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UCEJAM : L’expertise de partie et sa réception dans les procès et les modes amiables (3/4)

Les Petites Affiches sont partenaires de l’UCEJAM 06 et à ce titre publient chaque année le compte-rendu complet des séances de formation à la Faculté de Nice de l’année écoulée.
Nous vous proposons de découvrir l’excellence de ces formations : cette semaine troisième partie : L’expertise de partie et sa réception dans les procès et les modes amiables.

L’EXPERTISE DE PARTIE ET SA RÉCEPTION DANS LES PROCÈS ET LES MODES AMIABLES

Exposé du 13 octobre 2014 de Natalie FRICERO, Professeure à l’Université de Nice, Directrice de l’Institut d’Etudes Judiciaires

I. DÉFINITION

On ne trouve pas le terme d’expertise « de partie », amiable, extrajudiciaire, unilatérale, conventionnelle, dans le Code de procédure civile. En revanche, ce terme se retrouve dans certaines décisions de jurisprudence lorsqu’il s’agit de préciser le recours à un « technicien », un sachant, en dehors de toute décision d’un juge. Une personne physique ou morale décide de passer un contrat de louage d’ouvrage (art. 1710 Code civil), de prestation de service avec un expert en vue d’être éclairée sur une situation de fait, ou sur un enchaînement de faits, ou sur l’évaluation d’un préjudice.

II. LES INTÉRÊTS ET LE CADRE JURIDIQUE D’UNE EXPERTISE EXTRAJUDICIAIRE

1- Eclairer le consentement d’une partie à un acte juridique (contrat de vente, ou partage par exemple).

La partie souhaite avant de contracter et de s’engager, connaître précisément
les faits, leur enchaînement pour définir la causalité, et l’étendue du préjudice réparable, son évaluation précise. Dans ce cas, l’avis de l’expert de partie sera essentiel pour la passation ou l’exécution du contrat (on pense à une vente d’immeuble, avec évaluation de la valeur du bien) même s’il ne lie pas la partie. Les parties peuvent se mettre d’accord sur l’évaluation extrajudiciaire non contradictoire, sans procès. Il n’existe pas de conditions particulières pour que cette expertise produise ses effets, en dehors de l’accord de la partie qui n’a pas participé à cette expertise !

2- Se servir d’un rapport d’expertise de partie dans un procès.

Plusieurs situations se produisent dans lesquelles un rapport de partie est mis dans les débats judiciaires.

1ère situation : Une personne peut décider de solliciter un expert pour lui donner un avis en dehors de toute procédure. Puis, elle engage un procès et communique le rapport d’expertise réalisé. La jurisprudence juge que le rapport d’expertise amiable constitue un document de preuve au même titre qu’un autre. La 1re chambre civile de la Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises, au visa de l’article 16 du Code de procédure civile, que « tout rapport amiable peut valoir, à titre de preuve, dès lors qu’il est soumis à la libre discussion des parties » (Civ. 1re, 24 septembre 2002, n° 01-10739 ; Civ. 1, 11 mars 2003, n° 01-011430 ; Civ. 1, 28 janvier 2010, n° 08-21743), formule reprise par la 2e chambre civile de la Cour de cassation qui sanctionne le juge qui refuse d’examiner un rapport d’expertise amiable soumis au débat contradictoire (Civ. 2e, 18 juin 2009, n° 08-12671 ; Civ. 2e, 12 février 2004, n° 02-15460), reprise également par la 3e chambre civile (Civ. 3e, 29 février 2012, n° 10-26653 ; Civ. 3e, 13 janvier 2009, n° 07-21521 ; Civ. 3e, 17 janvier 2012 , n° 11-10863) et par la chambre commerciale (Com. 17 mai 1993, n° 92-13542). Par définition, un rapport de partie n’est pas contradictoirement élaboré. Il ne sert à rien « d’inviter la partie adverse » : ceci ne rend pas le rapport contradictoire (elle n’a pas défini la mission, ne peut pas obliger l’expert privé à répondre à ses dires etc).
A quelles conditions ?
Un important arrêt de la Cour de cassation fixe les conditions dans lesquelles une expertise dite amiable, c’est-à-dire non judiciaire, peut servir à motiver le jugement. La chambre mixte, le 28 septembre 2012 (n° 11-18710), a ainsi jugé que « si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties ». Mettant fin à des controverses entre les chambres de la Cour de cassation, cette solution conduit à deux principes : l’administration judiciaire de l’expertise amiable est nécessairement contradictoire, conformément aux articles 15 et 16 du Code de procédure civile, mais le juge ne peut pas se fonder exclusivement sur cette expertise réalisée de manière non contradictoire.
La partie qui dispose d’une expertise amiable non contradictoire doit la soumettre
au débat contradictoire dans l’instance et la corroborer par une autre preuve. Comme aucune définition n’a été donnée de cette autre preuve, on admet qu’un témoignage
suffit pour corroborer une expertise amiable, ou encore une note technique.
Cette solution se retrouve dans le contentieux administratif. La cour administrative d’appel de Lyon (6e chambre, 5 avril 2012, n° 10LY01815, Office national d’indemnisation des accidents médicaux, ONIAM) considère que le tribunal administratif peut « retenir à titre d’information » un rapport d’expertise amiable qui a pu être discuté dans le cadre de la procédure juridictionnelle.

