UCEJAM : La responsabilit

UCEJAM : La responsabilité civile de l’Expert judiciaire (2/4)

Les Petites Affiches sont partenaires de l’UCEJAM 06 et à ce titre publient chaque année le compte-rendu complet des séances de formation à la Faculté de Nice de l’année écoulée.
Nous vous proposons de découvrir l’excellence de ces formations à compter de ce jeudi et pour quatre semaines. Vous trouverez ci-dessous la formation présentée par Anne Trescases sur la responsabilité civile de l’Expert judiciaire.

LA RESPONSABILITÉ CIVILE DE L’EXPERT JUDICIAIRE

Exposé du Mardi 17 juin 2014 de Anne TRESCASES, Maître de conférences, Université Nice Sophia-Antipolis, GREDEG-CREDECO, UMR 7321

La question de la responsabilité civile de l’Expert judiciaire s’inscrit dans un débat plus large, celui du statut des Experts (1) pour lequel des aménagements sont régulièrement sollicités, notamment en termes d’accès à la fonction et de contrôle de la fonction. L’Expert judiciaire est mandaté pour rechercher la Vérité, pour favoriser son accès. Comme chaque partie a par ailleurs sa vérité, la crainte que l’une des parties au moins ne sera pas satisfaite par les conclusions du rapport et souhaite le remettre en cause en recherchant, notamment, la responsabilité civile de l’Expert n’est donc pas que théorique.

Derrière la responsabilité de l’Expert judiciaire, qu’elle soit disciplinaire, pénale, ou plus particulièrement civile, ce que l’une des parties cherche ainsi souvent avant tout, c’est la nullité de tout ou partie de l’expertise ou encore la réduction des honoraires de l’Expert.

Il n’est pas inutile de rappeler que pendant longtemps, la jurisprudence s’est montrée relativement hostile à la mise en cause de la responsabilité civile de l’Expert, en l’absence de texte spécifique (2). Cette réticence initiale à engager sa responsabilité avait des sources multiples. Parmi les arguments les plus souvent avancés, dominait l’idée selon laquelle critiquer le travail de l’Expert revenait à remettre en cause la décision du juge ayant entériné ses conclusions et donc à contredire l’autorité de la chose jugée (3) .

Le travail de l’Expert judiciaire était assimilé à celui du juge et il s’ensuivait que sa responsabilité ne pouvait être recherchée que dans des conditions extrêmement restrictives, les mêmes que celles où le juge pouvait l’être.

L’Expert judiciaire bénéficiait en quelque sorte de l’immunité pleine et entière applicable aux magistrats en raison de la spécificité judiciaire des tâches qu’il se voyait confier. L’idée sous-jacente était que rien ne devait entraver l’Expert dans sa recherche de la vérité et surtout pas la crainte des responsabilités qu’il pouvait encourir (4) .
L’indépendance de l’Expert était garantie en évitant sa mise en cause, raison pour laquelle seules les fautes intentionnelles pouvaient lui être reprochées. Sa responsabilité en qualité de collaborateur du service public, ne pouvait de ce fait être retenue qu’en cas de fraude ou de dol (5) .
Un arrêt du 26 octobre 19146 est venu distinguer selon que le rapport était ou non homologué par le juge et considérer que la responsabilité de l’Expert ne pouvait être recherchée qu’en l’absence d’homologation du rapport critiqué (7).

Pour répondre aux importantes critiques doctrinales sur ce point, il a ensuite été soutenu que l’autorité de la chose jugée n’était pas remise en cause par la mise en oeuvre de la responsabilité de l’Expert judiciaire, laquelle permettait d’indemniser une partie du préjudice que la faute de l’Expert avait causé à l’une des parties (8).
Depuis lors, même s’il n’est pas discuté que le rapport de l’Expert constitue un simple avis qui ne lie pas la juridiction (CPC, art. 246) (9), l’Expert ne peut plus échapper à ses responsabilités lorsqu’il est démontré que sa faute a causé un préjudice à l’une des parties au procès (10). La responsabilité de l’Expert peut donc être engagée alors même que le juge a suivi son avis, dans l’ignorance de l’erreur dont le rapport se trouvait entaché (11).

