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Maître Xavier Fruton : "les avocats doivent s’emparer du numérique"

Il y a en France environ 250 legaltechs actives. Ce serait en volume le deuxième marché au monde. La "Tech" est venue bousculer les habitudes dans de nombreux domaines, qu’il s’agisse de la gestion d’affaires, de la comptabilité et la facturation, du stockage de documents et de la communication des pièces, des recherches juridiques, des règlements de litiges en ligne, etc). Le point avec Maître Xavier Fruton, avocat inscrit au Barreau de Nice, vice-président de l’UJA Nice. Il est particulièrement impliqué dans la création de l’incubateur du Barreau de Nice.

Que doivent attendre les avocats des legaltechs ?

À la fois l’automatisation des tâches et des rédactions récurrentes, mais aussi la mise en relation avec les clients et finalement de meilleures marges pour les cabinets. Grâce à cette automatisation en amont, ils vont perdre moins de temps dans leurs recherches. Les Legaltechs permettent aussi de disposer d’une jurisprudence pertinente et à jour. Il est donc de notre intérêt de bien les maîtriser car elles constituent un outil rapide et efficace. Faute de quoi, tout ce domaine risque de passer dans les mains de tiers...

Dans quels domaines est-elle la plus efficiente ?

Les avocats ne sont plus aujourd’hui les seuls "sachants" car la connaissance est accessible à tous via internet. Le rôle de l’avocat 2.0 est l’accompagnement de son client et l’aide au changement d’un état A à un état B. Je m’explique : peu importe que l’on soit en famille, en entreprise, au travail... l’avocat 2.0 devra aider la personne à surmonter sa problématique et à accepter - dans le sens positif du terme - la nouvelle situation. Il l’accompagnera en justice pour qu’elle obtienne ses droits et gain de cause.

Mais l’avocat reste indispensable ?

Oui, il sera le grand chef d’orchestre de toutes les legaltechs à sa disposition, en choisissant de privilégier tel ou tel autre module en fonction de la situation. Nous sommes déjà des avocats 2.0. en proposant autre chose que la justice : des modes alternatifs de règlements des litiges, des conciliations, du droit collaboratif, des procédures participatives, l’arbitrage, la médiation, etc. Demain, si l’avocat se limite au contentieux, il va perdre du champ de travail, car à l’avenir le contentieux deviendra résiduel.

Les jeunes avocats n’ont plus le choix...

Demain, un client sera t-il d’accord pour qu’une heure de recherche lui soit facturée alors qu’en 5 minutes un logiciel permettra d’avoir à la fois le panel, la marge d’erreur ? Le client voit aussi dans son propre métier ce que le numérique lui apporte. Il ne comprendrait pas que l’avocat de demain ne lui propose pas cette même efficacité.

Les cabinets du Barreau en sont déjà utilisateurs ?

Dans l’ensemble, pas vraiment. C’est pourquoi le Barreau de Nice a mis en place un incubateur. Il a pris un peu de retard avec la Covid, mais les Bâtonniers Troin et Le Donne ont pris des dispositions pour qu’à la rentrée il soit en mesure de faire des formations numériques.

Par où commencer ?

Pour un avocat, avoir aujourd’hui une adresse en Gmail n’est, à mon avis, pas conforme à la fois au RGPD et à notre serment. Gmail "siphonne" et analyse les courriels pour de la publicité ciblée. Quelle sécurité, quelle confidentialité assurons-nous alors à notre client ? Aucune ! Il y a pourtant des solutions qui ne coûtent pas cher, une cinquantaine d’euros par an. Pour commencer, il suffit de vérifier que l’hébergeur se trouve bien en Europe où s’applique le RGPD. Le CNB met aussi en place un outil qui est inclus dans notre cotisation annuelle. Si l’on commence ne serait-ce que par là, si l’on vérifie que le site internet est conforme, ce sera déjà une belle avancée.

Concrètement, à la rentrée ?

Nous allons mettre en place une série de formations pour apprendre aux avocats, petit à petit, comment utiliser les nouveaux outils. Il y aura par exemple "Les mardis du numérique" en partenariat avec l’incubateur, l’UJA et le CNB pour maîtriser ces facilitateurs de tâches. Et nous lancerons aussi le E-barreau.

Le E-barreau ?

Il comprend tout ce qui est communication entre les avocats et les tribunaux judiciaires. En septembre, nous assisterons au lancement d’une nouvelle version du RPVA, plus intuitive que la précédente. Beaucoup de confrères devront s’approprier ce nouvel outil. Il faut accompagner les avocats pour les rassurer et leur montrer l’utilité de ce RPVA V2, qui est "obligatoire". Ces actions de formation sont aussi valables pour les logiciels de gestion de
cabinet. Ils permettent un gain de temps puisqu’ils centralisent tout au même endroit - la fiche client, du dossier, des audiences. C’est efficace et cela permet de gagner du temps.

Y a-t-il des résistances ?

Je sais que c’est compliqué pour les confrères. Mais à force de ralentir, la profession pourrait louper le train. De grands cabinets ont déjà réussi à s’approprier l’usage du numérique. Si l’on ne bouge pas, on arrivera à la situation d’avocats à deux vitesses.

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