Le Conseil d’Etat a jugé le 4 octobre 2010 (n° 332836) qu’une cour administrative d’appel peut refuser de prescrire une expertise judiciaire, dès lors qu’une expertise amiable a déjà été diligentée, même si elle ne s’est pas déroulée contradictoirement.
La recevabilité d’un rapport de partie est fondée sur le « droit à la preuve affirmé par la Cour de cassation le 5 avril 2012 (1re chambre civile n° 11-14177) au visa des articles 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, ensemble, les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’une des parties avait produit aux débats une missive qu’elle avait obtenue en violation de la vie privée et du secret des correspondances du de cujus. La cour d’appel l’avait donc retirée des débats : « Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la production litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice de son droit à la preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » décide la Cour de cassation.
Ce droit à la preuve appartient à toutes les parties, demandeur ou défendeur, chacune étant tenue de rapporter la preuve des faits qu’elle allègue (art. 9, CPC). Il autorise une violation « proportionnée » du droit à la vie privée et à la correspondance.
Attention, le « droit à la preuve » cède devant le secret professionnel du notaire qui est absolu (Civ. 1re, 4 juin 2014, n° 12-21244 : la partie ne peut pas se fonder sur l’art. 6 § 1 de la CEDH et le droit à la preuve pour produire aux débats des lettres échangées par un notaire avec la partie adverse. Seule la loi peut délier le notaire de son secret professionnel intangible).

La Cour de cassation a réaffirmé le droit à le preuve : Civ. 1re, 5 février 2014 : à propos du rapport d’un enquêteur privé pour le compte de la compagnie d’assurance qui refusait de réparer le vol du véhicule (conduit habituellement par le fils de l’assuré sans permis) la Cour de cassation rappelle que « la considération de ces éléments,
quand bien même ils affecteraient la vie privée de l’un et l’autre, n’étant pas disproportionnée au regard du droit de l’assureur d’établir en justice la nullité du contrat pour le motif retenu »…

L’administration judiciaire de l’expertise amiable doit être contradictoire.
Si un rapport amiable est utilisé dans un procès, les principes directeurs s’imposent, et, notamment, l’obligation de communiquer les preuves en temps utile, et de les soumettre à un débat contradictoire.
Au visa de l’article 16 du Code de procédure civile, la Cour de cassation admet que tout « rapport amiable peut valoir à titre de preuve, dès lors qu’il est soumis à la libre discussion des parties » (expertise amiable d’une automobile, ou pour évaluer
un préjudice, Civ. 1re, 2’ septembre 2002, n° 01-10739 ; Civ. 1re 11 mars 2003, n° 01-01430), quel que soit le contentieux, assurance, immobilier, commercial.
Le juge peut écarter des débats un rapport non communiqué en temps utile.

