Professions réglementées

Professions réglementées : le député Ferrand infléchit la position du ministre Macron

Ecartant toute « stigmatisation », un rapport parlementaire confirme la réforme des professions réglementées. Christiane Taubira, qui exerce l’autorité de tutelle sur certaines d’entre elles, cherche à peser dans le débat.

La réunion se tient dans un joli salon parqueté, orné des dorures et lustres lourdement suspendus qui caractérisent les bâtiments publics de la République française. Plusieurs rangées de chaises sont séparées par le milieu, comme dans une église ou une salle des mariages. A droite, ont pris place des femmes et des hommes d’âges divers, en veste, tailleur ou jeans, un carnet de notes sur les genoux.

A gauche, se tiennent exclusivement des hommes, vêtus d’un strict costume foncé, l’air soucieux et les bras croisés sur l’abdomen. Les uns sont journalistes, les autres représentent ces professions réglementées que le gouvernement espère « moderniser ».
Sur le devant, face aux journalistes, ont pris place Christiane Taubira, car nous sommes au premier étage de l’hôtel particulier qui abrite le ministère de la Justice, et Richard Ferrand, député socialiste du Finistère, auteur d’un rapport express commandé par le Premier ministre sur l’avenir de ces professions.

Si la configuration est curieuse, ce n’est pas seulement à cause de la disposition des uns et des autres, mais aussi parce que, au moment où se tient cette réunion, tous les protagonistes ont déjà lu le rapport du parlementaire.
Et pour cause : Richard Ferrand l’a remis en mains propres au ministre de l’Economie, la veille. « Oui, le procédé est inhabituel », répond Christiane Taubira quand on l’interroge sur cette double cérémonie. « Mais une réforme d’envergure qui touche plusieurs professions, c’est inhabituel aussi  », ajoute-t-elle.

La réforme des professions réglementées constitue l’un des volets de la « loi pour l’activité » préparée par les services d’Emmanuel Macron, à Bercy.

Mais pour Christiane Taubira, le cadre de l’exercice des notaires, administrateurs et mandataires judiciaires ou commissaires-priseurs judiciaires, relève de la Chancellerie. Pas question, pour elle, de laisser le débat s’installer à Bercy. Vingt-deux des 28 mesures contenues dans le rapport Ferrand concernent d’ailleurs les professions du droit. « J’ai tenu à cette présentation », confirme la ministre, excellente avocate de ces professionnels « qui ne sont pas dans l’immobilisme » et avec lesquels ont été nouées « depuis deux ans et demi, des relations de confiance ». Richard Ferrand, en revanche, qui se soumet sans rechigner à cette double cérémonie en moins de 24 heures, se montre moins convaincu : « Il n’est pas incongru, pas illogique, que l’ensemble des ministres soient destinataires », dit-il sobrement.

« Sédimentation » et « opacité »

Le rapport du député, pensé et rédigé en moins d’un mois, complète et infléchit le document consigné en 2013 par l’Inspection générale des finances, et dont les premiers éléments avaient commencé à « fuiter » à la fin de l’été. Richard Ferrand, qui n’avait jusqu’alors pas présenté d’appétence particulière pour le sujet, hormis sa licence de droit, a voulu « une concertation à la loyale » avec les praticiens. Les sept professions du droit concernées pèsent, souligne-t-il, « 1,6% du PIB et 20 000 salariés ». S’il veut en finir avec ce qu’il appelle « la stigmatisation » des professions réglementées, le parlementaire breton souhaite néanmoins les « revivifier, leur donner une seconde jeunesse ».

Les mesures préconisées suivent la même direction que les pistes de réflexion jusqu’ici avancées par Bercy. Mais sans aller aussi loin. Richard Ferrand constate, comme d’autres avant lui, « la sédimentation » des tâches confiées par les pouvoirs publics aux professionnels, ce qui entraîne une « opacité » de leur activité. En outre, « la capacité d’innovation est bridée pas des règles de détention du capital complexes ». Pour cette raison, le rapport prône l’ouverture du capital des sociétés professionnelles, mais limite cette évolution aux seules professions du droit et aux experts-comptables. Le député du Finistère se montre par ailleurs très choqué par « le droit de présentation » d’un praticien en faveur de son successeur, qui favorise une transmission « plus dynastique que républicaine » des officines. Il propose de mettre fin à cette pratique.

La réglementation des tarifs forme une part essentielle du rapport.

« Aujourd’hui, il y a un problème de lisibilité par le public, les professionnels en conviennent », indique le député. Les tarifs devront être plus transparents, correspondre davantage aux services rendus, soumis à l’approbation de l’Autorité de la concurrence et régulièrement actualisés. Le tarif de postulation des avocats, aujourd’hui fixé par décret, serait librement négocié entre un praticien et son client. Le rapport récuse en revanche la nécessité de créer un statut d’avocat en entreprise.

Le rapport se prononce sur le sujet brûlant du nombre de praticiens. « Il faut créer un nombre significatif de notaires et d’huissiers de justice », estime l’élu, sans toutefois se risquer à avancer un chiffre. En outre, les notaires seraient désormais seuls habilités à recevoir les actes notariés, alors qu’aujourd’hui l’exercice peut être effectué par un clerc.

Huissier de justice et « nouveau pauvre »

Si les représentants des professions, sagement assis dans le salon du ministère, apprécient la cordialité des relations naissantes avec le député, leur inquiétude demeure bien réelle. Certains d’entre eux profitent de la réunion pour le faire savoir. « Je ne me sens pas concerné par le sort des sages-femmes, des pharmaciens et des masseurs-kinésithérapeutes », lâche Jean-Marie Burguburu, président du Conseil national des barreaux (CNB), presque vexé de voir les avocats touchés par le même texte que des professions médicales. Le représentant des robes noires se réjouit de l’abandon du projet d’avocat en entreprise mais s’inquiète de la libéralisation du tarif de la postulation qui pourrait amener les pouvoirs publics, selon lui, à « toucher à la carte judiciaire ».
Un représentant de la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ) intervient alors pour signaler « des mouvements dans les départements », suite à la publication du rapport Ferrand. Et de s’inquiéter : « je ne voudrais pas que dans la profession d’huissier de justice, on crée de nouveaux pauvres ».

Lorsque la réunion se termine, les représentants des professions se retrouvent tous autour de Christiane Taubira. L’un après l’autre, avec une déférence empesée, ils adressent chacun un mot à la ministre, qui écoute les doléances avec attention. Mais la réforme se décide ailleurs, dans les bureaux du ministre de l’Economie.

Par Olivier Razemon
Photo de Une : ©Beneluxpix/Maxppp

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