Réforme des professions

Réforme des professions réglementées : le notariat allume des contre-feux

A peine élu, le nouveau président du Conseil supérieur du notariat, Pierre-Luc Vogel, entame les discussions avec le ministère de l’Economie au sujet du statut de la profession. Plus question de « s’arc-bouter contre la réforme ». L’heure est aux négociations.

« Je suis un notaire de province, un notaire de région ».
Pierre-Luc Vogel, qui étrenne ses fonctions de président du Conseil Supérieur du Notariat (CSN) sait l’image qu’il donne, toute en rondeur et en bonhommie. Exerçant à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) avec trois associés et quinze collaborateurs, le nouveau représentant de la profession est « marié et père de trois enfants », une information qui semble avoir une certaine importance puisque la biographie de l’impétrant remise aux journalistes en fait état.

Le président du CSN, assisté d’un bureau de six notaires, dont une femme, va consacrer le début de son mandat de deux ans « à la gestion de la réforme des professions réglementées ».

Le notariat se positionnait jusqu’à présent vent debout contre la loi visant à « libérer les énergies et les activités », selon les termes du ministre de l’Economie, Emmanuel Macron. Une manifestation remarquablement organisée avait réuni, le 17 septembre, de 12 000 à 18 000 personnes (respectivement selon la police et le CSN) pour dénoncer le projet, héritage du bref passage d’Arnaud Montebourg à Bercy. La salle dévolue aux rencontres avec la presse, au rez-de-chaussée de l’hôtel particulier détenu par le CSN dans le 7ème arrondissement de Paris, demeure imprégnée de ce combat. Sur les murs s’affichent des images en grand format de cette manifestation. Mais depuis, la position du notariat s’est adoucie. Courtois et mesuré, Pierre-Luc Vogel ne demande pas au gouvernement de renoncer à son texte. « Nous ne sommes pas du tout arc-boutés contre la réforme », lâche le représentant de la profession.

Concessions et ligne rouge

Le notariat est, en fait, entré dans la phase de négociation. « Deux points ont été traités », estime le CSN. Autrement dit, des concessions ont été obtenues : le périmètre d’activité des professions réglementées, qui ne sera pas modifié, et l’ouverture du capital des études, qui restera limitée aux professions du droit. La discussion demeure en revanche vive sur deux autres points, à commencer par la liberté d’installation, à laquelle tient Bercy mais qui constitue pour la profession « une ligne rouge ».
La liberté totale de choisir le lieu de son office porterait atteinte au « maillage territorial », dont le notariat s’érige en défenseur. Pourtant, comme on ne se prive pas de le faire remarquer au ministère, la carte des offices ne coïncide plus vraiment avec la démographie. Les petites villes et les bourgades sont bien dotées, tandis que les métropoles et surtout les banlieues populaires demeurent sous-équipées. Le notariat bat sa coulpe : « les promesses de créations d’office n’ont pas été tenues », reconnaît Pierre-Luc Vogel, qui se souvient du slogan « 10 000 notaires en l’an 2000 », alors que le nombre de praticiens ne dépasse toujours pas, en 2014, 9 600. Pour répondre aux sollicitations de Bercy, la profession se montre « favorable à la création de 300 offices et à l’accueil d’un millier de nouveaux notaires dans les offices existants ». Seuls 17 bureaux ont été créés l’an dernier, ce qui ne favorise pas l’installation des jeunes praticiens, contraints de demeurer une partie de leur carrière sous la coupe d’un senior. Pour favoriser cet engagement, le CSN se prononce pour une « simplification des procédures de nomination ».

La deuxième bataille du notariat porte sur le tarif de ses prestations. Le 22 octobre, le ministre s’est prononcé, lors d’une audition parlementaire, pour un « corridor tarifaire », qui laisserait les praticiens fixer leurs honoraires, notamment les frais d’acquisition des biens immobiliers, entre un plafond et un plancher. Même si « aucune concertation n’a encore été commencée » sur le sujet, Pierre-Luc Vogel admet que la profession pourrait s’accommoder d’« un taux dégressif à partir d’un certain montant ». Aujourd’hui, les honoraires sont fixés à 0,825% du prix de vente. Mais, comme on le remarque immédiatement, un taux dégressif profiterait aux acheteurs des biens les plus chers, et pas nécessairement à ceux auxquels Bercy veut « rendre du pouvoir d’achat ». Le CSN propose dès lors de « renforcer la péréquation ».

Ces aménagements ne régleront sans doute pas la question des « frais de notaires », comme les appellent, dans leur grande majorité, les acquéreurs. Les praticiens, qui ne touchent en réalité qu’une petite partie de ces sommes, plaident pour « une meilleure transparence » même si, en pratique, la ventilation des diverses taxes est déjà remise aux acquéreurs de biens lors de la transaction. Matois, Pierre-Luc Vogel remarque que « si le ministère veut redonner du pouvoir d’achat, il peut faire des efforts. Le taux des taxes a augmenté de 0,7% depuis le début de l’année ».

Les notaires, enfin, n’envisagent pas une seconde de voir leur activité soumise à une autre autorité que celle du garde des Sceaux. « Nous tenons à la tutelle de la chancellerie, et c’est un engagement réciproque », assure le président du CSN. Les excellentes relations entre la profession et le ministère de la Justice, où l’on s’inspire volontiers des recommandations du notariat, ne sont plus à démontrer.

« Etats-généraux » du notariat

Ce lien privilégié, qui a servi de nombreuses fois dans le passé, pourrait toutefois ne plus suffire. C’est en effet Bercy, et non la place Vendôme, qui pilote le projet de loi sur la libération de l’activité. Comme ses prédécesseurs, Pierre-Luc Vogel espère mettre à profit son mandat pour « sortir le notariat des attaques à répétition » dont il fait, selon lui, l’objet. Et de rappeler les campagnes livrées – et souvent gagnées – par la profession ces dernières années : « le rapport Attali, le rapport Darrois, la directive services ». Dans tous ces cas, des autorités économiques, politiques ou juridiques, à Paris ou à Bruxelles, ont considéré le statut très protégé du notaire français comme un frein à l’activité économique. A chaque fois, le notariat a su faire valoir sa spécificité et a sauvé l’essentiel de ses prérogatives.

Pour réfléchir à l’avenir de la profession, le CSN organise en novembre des « Etats-généraux du notariat » consistant à une dizaine de rencontres, dans toute la France, avec les praticiens.
Ces réunions fourniront aussi aux sommités de la profession de rencontrer, dans leur circonscription, « des parlementaires, pour les sensibiliser aux enjeux de la réforme ». Car rien ne vaut le bon vieux lobby feutré lorsqu’on cherche à défendre ses intérêts.

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