2ème situation : l’expert peut intervenir à la demande d’une partie pour l’assister
et la conseiller techniquement lors des opérations d’expertise judiciaire. Dans le mesure où la partie, comme son avocat, ne disposent pas des compétences techniques pour comprendre les opérations d’expertise, un expert « de partie » peut être choisi pour conseiller l’intéressé. L’expert assistera aux opérations, pourra conseiller la partie pour la rédaction des dires et observations, et donner son avis sur les questions posées. Mais il n’intervient pas dans le rapport d’expertise judiciaire : la pratique démontre que certains experts « de partie », après avoir conseillé la partie, rédigent un avis qui est présenté au juge pour contredire l’avis de l’expert judiciaire !
Dans un arrêt de la 3e chambre civile de la Cour de cassation du 13 janvier 2009 (n° 07-21521), les juges ont admis que les juges puissent retenir l’avis de cet expert de partie, dès lors qu’il avait été mis dans les débats et discuté contradictoirement par toutes les parties.

3ème situation  : le rapport d’expertise extrajudiciaire peut servir pour contredire un rapport judiciaire !
Il arrive qu’après un rapport d’expert judiciaire, une partie décide de recourir à un expert de partie pour contredire le rapport d’expertise. La Cour de cassation admet que les juge peuvent en tenir compte pour apprécier l’avis de l’expert judiciaire, si le rapport est soumis à un débat contradictoire. (Civ. 3e, 17 janv. 2012, n° 11-10863 ; Civ. 3e, 29 févr. 2012, n° 10-26653 : pour adopter la solution de reprise consistant dans la consolidation des fondations, les juges retiennent les solutions préconisées par un cabinet, non établies contradictoirement).

III. L’EXPERTISE DANS UN MODE AMIABLE

1- En matière civile, l’article 240 du Code de procédure civile prévoit que le juge ne peut pas donner à l’expert mission de concilier les parties.

Il peut les y inciter et si elles se concilient sans lui, il en fait rapport au juge. C’est l’inverse en matière administrative (article R. 621-1 Code justice administrative). La mission confiée à l’expert peut viser à concilier les parties.
Néanmoins, la Cour de cassation se montre raisonnable et bienveillante à l’égard des accords des parties durant l’expertise : elle valide les accords des parties conclus pendant l’expertise, dès lors qu’il n’est pas prouvé que c’est l’expert lui-même qui a aidé activement à l’accord Civ. 2e, 21 mars 1979, n° 77-14660 et Soc. 24 janvier 2006, n° 04-42741

2- Quel que soit le mode amiable utilisé par les parties, médiation, procédure participative assistée par avocats, conciliation, le recours à une expertise est possible.

L’expert est librement choisi par les parties (en médiation ou en pourparlers transactionnels ou en conciliation) qui définissent sa mission, sa rémunération (ainsi que l’obligation à la dette) et contribuent volontairement aux opérations d’expertise. Il n’existe pas de juge chargé du suivi, et le médiateur ou le conciliateur n’ont aucune autorité sur l’expert amiable.
L’expertise conventionnelle est exceptionnellement réalisée contradictoirement (par exemple dans la procédure participative assistée par avocat, dont le caractère contradictoire est affirmé par le CPC, art. 1549). L’avantage est que le juge devrait alors pouvoir se fonder exclusivement sur elle pour statuer, sous réserve qu’elle ait été soumise au débat contradictoire dans l’instance (art. 15 et 16 CPC). L’originalité de cette expertise amiable consiste à soumettre l’expert désigné par les parties à une obligation légale de transparence. En effet, aux termes de l’article 1548 du Code de procédure civile avant d’accepter sa mission, le technicien doit révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance afin que les parties en tirent les conséquences qu’elles estiment utiles.

IV. DÉONTOLOGIE DE L’EXPERT DE PARTIE

La déontologie n’est pas modifiée. L’expert doit veiller à :
- Respecter les règles de l’art pour ne pas décrédibiliser l’avis ;
- Respecter les règles de neutralité pour éviter les contestations ultérieures, même si l’expert est choisi et rémunéré par la partie.

Exposé de Dominique FLAVIN-COHEN, Avocate Honoraire, Présidente d’Alpes-Maritimes Médiation

Merci, Madame la Professeure, de votre accueil dans cet amphithéâtre qui me rappelle tant de souvenirs…
Merci également à Monsieur Guyon de m’avoir invitée en tant que Présidente d’Alpes Maritimes Médiation.
Madame Fricéro nous a parlé de la réception de l’expertise de partie dans les Modes Alternatifs de Résolution des Différends et notamment dans la Médiation.
On y reviendra avec Madame CLEMENT architecte, expert et médiatrice membre d’Alpes Maritimes Médiation.

