eux par visioconférence. Mais dans tous les cas, les parties ne sont pas présentes.

Pour la conciliation, la sauvegarde, le redressement et la liquidation ?

Cela fonctionne comme pour les mandats "ad hoc", toujours par visioconférence. Seules les audiences urgentes sont tenues, mais toujours de façon dématérialisée ici dans ce département.

Le greffe fonctionne normalement ?

Il peut enregistrer, délivrer des pièces ?
Oui, par dématérialisation. Chaque greffe, des tribunaux de commerce ou judiciaire, transmettent aux Mandataires et Administrateurs via des sites
dédiés sur lesquels nous déposons nos pièces.

Pour les entreprises, constatez-vous plus de souplesse dans les relations avec l’administration fiscale et l’Urssaf ?

Oui, car les entreprises qui en font la demande obtiennent une suspension automatique des prélèvements fiscaux et Urssaf. Pour les procédures amiables, des prélèvements sont reportées sans difficulté à la demande de l’Administrateur. En revanche, ce qui est plus long à mettre en place est le chômage partiel avec la Direccte.

Propos recueillis par
JM CHEVALIER.

Visuel de Une : Maître Stéphanie Bienfait DR

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