TJ de Grasse : Emmanuelle

TJ de Grasse : Emmanuelle Perreux veut démystifier la justice

Emmanuelle Perreux est la nouvelle présidente du tribunal judiciaire de Grasse. Occupée à préparer une rentrée rendue singulière par la crise sanitaire à l’Ecole nationale de la magistrature, dont elle était directrice adjointe en charge des recrutements, de la formation initiale et de la recherche depuis 2015, la magistrate a pris ses fonctions avec un peu de retard, le 21 septembre.

A 55 ans, elle succède à Michaël Janas -promu à la présidence du TJ de Lyon- et poursuit une carrière particulièrement diversifiée, qui l’a notamment menée du tribunal de grande instance de Compiègne (substitut du procureur de la République de 1992 à 1994) à celui de Bordeaux, (juge de l’application des peines de 2002 à 2006 et vice-présidente de 2010 à 2015) en passant par la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion (juge de 1996 à 2000) ou encore celle de Bordeaux (vice-présidente de 2008 à 2010).
Ancienne membre du Conseil supérieur de la magistrature et ex-présidente du syndicat de la magistrature, Emmanuelle Perreux découvre dans la cité des parfums "une ville de contrastes", où elle s’est donnée pour mission de démystifier la justice aux yeux des citoyens.

Pour quelles raisons avez-vous postulé à la présidence du TJ de Grasse ?

- Ce n’est pas un hasard si j’ai coché Grasse. Je suis née à Bordeaux, mais je connais bien le Sud-Est, car j’ai grandi à Marseille, où j’ai d’ailleurs effectué ma scolarité et passé mon bac. Enfant, je venais à Juan-les-Pins durant les vacances, j’ai donc des liens de cœur avec la région, même si je n’ai pas le souvenir de m’être rendue à Grasse. Je découvre cette ville. Et cette juridiction, qui m’a aussi attirée par son activité importante et ses spécificités.

Comment définissez-vous ce particularisme ?

Emmanuelle Perreux, nouvelle présidente du tribunal judiciaire de Grasse DR J.P

- La juridiction est confrontée à des contrastes qui sont liés à la sociologie de la population, avec des problèmes qui découlent des différences de niveaux de vie. Le magistrat que je suis sait qu’il va trouver à Grasse une matière particulièrement intéressante à l’exercice de sa mission. Ce qui me frappe ici, c’est l’importance des contentieux civils ayant des enjeux financiers conséquents, qui touchent notamment à la construction et à la copropriété, ce que nous ne retrouvons pas ailleurs en France d’une manière aussi condensée.
Nous avons en outre beaucoup d’affaires liées aux tutelles, qui sont traitées par les tribunaux de proximité de Cannes, Antibes et Cagnes-sur-Mer, avec des patrimoines parfois importants et une population vieillissante qui a besoin d’être protégée. Et en même temps énormément de dossiers de surendettement, qui touchent les plus précaires. Je suis très préoccupée par les effets de la crise sanitaire que nous traversons. Nous savons qu’une crise économique s’annonce et qu’elle aura des conséquences sociales et juridiques. Il faut absolument que l’arrondissement judiciaire de Grasse puisse répondre à la demande de justice qui va s’exprimer.

En aura-t-il les moyens ?
- Malgré une collaboration très forte avec le barreau, le confinement du printemps a entraîné un maximum de renvois. Notre activité est donc très intense et mes collègues travaillent énormément au rattrapage du retard accumulé. Nous bénéficions actuellement d’une situation qui est bonne au niveau des effectifs, mais qui va se dégrader à partir de janvier, puisque nous allons perdre deux juges : la coordinatrice du service de l’application des peines et une présidente de correctionnelle. C’est une réduction raisonnable et nous savons que nous pouvons compter sur l’aide de la cour d’appel, via des renforts éventuels en magistrats placés, mais nous espérons que ces deux postes seront pourvus rapidement.

Avez-vous déterminé des besoins urgents ?
- Je suis une éternelle optimiste et j’ai tendance à toujours voir le verre à moitié plein. Ceci dit, il serait utile de renforcer les chambres civiles, qui ont beaucoup d’affaires à traiter, et le tribunal pour enfants, qui va faire face, le 31 mars 2021, à la réforme du code de la justice des mineurs. Elle va bouleverser le métier du juge des enfants.

Quelle est votre feuille de route ?
- Ma mission est d’abord guidée par un aspect fondamental : le partenariat. Depuis mon arrivée, j’ai réalisé de nombreuses visites et j’ai rencontré les maires de Grasse, Cannes, Antibes et bientôt celui de Cagnes-sur-Mer. J’ai été marquée par le dynamisme de la politique de partenariat qui existe entre les différentes autorités. L’institution judiciaire est indépendante et chacun reste dans son rôle, mais il y a ici une confiance, une solidarité et une envie de travailler ensemble qui est essentielle pour moi. L’autre dimension dans laquelle je souhaite inscrire le TJ de Grasse, c’est l’ouverture vers le secteur du droit, notamment la faculté de Nice, que nous avons par exemple sollicitée pour qu’elle établisse un bilan de la médiation en matière civile. L’objectif est de sensibiliser notre environnement, et plus généralement les nouvelles générations, au métier de magistrat, car l’enjeu est de démystifier la justice pour qu’elle ne soit plus cette inquiétante inconnue. Celle dont on se méfie par méconnaissance. Je suis convaincue, peut-être parce que je viens de l’Ecole nationale de la magistrature, que plus la justice communiquera, plus les citoyens s’en rapprocheront. Nous avons besoin d’une relation de confiance entre la justice et les justiciables.

Où en est la numérisation de la justice ?
- Grasse est assez en avance, la juridiction ayant testé des dispositifs en amont de leur mise en place. En matière pénale, les procédures sont toutes numérisées, ce qui facilite la circulation des dossiers. Au civil, nous avons des process qui permettent des traitements dématérialisés, à l’image de la plateforme Opalexe, qui gère les expertises judiciaires. Pour la justice, elle représente un gain de temps et d’argent.

Et pour le justiciable ?
- La question de l’accès aux atouts du numérique se pose en effet pour le justiciable, qui n’a pas toujours une bonne connexion à sa disposition. Mais nous pouvons penser qu’avec le temps, la situation va s’améliorer. Les citoyens doivent savoir qu’ils ont déjà à leur disposition le site justice.fr, qui leur donne accès à certaines démarches en ligne. Il mérite d’être connu, car il permet par exemple à un justiciable de suivre en temps réel l’évolution d’un dossier le concernant au tribunal de Grasse. C’est un progrès de transparence.

Un mot sur l’activité pénale à Grasse...
- Grasse connaît une activité pénale soutenue qui est une préoccupation commune au président du tribunal et au procureur. Elle concerne tant la grande délinquance (banditisme, trafics en tout genre...) que la délinquance du quotidien.

Pour terminer, quel regard portez-vous sur la justice en France ?
- Elle a ses crises, mais ne mérite pas le dénigrement dont elle peut faire l’objet. Si je suis devenue magistrate, c’est que je suis certaine que la justice peut contribuer à l’apaisement de la société. Elle est porteuse de valeurs et a vocation à servir les Français au quotidien.

Propos recueillis par Jean Prève

Photo de Une DR J.P

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