Avant de lui donner la parole, je voudrais parler de l’expert devenant médiateur.
Alpes Maritimes Médiation a été créée par les Barreaux de Nice et de Grasse, à la suite d’une formation organisée à Nice en 1999, sous forme d’organisation inter-barreaux. En 2004, elle est devenue une association Loi 1901 dont les membres fondateurs sont les Barreaux de Nice et Grasse et l’UCEJAM : Il faut le souligner l’UCEJAM est donc membre FONDATEUR d’AMM. Or il apparaît que beaucoup d’experts de l’UCEJAM ignorent l’existence d’AMM et le fait que l’UCEJAM en est membre fondateur !
Dans les premières années, plusieurs experts de l’UCEJAM ont été membres d’AMM et ont réalisé des médiations.
Mais AMM, après avoir connu une certaine expansion, a il faut le dire, végété plusieurs années, car peu de Médiations Judicaires sont ordonnées (les Médiations Judiciaires représentent environ 10% des Médiations en France) et l’association n’était pas structurée pour proposer des médiations conventionnelles.
Certains se sont découragés. A ce jour 4 experts de l’UCEJAM seulement sont encore membres d’AMM, dont le Trésorier Monsieur TALON.
Avec votre Présidente Mme DE BLECKER et Monsieur GUYON, en charge de la formation, nous souhaitons resserrer les liens entre AMM et son 3ème membre fondateur, notamment par le biais de l’organisation de séances d’information et aussi de formations.
Aujourd’hui notre association a tous les atouts pour connaitre une réelle expansion.
Depuis un an, elle s’est ouverte à des médiateurs issus d’autres professions, 12 nouveaux membres, issus notamment de l’entreprise, nous ont rejoints et nous avons mis sur pied des groupes de travail générant une nouvelle dynamique.

J’invite les experts de l’UCEJAM souhaitant devenir médiateurs, à adhérer à AMM et à en devenir membre actif en se formant à la Médiation, car notre centre étant affilié à la FNCM, ses membres actifs, donc médiateurs, sont tenus de respecter les critères de formation de la FNCM, à savoir :
1) Une formation principale de 200 h comportant :
- une formation de base de 40 h
- et une formation d’approfondissement de 160 h
2) Une formation de spécialisation (familiale, entreprise) de 100 h.
3) Formation continue de 20 h par an. Voir annuaire de la FNCM.

Vous êtes expert dans des domaines très divers et pourriez, en devenant médiateur formé, étoffer l’offre de médiateurs de notre association, dans les domaines qui sont les vôtres, car il sera toujours plus facile à un médiateur d’intervenir dans un domaine qu’il connait.
L’expert peut en effet devenir médiateur à condition bien sûr de ne pas mélanger les deux fonctions : dans un même dossier l’expert ne peut réaliser une médiation entre les parties.
Par contre en qualité de médiateur, il pourra s’appuyer sur ses connaissances techniques en tant qu’expert, pour comprendre les rapports d’expertise judiciaires ou amiables ou de partie, dont il aura connaissance, afin de faciliter la recherche de solutions par les parties elles-mêmes.

Même sans vouloir devenir médiateur, le fait de suivre la formation au moins de base, vous permet de comprendre le processus et d’avoir une ouverture sur d’autres manières d’aborder votre travail d’expert.
Je reste à votre disposition pour vous donner de plus amples renseignements.
Je passe maintenant la parole à Madame Danielle CLEMENT qui va revenir sur la réception du rapport d’expertise de partie dans la Médiation.

Exposé de Danielle CLÉMENT, Médiatrice Alpes-Maritimes Médiation

Mesdames Messieurs les Magistrats, Monsieur le Bâtonnier, Chers Collègues de l’UCEJAM, Mesdames Messieurs,
Quelle est la route qui vous mène vers l’expertise et la médiation, la mienne en deux mots est simple, un diplôme d’architecte DPLG en novembre 1982, dix ans dans un Conseil de Prud’hommes aux Activités Diverses dans une ville de grande banlieue
parisienne Argenteuil, l’UCEJAM et l’expertise judiciaire, un perfectionnement d’un an à l’Expertise judiciaire à l’Université d’Avignon, puis une formation à la Médiation
ici à la Faculté de Droit de Nice...
Et depuis, comme tous mes collègues, une formation permanente dans ces deux disciplines, l’expertise et la médiation, et depuis quelques années, une collaboration avec un cabinet d’expertise réputé à Nice, le Cabinet Jaussein et Alpes Maritimes Médiation présidé par Me Flavin Cohen.

