Responsabilité d'une (...)

Responsabilité d’une collectivité en cas d’inondation d’une villa réalisée selon un mode constructif médiocre

Dans un important arrêt [1], le Conseil d’Etat vient de juger qu’une
collectivité publique ne pouvait pas, en cas d’inondation d’une villa
provoquée par une canalisation publique fuyarde, s’exonérer d’une
partie de sa responsabilité en invoquant le fait que la villa inondée
présentait un « mode constructif médiocre ». Cette solution, juridiquement
fondée, constitue une mauvaise nouvelle pour les collectivités
qui utilisent souvent ce moyen de défense pour minimiser leur responsabilité
dans l’indemnisation des riverains inondés par une rupture de
canalisation publique.

Les faits de l’espèce sont classiques. A la suite de fuites présentes sur
une canalisation de distribution d’eau potable relevant de la compétence
de la Communauté Urbaine de Marseille, la maison d’habitation
du requérant a subi des inondations successives en 2004 et en
2005. Ces fuites ont engendré des désordres dans les murs, le portail
électrique et le sous-sol de la villa du requérant. Bénéficiant du statut
de tiers par rapport à la canalisation publique fuyarde, le requérant
a donc logiquement engagé la responsabilité sans faute de la Communauté
Urbaine de Marseille afin d’obtenir l’indemnisation du coût
de réparation des désordres.

Un expert judiciaire a, alors, été désigné pour déterminer les causes
des désordres apparus dans la villa du requérant. L’expert judiciaire a
considéré que la cause première des désordres affectant l’habitation
des requérants réside dans le « mode constructif médiocre de la villa
ainsi que dans sa situation sur le versant Est d’un coteau entraînant
une humidité naturelle ». L’expert judiciaire a, également, considéré
que la cause première des désordres résidait dans la « vulnérabilité de
la villa au ruissellement dû aux pluies ». L’Expert judiciaire a, dès lors,
conclu son rapport en affirmant que les inondations découlant des
fuites affectant le réseau de distribution d’eau potable ne constituent
qu’un facteur aggravant des désordres, mais non sa cause première.

Forte des conclusions de cette expertise judiciaire, la Communauté
Urbaine de Marseille a logiquement soutenu, devant le tribunal, que
sa responsabilité devait être minimisée puisque les désordres affectant
la villa du requérant découlant avant tout de son mode de construction
médiocre (absence de protection contre les ruissellements de pluies) et
de sa situation géographique. Le tribunal administratif de Marseille, saisi
en première instance, a suivi l’argumentaire de la collectivité puisque
la Communauté Urbaine de Marseille n’a été considérée responsable
des désordres affectant la villa du requérant qu’à hauteur de 30 %.

Saisi en cassation, le Conseil d’Etat a sanctionné ce jugement pour
erreur de droit. La Haute-juridiction administrative a, ainsi, rappelé
qu’une collectivité publique ne pouvait, dans cette situation, s’exonérer
de sa responsabilité qu’en cas de force majeure ou en démontrant
que le sinistre découle, du moins en partie, d’une faute de la
victime. Or, d’un point de vue juridique, la construction d’une villa
sur le versant humide d’un coteau ne constitue pas en tant que telle
une « faute » du résident. De même, le fait que la villa ait été réalisée
selon un « mode constructif médiocre » ne constitue pas, au sens juridique
du terme, une faute du résident. Dès lors, et en adoptant une
démonstration qui est totalement fondée en droit, le Conseil d’Etat va
juger que la collectivité publique ne peut invoquer, pour se décharger
de sa responsabilité, ces considérations factuelles qui ne constituent
pas des fautes imputables au résident.

Cette jurisprudence rappelle, ainsi, avec force aux collectivités publiques
que, confrontées à des inondations des habitations privées à
la suite d’une fuite d’une canalisation publique, elles ne disposent que
de trois moyens juridiques pour éviter la mise en cause de leur responsabilité.
Pour les collectivités ayant délégué à un prestataire privé
la gestion et la maintenance de la canalisation fuyarde, elles peuvent
renvoyer le résident sinistré vers ledit prestataire privé. Dans cette hypothèse,
en effet, seule la responsabilité du prestataire privé peut être
mise en cause dès lors que la fuite de la canalisation découle d’un
défaut de maintenance et d’entretien. La collectivité peut, en second
lieu, invoquer le cas de force majeure. Encore faudra-t-il démontrer
que la rupture ou la fissure de la canalisation à l’origine de l’inondation
découle d’un évènement irrésistible, imprévisible et extérieur à
la collectivité. Enfin, la collectivité peut invoquer la faute du résident.
Mais cette faute doit être matérialisée par un manquement caractérisé
à une réglementation (violation des règles d’urbanisme, du règlement
départemental sanitaire,…) et ne peut pas résider dans la simple présence
d’éléments factuels favorisant les inondations. Appliquée à la
lettre, cette jurisprudence du Conseil d’Etat favorise incontestablement
la mise en cause de la responsabilité des collectivités publiques.

[1C.E 5° et 4° ssr, 10 février 2014, Mme B…A…c. Communauté Urbaine de Marseille,
Req. n° 361.280

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