En cas de méconnaissance de ses obligations et devoirs, les conséquences sont désormais susceptibles d’être lourdes pour l’Expert sur le plan de la responsabilité civile, sans oublier son remplacement possible par le juge (CPC, art. 235), son retrait éventuel de la liste des Experts, le prononcé de la nullité de ses opérations d’expertise, la réduction de sa rémunération par le juge taxateur, ou encore les sanctions disciplinaires profondément remaniées par la loi du 29 juillet 2004 (12) et le risque de mise en oeuvre de sa responsabilité pénale en cas de violation du secret professionnel (13), de délit de fausse déclaration, ou encore de délit de corruption.
En l’absence de tout lien contractuel avec les parties (14) , la responsabilité civile de l’Expert judiciaire est actuellement recherchée sur le terrain du droit commun de la responsabilité civile délictuelle (15) ou quasi délictuelle.

Elle relève donc des articles 1382 et 1383 du Code civil étant précisé que cette responsabilité personnelle, à raison des fautes commises par l’Expert dans l’accomplissement de sa mission n’engage pas celle de l’Etat et ce même si l’Expert est désigné par un juge. Si le principe de l’application des règles du droit commun de la responsabilité extra contractuelle a finalement été admis, les recours en responsabilité devant le juge judiciaire (16) contre les Experts judiciaires restent encore rares (I).
En outre, cette reconnaissance soulève des difficultés de mise en oeuvre concernant, notamment, le point de départ du délai de prescription. Elle suppose aussi que l’Expert judiciaire veille à souscrire spontanément une assurance responsabilité civile professionnelle et ce, même s’il n’en n’a pas l’obligation (II).

I. – L’ADMISSION THÉORIQUE D’UNE RESPONSABILITÉ CIVILE DE L’EXPERT

Conformément à l’article 1382 du Code civil au terme duquel « tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer », la partie qui souhaite mettre en cause la responsabilité civile de l’Expert judiciaire doit emporter la conviction des juges du fond de l’existenced’une faute, mais également d’un préjudice réparable et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice (17). Si la responsabilité de l’auxiliaire temporaire de justice qu’est l’Expert judiciaire, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile, ne fait plus débat (A), des résistances subsistent cependant dans sa mise en oeuvre, résistance qui se justifie notamment par la spécificité du travail confié à l’Expert (B).

A. Le principe d’une responsabilité civile de l’Expert

Les fautes susceptibles d’être reprochées à l’Expert judiciaire sont aussi nombreuses que la variété des missions susceptibles de lui être confiées -1-. Les dommages résultant de telles fautes peuvent également être très différents même si la plupart du temps le préjudice indemnisable est d’ordre pécuniaire -2-.

1. La variété des fautes imputables à l’Expert

Conformément aux articles 1382 et 1383 du Code civil, toute faute, même légère et non intentionnelle permet d’engager la responsabilité de l’Expert, à condition qu’elle ait causé un préjudice au demandeur.