Trois rencontres également ici, rencontres majeures en ce qui me concerne parce-qu’elles ont contribué à m’inculquer une vision de la résolution du conflit tout à fait originale, hors du commun, celles de Thomas Fiutak, célèbre médiateur américain, Jacques Salzer, médiateur que vous connaissez tous ici, et Jean François Jacob à l’UCEJAM.
Je veux ici les saluer parcequ’ils ont confirmé ce que je pressentais déjà lorsque je présidais les activités diverses aux Prud’hommes, c’est que nous devons tout faire pour privilégier la médiation.

Aux Prud’hommes, lorsque nous enchaînions à tour de bras les innombrables conciliations, frustrés de ne pas avoir plus de temps à consacrer à ces hommes et ces femmes dans des situations impossibles, nous savions qu’avec un peu plus de temps et d’écoute, nous aurions pu les amener à trouver des solutions à leurs conflits, conflits parfois puérils, parfois tristes ou souvent dramatiques, hélas, la perte d’un emploi est toujours tragique.

En 13 ou 14 ans d’expertise, que ce soit en expertise judiciaire, expertise privée, ou en qualité d’expert de partie, je peux ici affirmer qu’environ 30 ou 40% des expertises
interminables que nous pratiquons pourraient être résolues en 6 mois par une médiation, un exemple récent, deux voisins dans un village, l’un deux en déménageant une grue heurte la restanque du voisin qui sécroule... à partir de ce fait si banal... enchaînement de procès, référés, expertises judiciaires, trois ans de combats, plus de 12.000 euros dépensés en consignations et conseils, et un climat de haine incroyable...

Quelle était la réalité, l’un des deux hommes n’était pas « du village », c’était aux yeux de l’autre l’étranger, des lettres anonymes avaient circulé attaquant la vie privée de l’un deux qui était persuadé que c’était l’autre qui les avaient rédigées, nous avons su plus tard que c’était un jardinier licencié qui était le coupable... Alors, pour un expert, qu’elle n’est pas notre frustration de ne pouvoir concilier alors que nous avions de façon si évidente des solutions à proposer. Mais bien entendu, en bons techniciens que nous étions, nous avons rendu notre rapport technique au Magistrat, décrivant la grue, la restanque écroulée en trois dimensions, les solutions pour la rebâtir, nous avions envoyé notre rapport provisoire aux Conseils, qui ont échangé leurs Dires et les mois ont passé sur cette restanque écroulée, et la haine je suppose est toujours là, même si la restanque est rebâtie...

Ce que je veux tenter de prouver avec ce récit, c’est qu’en expertise, nous sommes souvent confrontés avec des faits techniques mineurs qui cachent une forêt de non dits, de frustrations et de douleurs ,qui pourraient- être résolus par une médiation et on revient toujours à cet « enchevêtrement de problèmes accumulés » dont parle Jacques Salzer dans l’un de ses ouvrages...

Nous pouvons être confrontés à un autre problème en médiation lorsque nous avons un passé d’expert...
Vous le savez bien, la situation se renverse, en expertise nous n’étions pas là pour concilier nous étions des techniciens purs et durs, en médiation, si par hasard et c’est souvent le cas, on nous confie une mission touchant de près à notre profession et notre expertise, il nous faut habilement conduire les Médiés vers des résolutions de conflits, sans leur imposer ni même leur suggérer des solutions techniques qui nous semblent à nous, techniciens, évidentes et ce dilemne, nous renvoie à nos interminables discussions lors de notre formation à la médiation, est-on un meilleur médiateur en étant innocent et seulement paré de quelque bon sens ?
Un expert en automobile peut il aider à la reconciliation de deux soeurs qui se disputent un héritage, un expert en comptabilité peut il conduire une médiation entre deux cuisiniers ou deux commandants de bord ? Ce que je sais en ce qui me concerne, c’est que ma profession d’origine m’est d’un grand secours lorsque je suis chargée d’un médiation qui touche de près à la construction...
Je voudrais maintenant aborder après cette longue parenthèse, le thème de cette conférence, l’expertise de partie, tout d’abord dans les procès, et confirmer combien ces missions, qui pourraient selon certains sembler secondaires sont à réaliser
avec le plus grand sérieux et la plus grande rigueur.
L’Acte fondateur de l’expertise est une décision de justice rendue, soit d’office, soit à la demande d’une partie. Dans les deux cas, le recours à l’expert contient un aveu d’impuissance : les juristes ne s’en sortiront pas tous seuls. L’alchimie du fait et du droit ne s’opère pas. Le réel résiste, mais dans la phase antérieure à la nomination
de l’expert, la parole de l’avocat est fondatrice...

