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Tribunal judiciaire de Nice : une nécessaire et perpétuelle adaptation

Avec des moyens jugés trop maigres, le TJ de Nice a dû faire preuve d’ingéniosité pour répondre aux exigences d’une année 2020 singulière. Un défi toujours d’actualité, malgré des renforts.

Le petit monde de la justice niçoise n’est pas près d’oublier 2020. Le président du tribunal judiciaire l’a redit, le 19 janvier, lors de l’audience solennelle de rentrée de la juridiction. "L’année a débuté par deux mois et demi de grève des avocats, très suivie à Nice", a rappelé Marc Jean-Talon, avant d’évoquer l’épisode du premier confinement. Si l’institution a eu pour priorité "la préservation de la santé des justiciables, des agents et des professionnels", l’activité n’a pas été pour autant mise à l’arrêt. Ces "pénibles périodes" ont même été marquées par "une collaboration régulière, loyale, constructive et fertile" avec les avocats, comme s’en est réjoui le président en s’adressant au bâtonnier, Thierry Troin. "Ce qui nous rapproche est de loin plus important que ce qui nous sépare. Et j’en tiens pour preuve la mise à disposition par le Barreau de salles afin de permettre à la juridiction, trop à l’étroit, d’y tenir des audiences".

Mobilisation contre les violences conjugales

Une audience de rentrée singulière au TJ de Nice présidée par Marc Jean-Talon. DR JP

Pour faire face à une situation inédite et au "retard pris par les contentieux identifiés comme prioritaires, au premier rang desquels figurent les référés et contentieux familiaux", le tribunal a dû démontrer des capacités d’adaptation, en déployant par exemple des magistrats et fonctionnaires issus d’autres services, en particulier les chambres civiles généralistes.
Finalement, "au vu des circonstances, les résultats obtenus apparaissent honorables", a souligné Marc Jean-Talon, en citant notamment le service des référés, qui "a maîtrisé son contentieux", ou celui des affaires familiales, qui "a terminé plus d’affaires qu’il n’en a été saisi". En la matière, "la juridiction s’est mobilisée pour lutter contre les violences conjugales en mettant en place dans les meilleures conditions la réforme de l’ordonnance de protection, qui permet à un époux victime de violences d’obtenir une décision judiciaire très rapide". 142 de ces ordonnances ont ainsi été rendues en 2020, contre 82 l’année précédente.
Enfin, alors que le pôle social a continué à réduire son stock, la justice de proximité de Nice s’est quant à elle montrée en difficulté. Pour le président, "les délais de jugement doivent être réduits".

Des effectifs carencés

Les inquiétudes du TJ sont bien sûr liées à une carence d’effectifs. D’où cette expression de Marc Jean-Talon, jugée certes un peu triviale par son auteur : "La justice niçoise est à l’os, nous risquons même d’entamer le périoste...". Et de signaler que dix-neuf postes de fonctionnaires étaient vacants en fin d’année 2020, sur environ 190, soit 10%. "La situation s’est améliorée en ce début d’année 2020, bien qu’il manque encore sept fonctionnaires, outre les deux chefs de greffe".
En ce qui concerne les magistrats, en dépit du soutien de la Cour d’appel, cinq postes de juges du siège "ne seront pas effectivement pourvus au cours du premier quadrimestre, soit encore 10%". Ce calcul fait référence à l’effectif théorique du ministère de la Justice, le président Jean-Talon estimant que trois magistrats supplémentaires seraient indispensables. "Un juge d’instruction, un juge civil, spécialement aux affaires familiales, et un juge correctionnel", a-t-il détaillé, avant de présenter les trois nouveaux collègues arrivés au TJ depuis septembre. Des renforts appréciés auxquels se sont ajoutés quatre greffières et deux adjoints administratifs, en attendant, à partir du 1er février, deux magistrats nommés à titre temporaire. C’est avec ces forces que la juridiction se concentrera sur ses chantiers à venir, dont la mise en œuvre de plusieurs réformes (divorce, enfance délinquante, aide juridictionnelle...), le réaménagement des palais de justice, la médiation familiale, la transformation d’une salle d’audience civile à dédier au pénal ou encore l’amélioration des conditions d’accueil des justiciables. Sans oublier "la modification de l’organisation des audiences correctionnelles, afin de mieux prendre en compte les procédures de comparution immédiate". Encore une nécessaire adaptation...

Xavier bonhomme : "des renforts bienvenus mais insuffisants"

Xavier Bonhomme, procureur de la République, a exprimé le besoin de nouveaux moyens. DR J.P

"Notre juridiction se trouve dans une situation difficile". Xavier Bonhomme, procureur de la République de Nice, s’est montré clair dès l’entame de son propos. Lui aussi est revenu sur la grève du Barreau, qui s’est soldée par le renvoi de 600 dossiers pénaux. Mais le parquet a aussi été soumis à "une actualité judiciaire hors norme que peu de ressorts ont pu connaître et qui ont impacté considérablement l’activité de notre tribunal judiciaire, notamment pénale".
Et pour cause ! Au-delà de la crise sanitaire et du confinement, "nous conduisant à rechercher des solutions adaptées et à faire preuve, souvent seuls, d’ingéniosité et d’imagination pour maintenir l’activité judiciaire", la tempête Alex et l’attentat de la basilique Notre-Dame ont poussé ses collègues dans leurs derniers retranchements : "On ne rencontre pas nécessairement plusieurs fois dans une carrière de magistrat la gestion de telles affaires qui, du fait de leur ampleur, de leur sensibilité et de leurs conséquences, peuvent sidérer et paralyser même des professionnels aguerris. Cela n’a absolument pas été le cas", a insisté Xavier Bonhomme, avant de détailler ses motifs d’inquiétude.
Ils sont relatifs à "la situation de notre audiencement correctionnel", dont les deux chambres sont en souffrance en raison de la crise. Lorsque le procureur a pris ses fonctions à Nice, voici un peu plus d’un an, le délai de convocation par officier de police judiciaire était de 13 mois. Un laps "critique", voire "désastreux", selon lui. D’où la nécessité de "prendre des mesures drastiques". Près de 700 dossiers ont ainsi été réétudiés et réorientés. 17% ayant finalement été classés sans suite et 35% maintenus devant le tribunal.

