Tracfin : les œuvres (...)

Tracfin : les œuvres d’art placées sous le microscope de Bercy...

En 2019, Tracfin a reçu 95 731 déclarations de soupçon, soit +25 % par rapport à l’année précédente. Les enquêtes ouvertes ont débouché sur l’externalisation de 3 738 notes à l’autorité judiciaire et aux autres partenaires engagés dans la lutte contre le blanchiment et autres fraudes financières.

Tracfin contrôle plus particulièrement les secteurs considérés comme sensibles que sont le commerce et la distribution, le bâtiment et les travaux publics, l’immobilier, les transports et la logistique, les telecoms, les sports pro et les métiers des arts. Pour Bercy, ils présentent "des vulnérabilités qui les exposent notamment à des risques de blanchiment". Dans son dernier rapport, l’organisme a passé à la moulinette les métiers des arts. En voici les principaux enseignements.

Paiements en espèces, prix "volatils"

Le secteur du marché de l’art regroupe plus de 130 000 professionnels en France, galeristes, antiquaires et brocanteurs. Un secteur "particulièrement exposé aux risques en raison principalement d’une fréquence importante des paiements en espèces : l’interdiction des paiements en espèces au-delà de 1 000 € n’est applicable qu’aux résidents français" rappelle le gendarme financier. Il regrette que les résidents étrangers, très représentés dans le secteur de l’art, puissent régler leurs achats en liquide jusqu’à un plafond de 15 000€ et que nombre de transactions puissent ainsi passer légalement au travers des mailles du filet.
De la même façon "des prix de vente extrêmement volatils" rendent opaque ce marché qui "connaît une dynamique spéculative complexe" avec dans les ventes publiques un régime des cotes "soumis à des critères très disparates" qui peuvent être de nature à masquer des opérations de blanchiment. "Les professionnels disposent de peu de moyens de vigilance pour détecter d’éventuelles complicités entre vendeurs et acheteurs susceptibles de manipuler les prix" considère Tracfin.
De même, les foires "représentent des lieux de vente de gré à gré sans contrôle possible sur les transactions et les prix pratiqués. Le risque de recel d’objets volés y est important" tandis que les enchères et ventes à distance rendent difficiles les vérifications préalables. L’organisme relève que les connaissances des clients sont souvent limitées, qu’il y a un manque de traçabilité des œuvres et des fonds et pointe que les "commissaires-priseurs judiciaires et des opérateurs de ventes volontaires adressent peu de
déclarations de soupçon au regard du dynamisme et des enjeux financiers liés au marché de l’art". Pour ne rien dire des ventes organisées sur le "dark web" qui facilitent évidemment le trafic.

Comptes offshores, ports pas très francs...

Mais les difficultés ne sont pas que franco-françaises. Ainsi, au chapitre de l’internationalisation de la profession, Tracfin épingle le rôle "des grandes maisons de vente d’art, ainsi que le recours à des sociétés et des comptes offshores par certains acheteurs et vendeurs". Tout cela complexifie la traçabilité des œuvres et des fonds utilisés.
Enfin, un zoom sur les ports francs "créés initialement" pour entreposer des matières premières, et des biens manufacturés pour un temps limité, mis qui "pour la plupart sont devenus des zones de stockage à long terme d’œuvres d’art de grande valeur, offrant anonymat et sécurité à leurs propriétaires. Ils sont utilisés pour brouiller la traçabilité d’un bien et éviter d’éventuels contrôles. Les transactions d’achat/vente peuvent être réalisées d’un propriétaire à l’autre sans que les œuvres quittent ces entrepôts. La faille majeure des ports francs découle de l’absence d’obligation de déclarer le bénéficiaire effectif des œuvres". Le dispositif de contrôle et de sanction des professionnels du secteur de l’art a été revu par l’ordonnance n° 2016-1 635 de transposition de la 4ème directive du 1er décembre 2016. La Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) a été désignée comme autorité de contrôle de ces professionnels.
Enfin, Bercy estime qu’avec "sa fiscalité attractive", le secteur de l’art reste exposé à la fraude aux impôts par le paiement fréquent en espèces.
Pour se consoler, les galeristes, marchands d’art, antiquaires et brocanteurs peuvent se dire qu’il ne sont pas les seuls dans le collimateur de Tracfin, surtout en cette période de vaches maigres, où l’état doit s’échiner à faire rentrer les recettes.

Le rapport complet de Tracfin est en ligne sur www.economie.gouv.fr

Photo de Une : Ni Tracfin, ni Interpol ni toutes les polices du monde n’ont encore remis la main sur cette "Vue d’Auvers sur Oise" de Paul Cézanne, volée il y a vingt ans à Oxford. DR

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