Rencontre avec Mme (...)

Rencontre avec Mme Karsenty, Présidente du Tribunal de Grande Instance de Nice

La Présidente du Tribunal de Grande Instance de Nice, Mme Dominique Karsenty, a accordé un entretien à notre journal pour développer les sujets abordés lors de son discours de rentrée solennelle du 23 janvier. Retrouvez également une interview vidéo, en complément de cet article.


Réforme de la garde à vue entrée en vigueur en 2011 : principales avancées
Les principales avancées concernent le droit des personnes. […] La garde à vue doit répondre à certains objectifs limitativement énumérés par la loi : permettre l’exécution d’investigations, garantir la présentation de la personne, empêcher que la personne ne modifie les preuves, qu’elle ne fasse pression, qu’elle ne se concerte avec d’autres personnes et garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit, que la personne est suspectée d’avoir commis. Il y a un encadrement beaucoup plus fort, le renforcement de la protection juridictionnelle, le principe de notification à l’intéressé de son droit au silence et la possibilité pour l’avocat d’assister aux interrogatoires et auditions.

Le point sur la réforme des soins psychiatriques
La réforme des soins psychiatriques est en 2011 la 2e réforme emblématique en matière de protection des droits et du rôle majeur que tient le juge sur la garantie des libertés individuelles. […] C’est sous la pression du conseil constitutionnel que nous avons été amenés à mettre en œuvre la loi votée par le législateur. Elle est entrée en application le 1er août 2011. Le Conseil constitutionnel a estimé qu’il n’était pas concevable sur le plan des libertés publiques, qu’une personne fasse l’objet d’une hospitalisation d’office ou une hospitalisation à la demande d’un tiers, et ne passe pas systématiquement devant un juge pour en vérifier la nécessité et en contrôler le bien-fondé au-delà d’une durée de 15 jours. C’est un contrôle juridictionnel renforcé, indépendamment de toute contestation. […] Le juge des libertés tient audience. Au niveau du TGI de Nice, c’est une activité très forte. Au niveau de la Cour d’appel, nous faisons partie des ressorts les plus concernés par cette réforme, nous tenons 4 audiences par matinée, concernant uniquement ce contrôle.

Le travail du juge autour des tutelles
Il est important de mieux faire connaître le travail du juge autour de la protection des personnes particulièrement vulnérables. C’est moins emblématique que d’autres aspects de l’activité du juge parfois plus spectaculaires : c’est là notamment que le juge a une dimension qui ne se mesure pas toujours au travers de chiffres ou d’affaires : une dimension juridique et humaine au quotidien. […] Sur le ressort de notre arrondissement judiciaire, la moyenne d’âge de la population est un peu plus élevée qu’au national (800 000 majeurs protégés au niveau national et un peu moins de 8 000 pour nous). […] Le juge des tutelles va être appelé à donner des autorisations pour des actes très importants. Il intervient à des moments-clés. En outre, les mesures doivent être révisées dans un délai maximum de 5 ans pour vérifier qu’elles restent d’actualité. […] C’est un travail auquel il faut rendre hommage. Pour une personne majeure qui se retrouve dans une telle situation, il est important d’avoir toute l’approche humaine de l’intéressé. La loi de 2007 pose comme principe que l’on doit autant que possible rechercher l’adhésion de la personne, y compris pour le choix du tuteur. […] Sur l’arrondissement, nous avons un juge des tutelles au Tribunal d’Instance de Menton et 2 au Tribunal d’Instance de Nice dont actuellement 1 qui est placé par Madame la Première Présidente de la Cour d’appel.

Transversalité entre les différents services de l’institution judiciaire
De manière générale, on voit évoluer la fonction du juge. On ne peut plus aujourd’hui arrêter son regard au fait de simplement trancher des décisions. Ce qui est important, c’est la manière dont elles sont mises en œuvre. Cela signifie regarder la justice dans sa continuité et non pas dans une succession de décisions, même si les décisions elles-mêmes ou le devenir ne sont pas entre les mains d’un seul service, d’un seul juge. […] On n’est plus dans des compétences verticales et finalement un peu étanches, mais sur des dispositifs plus complexes, transversaux où il faut rechercher des passerelles. C’est en ce sens que la mission du juge se modifie profondément sous la poussée des droits fondamentaux, mais aussi sous l’angle de la modélisation de l’action judiciaire.

Le rôle du juge : équilibre entre distance et proximité face au justiciable
Nous sommes amenés à rendre des comptes sur la façon dont nos ressources et celles de l’Etat sont employées dans ce tribunal. Cela permet de mesurer l’évolution de notre activité. Mais il y a un pan fondamental de l’activité du juge, qui ne pourra jamais être évalué à l’aune d’un instrument de mesure, qui est celui du temps, non pas qu’il perd, mais qu’il prend. […] Il y a un temps nécessaire de l’approche de l’autre. […] Ce ne sont pas des techniques mais l’humanité du juge qui est en jeu. C’est la relation singulière du justiciable avec le juge. Quelque chose qui peut aussi réparer. En ce sens, le juge contribue à la cohésion sociale.

Perspectives 2012
Nous démarrons l’année 2012 avec un effectif de magistrats du siège au complet, grâce à des délégations faites par la Première Présidente de la Cour d’appel, sous réserve de la création d’un poste que le Tribunal de Grande Instance sollicite pour la mise en œuvre de la loi sur l’hospitalisation sous contrainte. On est dans une situation plus confortable que l’an dernier du point de vue des effectifs de juges. Quant aux greffiers et aux fonctionnaires, la situation est difficile du point de vue de l’évolution des effectifs, qui entre 2007 et 2011 est passée de 129 à 117. C’est là où la juridiction est en situation plus fragile pour mener ce train de réformes : il faut stabiliser ce qui a été fait en 2011 compte-tenu des réformes importantes et travailler sur cette transversalité et cette cohérence continue de l’action judiciaire. Nous avons des chantiers importants. L’ensemble de ces chantiers me semble relever de ce que j’appellerai une justice attractive : au-delà du fait de trancher des litiges comme autant de décisions agrégées les unes aux autres, il s’agit de travailler dans la cohérence, la continuité de l’action judiciaire, l’humanité et un esprit d’attention à l’autre dans le cadre de nos fonctions.

deconnecte