Rencontre avec Maître (...)

Rencontre avec Maître Jonathan TURRILLO, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats au Barreau de Grasse

Le Barreau de Grasse marque son
opposition au décret n° 2012-441
du 3 avril 2012 relatif aux conditions
particulières d’accès à la profession
d’Avocat. Monsieur le Bâtonnier,
Maître Jonathan Turrillo, explique le
positionnement de l’Ordre des avocats
au Barreau de Grasse sur le
sujet. Il s’exprime également dans
cet entretien sur les thèmes de l’Acte
d’Avocat et sur la place des avocats
en entreprise.

Le décret n° 2012-441 du 3 avril
2012 relatif aux conditions particulières
d’accès à la profession d’Avocat,
ajoute l’article suivant au décret
du 27 novembre 1971 organisant la
profession d’Avocat : « Les personnes
justifiant de huit ans au moins d’exercice
de responsabilités publiques les
faisant directement participer à l’élaboration
de la loi sont dispensées de
la formation théorique et pratique et
du certificat d’aptitude à la profession
d’Avocat. »

Quel est le positionnement de l’Ordre
des avocats au Barreau de Grasse
sur le sujet ?

Me Turrillo : Ce décret crée un nouvel
article sur la loi d’accès à la profession
d’avocat, qui prévoyait par
le passé d’autres passerelles, permettant
à des professions du droit
d’accéder à la profession d’avocat.
Il existait des passerelles concernant
les huissiers, les magistrats, les avocats
au Conseil d’Etat et plus généralement,
pour toute profession de
praticien du droit.
Ce décret du 3 avril 2012 ouvre la
profession d’avocat : le texte de la
loi est assez indéfini, puisqu’il prévoit
de dispenser de formation pratique
et théorique – cela signifie qu’aucun
examen n’est prévu non plus – toute
personne ayant contribué directement
ou indirectement à l’élaboration de la
loi pendant huit années : clairement,
il s’agit d’ouvrir la profession d’avocat
à des députés, des sénateurs, des
ministres, des attachés parlementaires,
etc. La confusion du texte permet
aux politiques au sens le plus large
du terme de devenir avocat.
Au-delà de la réaction corporatiste,
qui veut que l’on soit scandalisé que
notre profession soit ainsi ouverte,
cela marque surtout du point de vue
du justiciable l’absence de garanties,
ne serait-ce que sur les compétences
techniques et théoriques.
Le fait d’avoir contribué de manière
directe ou indirecte à la loi, n’engendre
pas la connaissance des règles
déontologiques qui font la profession
d’avocat et la garantie pour le justiciable
d’être correctement défendu.

Or, ce décret est très précis sur l’absence
de formation.
Derrière tout cela, nous mesurons à
quel point l’ancienne mandature a
préparé, selon moi, la règle du non
cumul. La nouvelle mandature politique
investie le 6 mai dernier, avait
dans ses projets l’absence de cumul
des mandats. Cette mesure offre
un « recyclage » dans le privé de
personnel politique, au mépris me
semble-t-il des règles de confl its d’intérêts,
qui veulent qu’il y ait une séparation
entre un mandat politique
et la sphère privée.
En quelque sorte, ce texte offre aux
hommes politiques, la possibilité de
rentabiliser le carnet d’adresses qu’ils
ont constitué pendant leur mandat ou
leur exercice ministériel, et ainsi de
le rentabiliser dans le privé. Cela engendre,
me semble-t-il, une absence
de garantie pour le justiciable et l’atteinte
à l’un des principes fondamentaux
de notre République.

Ce décret est applicable depuis le 5
avril 2012. Quel recours est mis en
place et que peut-on prévoir ?

Me Turrillo : Le Conseil National des
Barreaux a saisi le Conseil d’Etat en
recours contre ce décret. Le Barreau
de Grasse s’associe à ce recours.
Nous pouvons prévoir par exemple,
qu’un ancien ministre qui pourra devenir
avocat, recrutera certainement
quelques jeunes collaborateurs pour
assurer le suivi des dossiers et fonctionnera
en rentabilisant le carnet
d’adresse qu’il s’est constitué.

Sur cette actualité comme plus généralement,
la communication est un
axe primordial de votre mandat de
Bâtonnier ?

Me Turrillo : En effet. Sur ce sujet, j’ai
été mandaté à la suite d’une délibération
du Conseil de l’Ordre, mais je
réagirai régulièrement à l’actualité.

La semaine dernière est parue dans
nos pages une interview de Madame
le Bâtonnier au Barreau de Nice, Maître
Mouchan. Elle s’est exprimée sur
les sujets de l’Acte d’Avocat et sur la
place de l’avocat en entreprise. Quelle
est votre position sur ces sujets ?

Me Turrillo : L’Acte d’Avocat est un enjeu
intéressant, le Barreau de Grasse
s’y est investi très rapidement. L’Acte
contresigné par avocat constitue une
garantie pour nos clients, de la qualité
du conseil et de la rédaction des
actes qui nous sont confi és. Au niveau
national, la profession travaille sur un
archivage qui constituera une garantie
supplémentaire pour nos clients.
Dorénavant, comme il existe un Minutier
pour les actes notariés, il existera
un registre national des actes contresignés
par avocat. […] L’Acte d’Avocat
permet d’éviter des litiges nés d’une
confusion, d’une mauvaise rédaction.
C’est un moyen pour le justiciable
d’éviter le recours à la Justice.
Sur le sujet de l’avocat en entreprise,
c’est le lien de subordination qui est
dangereux. L’avocat salarié en entreprise
est pour nous inconcevable,
précisément car ce qui fait la qualité
de notre intervention dans l’entreprise,
c’est notre indépendance à
l’égard de nos clients. Nous sommes
des intervenants privilégiés dans l’entreprise,
puisque nous intervenons
sur le conseil en termes de droit des
affaires en général, sur les baux commerciaux,
le droit social et fi scal, etc.
Nous avons évidemment notre place
dans l’entreprise, mais en tant qu’interlocuteur
indépendant. Ce qui fait
la valeur de notre intervention dans
l’entreprise, et qui est d’ailleurs utilisé
dans notre exercice professionnel,
c’est le secret. Grâce au secret
professionnel, nous pouvons mener
des négociations en garantissant à
nos clients le respect de ce secret. Il
est plus commode d’entamer des négociations
avec un partenaire, si l’on
sait que le courrier échangé entre
avocats pour les besoins de l’entreprise
est couvert par le secret professionnel.

Votre conclusion

Me Turrillo : La déontologie à l’égard
de nos clients est une garantie première.
C’est la garantie du respect
du justiciable, de la disponibilité,
de l’écoute et surtout du respect des
droits fondamentaux de nos clients.

Visuel : © DR

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