La justice de proximité bien servie

Bilan  : la justice correctionnelle a gagné du temps, grâce à un délai de convocation ramené à six mois, voire moins. "Or, aujourd’hui, malgré ces efforts considérables, je ne peux que déplorer avec amertume que la situation est de nouveau extrêmement délicate". Et de regretter "une capacité de juger totalement insuffisante pour un tribunal de la taille de celui de Nice". Avant de s’interroger : "Devons-nous poursuivre vers cette voie de réponse pénale dégradée, voire ultra-dégradée, que l’ensemble des parquets pratiquent dans de trop larges proportions, ce qui ne satisfait personne mais qui est inexorable puisque les moyens matériels et humains ne nous permettent pas de faire mieux ?"
Refusant d’accepter que des dossiers complexes et relevant de faits graves soient condamnés à n’être jugés que plusieurs années après les ordonnances de renvoi rendus par les magistrats instructeurs, Xavier Bonhomme a appelé les décideurs à davantage de considération : "La justice sans moyens suffisants est inefficace, désespérément impuissante".
En la matière, le Parquet vient tout de même d’accueillir de nouvelles ressources, puisque quatre magistrats sont récemment arrivés à Nice (contre trois départs). Il faut leur ajouter le recrutement de trois juristes assistants pour conforter la justice de proximité et traiter plus rapidement les infractions du quotidien, conformément aux promesses du Garde des sceaux, dont le procureur a souligné "l’efficacité certaine, en tout cas à ce jour inconnue", en termes de rapidité. "Ces renforts et moyens supplémentaires très qualitatifs sont évidemment les bienvenus", a-t-il reconnu après avoir présenté les missions de ses nouveaux collaborateurs. "Mais ils demeurent insuffisants pour redresser notre activité correctionnelle". D’autres magistrats, "notamment du siège pour combler les trop nombreux postes vacants", sont souhaités.

Les sept nouveaux magistrats

L’audience de rentrée du TJ a été l’occasion, pour les chefs de juridiction, de présenter les magistrats nommés à Nice récemment, au siège comme au parquet :

- Anne-Christine Herry-Vernimont, première vice-présidente, juge des contentieux de la protection, coordonnatrice du pôle de proximité,
- Marion Menot, première vice-présidente, coordonnatrice du pôle correctionnel,
- Marie-Nina Valli, vice-présidente au service des affaires familiales,
- Jean-Philippe Navarre, procureur de la République adjoint chargé du pôle de l’action publique spécialisée,
- Meggie Choutia, vice-procureure au service commercial et financier,
- Delphine Dumas, substitute du procureur au service des mineurs et de la famille,
- Marc Ruperd, substitut du procureur au service des mineurs et de la famille.

Quelques chiffres

Les chiffres de l’activité du TJ de Nice en 2020 montrent, au civil, une augmentation des affaires nouvelles (16 501, soit 860 de plus qu’en 2019), mais un fort recul des affaires terminées (13 527, soit 2 596 de moins).
L’âge moyen du stock a légèrement baissé, se situant à 17,1 mois. Concernant la justice pénale, les principaux indicateurs sont à la baisse. 40 614 nouvelles affaires ont été enregistrées contre 57 164 l’année précédente.
À noter 13 591 affaires poursuivables (15 722 en 2019), 9 947 réponses pénales (11 824 en 2019), 3 208 jugements correctionnels rendus (3 565 en 2019) et 651 comparutions immédiates (627 en 2019).

La juridiction a son logo

C’est une première. Le tribunal judiciaire de Nice a désormais son logo. La création de cette identité visuelle, visant à "identifier instantanément toute correspondance émanant de la juridiction et assurer le rayonnement de l’institution judiciaire auprès des partenaires institutionnels", a fait partie des temps forts de l’année 2020.
Pour aller au bout de cette démarche, le TJ s’est associé à l’école de Condé de Nice, un établissement spécialisé dans le design. Le partenariat, piloté par Joanna Falco, chef de cabinet de la présidence du tribunal, a impliqué un jury reflétant la diversité de la juridiction. Et c’est finalement le projet présenté par l’étudiante Constance Pascal qui a été retenu.
Le logo du TJ représente la déesse de la justice Thémis stylisée. Mais dont les attributs restent reconnaissables, à savoir le bandeau, qui cache ses yeux en signe d’impartialité, la balance, référence à l’équilibre et la mesure, et enfin le glaive, symbole d’une justice qui tranche, sanctionne et fait exécuter les décisions prononcées. Cette évocation moderne, faisant appel à la géométrie, des traits fins et des couleurs vives, est dominée par un bleu "azuréen".

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