A cette liberté de l’avocat de tout dire, répond l’obligation à la charge de l’expert de prendre en considération les observations ou réclamations des parties et, losqu’elles
sont écrites, de les joindre à son avis si les parties le demandent comme le stipule l’article 276 du NCPC.

Les avocats que nous rencontrons en expertise et c’est normal, sont très intransigeants sur le respect du débat contradictoire et semblent particulièrement agacés par le conversations à bâtons rompus sur le lieux des expertises entres experts de parties et ou experts d’assurances.

Ce que l’avocat semble redouter et qui menace de déséquilibrer l’expertise c’est :
Le déficit d’informations par rapport à ce que l’expert sait L’argument inopérant demeuré inconnu de lui alors que l’expert, qui en a eu connaissance en catimini, a pu en être ébranlé.
L’avocat tient pour une liberté fondamentale, et nous devons, nous ,experts de parties
ou experts judiciaires en tenir compte, que ce soit dans les procès ou modes amiables impliquant des experts, ce qui doit lui permettre de tout voir et de tout entendre. Rien ne doit lui être caché de ce qui s’échange, se constate, se dit au cours de l’expertise ; à peine de voir formuler après coup, vis à vis de l’expert et de son rapport le reproche de partialité.
L’expert de justice lorsqu’il a ma formation, ne défend pas les parties, il les écoute, mais cela avantage de fait les professionnels de la construction, car ceux-ci sont à même de lui apporter plus d’éléments techniques..
Pour l’autre partie, s’en remettre à son seul avocat permet, certes d’être conseillé sur ses droits, mais ne permet en aucun cas de lutter à armes égales contre ses adversaries professionnels de la matière, objet du litige.

Le recours à un expert, conseiller technique, est la solution, pour rétablir l’équilibre entre les parties, pour commencer, en phase de rédaction de l’assignation initiale, puis lors des réunions d’expertises contradictoires, lors de la rédaction des dires techniques et enfin dans la phase de réponse aux notes de synthèse et pré-rapport
de l’expert de justice.

L’expert de justice peut-il être expert des parties ou expert-conseil ?
Il est fréquent que des experts régulièrement nommés comme experts de justice, acceptent, par ailleurs, des missions d’experts de parties, comme le prévoit l’article 161 du CPC, ils ne peuvent bien entendu, avoir « ces deux casquettes » dans la même instance (article 9 du CPC).

Par ailleurs, avoir été expert de justice est un atout pour être expert de partie ou expert-conseil. Un tel expert, connaissant bien les rouages de la procédure, peut adapter les périmètres de son expérience et le format de son rapport, aux besoins de procédures judiciaires ou administrative.

C’est un gage d’efficacité pour le justiciable.

La discrimination constatée dans la jurisprudence de la Cour de Cassation entre l’expertise judiciaire et les autres expertises, s’explique certainement par le fait que seule la première est soumise aux règles précises et contraignantes du NCPC qui imposent le respect sans faille du contradictoire tout au long des opérations d’expertises et non seulement après le dépôt de l’expert. Reste que l’on peut douter de l’égalité des armes, lorsqu’une partie se voit opposer une expertise à laquelle elle n’avait pas été appelée ni représentée.
Certes on peut discuter l’avis de l’expert, produire un avis contraire et, même, solliciter une expertise judiciaire,mais la tâche est certainement alors extrêmement difficile, surtout dans le cadre d’une prodécure collective.

