Traducteurs et interprète

Traducteurs et interprètes : des experts judiciaires à la mission plurielle

Les traducteurs et interprètes au service de la justice interviennent dans une multitude de circonstances. Rencontre avec Rodger Giannico, nommé près la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence.

Il se souvient de ces moments à bord de pétroliers. "La gendarmerie maritime avait fait appel à moi pour notifier aux capitaines que leurs navires étaient saisis suite à des dégazages en mer". Et de cette attente sur le port de Toulon, au milieu de policiers enquêtant sur une affaire de drogue : "Ils avaient préparé une véritable mise en scène, certains faisaient de la peinture, d’autres réparaient des bateaux pour ne pas attirer les regards. Quand l’embarcation des trafiquants est arrivée, la cargaison de drogue a été récupérée et les hommes interpelés". Rodger Giannico s’est alors chargé de présenter aux malfaiteurs étrangers le pétrin dans lequel ils venaient de se plonger. En anglais, la langue pour laquelle il a été nommé expert judiciaire, en sa qualité de traducteur-interprète, par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence.

"Cette fonction m’a mis dans des situations que je n’aurais jamais connues en tant que simple citoyen", indique cet Américain installé depuis 46 ans en France, dont il possède d’ailleurs la nationalité. "Elle m’a fait vivre des expériences variées et particulièrement enrichissantes".

Plus de 40 langues couvertes

Rodger Giannico, président de la Compagnie des experts traducteurs-interprètes judiciaires près la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence. DR

Elles se sont, pour la plupart, déroulées dans le domaine pénal. "Mes confrères et moi sommes au service de la justice et de la police. Nous intervenons le plus souvent dans le cadre des gardes à vue. Toute personne qui ne parle pas français doit bénéficier d’un interprète qui l’informe de ses droits à voir un médecin, à avoir un avocat et à contacter un membre de sa famille". Une mission d’assistance qui continue tout au long de l’audition, au cours des échanges avec les différents interlocuteurs éventuellement impliqués (avocat, psychiatre...) et, si nécessaire, devant le juge. "Quand le procureur décide de poursuivre l’affaire, nous participons également à l’audience au tribunal".
Etre expert judiciaire, lorsqu’on manie les langues, exige une très grande disponibilité : "Nous pouvons être sollicités à tout moment, de jour comme de nuit, auprès d’un suspect interrogé au commissariat ou d’une victime dont il faut recueillir les dires". Et autant de probité, ainsi que le stipule le décret 74-1184 du 31 décembre 1974, qui fixe les conditions indispensables à l’inscription d’un professionnel, quelle que soit sa spécialité, sur les listes d’experts de justice.
"Pour obtenir ce titre, il faut formuler une demande auprès du procureur de la République. La Cour d’Appel émet un avis qui, s’il est favorable, place l’intéressé sur une liste probatoire pendant trois ans. Il est ensuite nommé de façon permanente pour une durée de cinq ans renouvelable", précise Rodger Giannico, qui préside la Compagnie des experts traducteurs-interprètes judiciaires (CETIJ) près la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence. Cette structure, dont le siège est à Nice, rassemble 55 des centaines d’experts susceptibles d’intervenir sur le territoire de la juridiction. Plus de 40 langues sont mentionnées sur l’annuaire de la Cour, de l’anglais au mongole en passant par le sénégalais, le chinois, le roumain, l’allemand ou encore le grec. "La région compte notamment de nombreux traducteurs et interprètes en arabe, italien et russe".
Pour l’ensemble de ces auxiliaires, qui sont parfois mobilisés sur une soixantaine de dossiers par an, la fonction d’experts judiciaires fait office de reconnaissance qui ouvre la voie à des missions ne relevant pas d’une réquisition de la justice. "Notre contribution à des affaires civiles est assez rare, mais il arrive par exemple que nous soyons sollicités par l’une des parties impliquées dans un conflit de contrat".

Des affaires judiciaires à la sphère privée

La garantie de la nomination augure en outre un travail important dans la sphère privée. "Pour la traduction de différents actes administratifs, comme ceux relatifs à l’état civil, nous apposons notre sceau accompagné de la mention "Ne varietur" (sans possibilité de changement NDLR), qui fournit une certification d’authenticité". Les notaires font ainsi régulièrement appel aux traducteurs experts judiciaires, surtout dans le cas de ventes immobilières. Et c’est alors la partie ne maîtrisant pas le français qui assure le paiement de la prestation, soumise à des honoraires libres.
En dehors de la clientèle privée, la rémunération des expertises sur réquisition est bien sûr assurée par l’Etat conformément à l’article R122 du code de procédure pénale. "Dans des conditions d’exercice normales, notre assistance est payée 30 euros/heure. Pour les traductions écrites, le tarif est de 25 euros/page".
Les traducteurs et interprètes, qui n’incarnent qu’une toute petite part des professions composant les copieux effectifs d’experts au service des juridictions françaises, doivent leur fournir, annuellement, un rapport de leur activité.
Depuis quelques années, ils sont par ailleurs contraints à une formation continue en matière de déontologie et de droit. "L’adhésion à notre association est un bon moyen de répondre à cette obligation, puisque nous organisons des séances animées par des juges, des professeurs de droit ou encore des avocats". Le message est passé.

Photo de Une : Plusieurs centaines de traducteurs-interprètes sont inscrits sur la liste des experts judiciaires de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. DR

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