Suspension du paiement

Suspension du paiement des loyers commerciaux et professionnels ? Pas si évident !

Les petites entreprises sont particulièrement affectées par la crise sanitaire que traverse le pays et qui a conduit à l’arrêt quasi-général de leur activité. Or les mesures prévues pour les aider à supporter les conséquences de cette crise ne sont pas à la hauteur des enjeux et relèvent davantage du parcours du combattant que d’une promenade de détente, au regard des critères d’éligibilité restrictives choisis.

Par Maître Zia OLOUMI Docteur en droit, Avocat associé OLOUMI & HMAD AVOCATS ASSOCIES (AARPI Interbarreaux : Paris – Nice)

L’article 4 de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises précise que certains professionnels ne « peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce  ».

Cela concerne les loyers et charges afférents à des «  locaux professionnels ou commerciaux  » dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ».

L’ordonnance réserve le bénéfice de ses dispositions aux «  personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 susvisée » et à « celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ».

Trois décrets récents viennent successivement les 30 et 31 mars 2020 et le 2 avril restreindre encore les conditions pour en bénéficier.

Le décret n° 2020-378 du 31 mars 2020 limite le bénéfice de ces dispositions aux entreprises qui remplissent les conditions et critères définis « aux 1° et 3° à 8° de l’article 1er et aux 1° et 2° de l’article 2 du décret n° 2020-371  » qui concerne le Fonds de solidarité.

Ainsi, pour ne pas être soumis à l’épée de Damoclès que constituent les sanctions pour non-paiement des loyers et pour bénéficier du report de paiement des factures d’énergie, il est nécessaire de remplir cumulativement les conditions suivantes :
• être une entreprise appartenant à une « liste de celles qui sont éligibles au fonds de solidarité » y compris en cessation de paiements déclarée ou en difficulté « au sens de l’article 2 du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité » ;
• et remplir les deux conditions visées à l’article 2 du décret n° 2020-371 : être sous le coup d’une interdiction d’ouverture au public et justifier d’une perte de 50 % au moins du chiffre d’affaires au mois de mars 2020 (décret n° 2020-394 du 2 avril 2020).

Ces critères restrictifs ne rassurent en rien les près de 3 millions d’entreprises françaises qui restent suspendues à la décision du bailleur qui peut à tout moment réclamer le paiement des loyers dans la majorité des cas.

Des outils juridiques classiques du droit des contrats permettent de reporter des loyers : notamment la « force majeure » (1218 du code civil), ou encore l’ « exception d’inexécution » (1220 dudit code), sur le fondement de l’ « obligation de délivrance » (1719 du même code) l’entreprise a été interdite d’ouverture (Arrêtés du 14 mars 2020 et 15 mars 2020).

C’est pourquoi, on ne saurait trop conseiller aux petites entreprises, de prévenir dès maintenant leurs bailleurs de leur difficulté et de trouver un arrangement amiable avant que les difficultés d’interprétation des mesures existantes ne puissent mettre en péril définitivement la santé de l’entreprise qui pourrait prendre ses pieds dans une procédure contentieuse nécessairement coûteuse.

Il est regrettable que les autorités françaises ne se soient pas inspirées du pragmatisme Allemand qui interdit aux bailleurs d’expulser leurs locataires en cas de défaut de paiement des loyers des mois d’avril, mai et juin 2020 ; les locataires disposant par ailleurs, d’un long délai pour rembourser (jusqu’au 30 juin 2022). Les mesures allemandes étant applicables «  sans critères spécifiques » !

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