En conclusion, et selon la théorie de Lock, les qualités première de l’expertise qu’elle soit judiciaire ou non, seraient très matérielles : son nombre de pages, sa typographie,
son iconographie, son contenu technique, l’utilisation des outils scientifiques, sa conformité à la procédure et le respect du code de procédure civile et j’ajouterai à titre personnel, un certain respect de l’orthographe qui fait souvent défaut et qui discrédite l’Expert...

Ses qualités secondes qui ne se révéleraient que par le regard porté sur elles .Le regard du juge, de l’avocat, des parties, de l’expert conseil, des parties, tous ces regards porteraient à ce moment là sur l’exactitude des constatations, la pertinence
technique et scientifique, le respect dans la discussion et la réfutation de l’opinion
d’autrui et en général le caractère pédagogique du rapport.
Dans les trois catégories de jugement décrites par Kant et les trois catégories de qualité, affirmative, négative, indéfini, le Juge ou le Magistrat n’a pas droit à la troisième catégorie.

En effet, le Juge doit décider,affirmatif ou négatif ; le Juge doit juger, il doit dire le droit et ne peut laisser la demande qui lui est faite dans l’indéfini, ce serait un déni de justice. Le juge n’a pas le droit à la non réponse alors que l’expert, lui, peut conclure soit à l’impossibilité de répondre à la question posée ou répondre que la question est indéfinie.
Nous avons encore une fois la preuve de la distinction entre la mission du Juge et la mission de l’expert, entre la question technique et la question de droit, tout simplement de la distinction entre le fait et le droit. L’interrogation scientifique peut rester sans réponse, c’est une de ses qualités, l’interrogation du justiciable, non, c’est sa qualité première.

On parle souvent de l’identification à la fois de l’expertise et de l’expert, en réalité,
qu’est-ce qu’un expert ? qui est cet homme ou cette femme qui va donner de la réalité, qualité essentielle de l’expertise au sens de Kant, comment l’identifier ? la qualifier ?, la question n’est pas simple car les enjeux sous-jacents sont très concrets et parfois très importants, je citerai pour exemple une mission dont on parle ces jours ci, les experts chargés de l’analyse des dépouilles de Moines de Tibéri qui accompagnent un magistrat en Algérie.
Face à la confusion sur le rôle de l’expert, à ces ambiguïtés, ne serait ‘il pas le moment d’appeler un chat un chat et de reconnaître un état de fait : l’expertise de qualité est réalisée par un expert qui exerce une activité professionnelle à temps partiel. Le mot profession fait peur et pourtant c’est ce qui donne de la réalité à l’expertise de qualité, reconnaissons à l’expert la professionnalisation de son activité expertale, cohabitant avec son métier de référence, et faisons de même pour les Médiateurs, à condition bien entendu qu’il ne s’agisse pas d’experts ou de médiateurs auto proclamés sans aucune formation sérieuse.

Ce n’est pas avec des opinions que l’on approche de la vérité, mais avec des confrontations, des idées provocatrices et des débats, que l’on entame le chemin vers elle.
A vous Magistrats et Avocats et à nous Médiateurs et Experts, de faire cohabiter légalisme et imagination ; de concilier philosophie et action, de garder intacte notre capacité de nous indigner et notre devoir de respect des normes établies ; de réconcilier technicité et humanisme, tel est le futur en matière d’expertise et de médiation et comme disait récemment Monsieur Jean Luc Doom, Président du TGI de Beauvais, c’est pour l’avenir vouloir à la fois être Antigone et Créon, c’est ce à quoi je vous convie et je vous remercie de votre attention.

Informations pratiques

Bureau 2015 de l’UCEJAM
Valérie DE BLECKER, Présidente
Patricia MANNARINI-SEURT, Vice-Présidente
Christian GUYON, Secrétaire général
François TALON, Trésorier

Siège social : « Le Minotaure », 34 avenue Henri Matisse, 06200 NICE
Tél. : 04 93 72 42 00 - Fax : 04 93 72 42 29
Email : [email protected]

Retrouvez la partie 1/4 du cycle Les vices cachés et l’expert de Justice en cliquant ici

Retrouvez la partie 2/4 du cycle sur le responsabilité civile de l’expert en cliquant ici

La semaine prochaine : Le Juge et l’Expert 4/4

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