Netflix agite l'exception

Netflix agite l’exception culturelle française

Après des mois d’attente, le service de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) américain Netflix est arrivé en France et a gagné ses 100.000 premiers abonnés en 15 jours. Rarement, l’apparition d’un service du genre avait été aussi médiatisée, cette sortie matérialisant un tournant dans l’audiovisuel français. Les raisons de l’engouement sont multiples : coûts d’abonnement compétitifs par rapport aux services concurrents français (Canal Play, Orange VOD), interface très simple et conviviale selon un système de recommandations utilisant un algorithme très poussé, aucune formalité ni lourdeur d’abonnement ou désabonnement. Habitué aux horaires de diffusion fixes, le public dispose désormais d’une offre légale suffisante pour approfondir cette nouvelle manière de regarder la télévision, non linéaire et à sa guise, si populaire à l’étranger.

Peu après l’arrivée de Netflix, le discours des professionnels commence déjà à changer.

D’abord perçu comme une menace par les concurrents français, Netflix fait aussi naître l’espoir de nouveaux modes de financement et canaux de diffusion alternatifs pour le monde entier. Dans le cadre des 65èmes « Primetime Emmy Awards » en 2013, Netflix avait été nominé neuf fois, pour sa production d’une série télévisée pour le Web, la célèbre série « House of Cards ». Force est de constater que Netflix, financier de la série avec Kevin Spacey, a laissé aux auteurs et interprètes davantage de liberté créative que le cadre de diffusion des chaînes traditionnelles.

Pourquoi l’offre de Netflix se limite-t-elle à des films hollywoodiens et quelques films français en minorité, des dessins animés, et des séries télés (y compris originales) ?

Le modèle Netflix se heurte en France à une spécificité nationale unique : la règle de la chronologie des médias.

Pour organiser l’exploitation des films et leur financement, la loi française impose à un film cinématographique sorti en salle de cinéma, de ne pouvoir être diffusé par un SVOD qu’après un délai 36 mois après sa sortie en salle. (Les autres pays européens au contraire suivent aussi une chronologie mais qui résulte des clauses des contrats négociés avec les producteurs au cas par cas). Par conséquent, à supposer que le service puisse en acquérir les droits, Netflix ne peut pas diffuser de films récents – et doit donc jouer sur d’autres attraits.

Les œuvres créées pour la télévision ne sont en effet pas soumises à ce type de contraintes et il est parfaitement possible de proposer un contenu récent (français ou étranger) quelques heures après sa première diffusion, comme le font les différents concurrents. Et il faut savoir qu’aujourd’hui en France, Netflix prévoit de produire une série télé française, « Marseille », et recherche aussi des accords de rémunération des auteurs, notamment avec la SACD.

D’autres mécanismes législatifs et règlementaires relatifs au financement et à la distribution des œuvres audiovisuelles vont influencer Netflix, notamment tout le système d’aides, soutiens, et « subventions » lié à l’exception culturelle.

Pour l’instant, les services de médias à la demande (SMAD) participent au financement du cinéma français et européen sous certaines conditions, en payant une taxe. Que se passerait-il si Netflix ne se contentait pas d’injecter de l’argent directement dans des productions, mais commençait à cotiser et payer certaines taxes et contributions aux fonds qui soutiennent l’écosystème de la production ? Est-ce qu’un changement d’organisation ne conduirait pas Netflix à donner plus mais peut être alors à demander plus ?

Un frein serait aussi imposé à Netflix par le système français de subventions, qui exige que l’entreprise bénéficiaire ne soit pas contrôlée par des actionnaires majoritaires non européens.

Aux Etats-Unis, The Weinstein Company a négocié avec Netflix la sortie prochaine en simultané en VOD et au cinéma de la suite de Tigre et Dragon. Les deux entreprises américaines entendent prouver aux circuits de distributions traditionnels du cinéma que la chronologie des médias va évoluer et que le moule va changer.

En définitive, il est urgent que la France montre sa capacité à faire face aux défis mondiaux en renforçant les financements, la diversité, l’offre concurrentielle respectueuse de l’auteur et des consommateurs, pour rester un des grands acteurs du marché global de l’audiovisuel. L’engouement pour cette nouvelle forme de télévision incarnée par l’arrivée de Netflix (qui n’est encore accessible que sur le net mais sera visible un jour ou l’autre à travers les opérateurs de télévision) révèle que le streaming illégal sur l’Internet a appelé une réaction sous forme d’offre légale adaptée.

Il faut donc souhaiter à Netflix et à ses concurrents de proposer dans l’avenir une offre légale respectueuse du droit d’auteur, et un service répondant toujours plus aux exigences du marché, afin de faire entrer la VOD dans les modes de diffusion traditionnels.

Anne Marie Pecoraro,
Avocat au Barreau de Paris

http://www.aklea.fr/

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