En raison de la diversité des missions confiées à l’Expert de justice et des domaines de compétences dans lesquels elles s’exercent, la gamme des fautes susceptibles d’engager la responsabilité civile de l’Expert dans le cadre de sa mission est très étendue. Deux grands types de fautes peuvent cependant être distingués. Celles liées au non-respect des obligations procédurales et les erreurs commises dans le cadre de la rédaction de ses conclusions ou les négligences ou fautes techniques dans l’exécution de sa mission.
S’il est interdit à l’expert de dire le droit, celui-ci ne peut cependant pas totalement l’ignorer puisqu’il doit connaître l’ensemble des règles de procédure qu’il doit respecter et parfois même faire respecter.
Les fautes qui lui sont imputables ont ainsi pour corollaire les obligations et les devoirs qui lui sont impartis par le Code de procédure civile dans l’exécution de sa mission.
Parmi ces obligations, il revient à l’expert qui ne veut pas voir sa responsabilité engagée (18) , d’accomplir personnellement la mission qui lui a été confiée et de veiller au recrutement des collaborateurs qu’il s’attache pour effectuer des tâches matérielles (CPC, 233 du CPC). Il en est responsable (19) et doit donc s’assurer qu’ils présentent les garanties nécessaires.
De la même manière, s’il se fait assister dans l’accomplissement de sa mission par la personne de son choix d’une spécialité différente de la sienne pour répondre clairement et de manière suffisante à chacun des points évoqués dans sa mission (CPC 278-1), cette personne intervient sous son contrôle et sa responsabilité (20).

L’Expert est donc responsable de la personne qu’il fait intervenir, mais il peut également voir sa responsabilité recherchée lorsqu’il a omis de solliciter un spécialiste pour des questions dépassant sa connaissance, même si sa liberté technique n’est pas discutée (21). Le dépôt et la communication du rapport aux parties dans les délais impartis par le juge (CPC 239) sont essentiels pour éviter de voir sa responsabilité recherchée si l’une des parties parvient à rapporter la preuve du préjudice causé par le retard, étant précisé que la surcharge de travail de l’Expert n’est pas une cause exonératoire de responsabilité (22).
Il va de soi que l’Expert ne pourra pas se voir reprocher un retard s’il a formulé des demandes de report justifiées et qu’elles ont été autorisées par le juge chargé du contrôle des expertises23. L’Expert doit encore se conformer strictement aux principes directeurs du procès parmi lesquels figure en bonne place le principe impérieux de la contradiction (24) pour garantir une expertise équitable (25) aux parties prenantes à l’expertise (26).
La garantie du respect des droits de la défense suppose par exemple que l’Expert connaisse l’ensemble des parties concernées par le litige et qu’il les convoque suffisamment à l’avance pour permettre l’effectivité de la défense à chaque réunion qu’il organise (27). Il doit encore les mettre en mesure de présenter toutes leurs observations et pièces tout au long de l’expertise afin d’éviter la nullité du rapport (28) ou la mise en jeu de sa responsabilité (29).

À cette fin, l’Expert doit veiller à ce que le rapport définitif indique précisément la date de ses convocations et la présence ou l’absence de telle ou telle partie et/ou de son ou ses conseils. Il ne doit pas oublier non plus de soumettre aux parties le résultat de ses investigations afin qu’elles puissent en débattre contradictoirement avant le dépôt de son rapport (30). Le respect du contradictoire est très rigoureux.

Ainsi, dans un arrêt du 1er février 2012 (31), concernant le paiement direct d’une rente viagère à titre de prestation compensatoire dans le cadre d’une procédure de divorce, la cour de cassation a considéré que le fait pour les parties de pouvoir soumettre au juge leurs observations sur une pièce annexée au rapport ne suffisait pas. En d’autres termes, les parties auraient dû pouvoir débattre de cette pièce, devant l’Expert judiciaire, et ce, avant l’audience (32).

Il doit encore faire preuve de discrétion (CPC 247) dans la mesure où il est tenu au secret professionnel. Il n’est pas inimaginable de voir la responsabilité de l’Expert engagée si ce dernier divulguait en dehors de l’instance des informations portant à la vie privée ou à tout autre intérêt légitime.
De manière tout à fait cohérente, la probité dont il doit faire preuve (CPC 248) lui interdit de recevoir directement d’une partie, sous quelque forme que ce soit, une rémunération autre que celle fixée par le juge, même au titre de remboursements de débours (33).
Il s’ensuit que l’Expert doit veiller à passer systématiquement par une décision du juge pour ne pas ensuite se voir reprocher un manque de probité, voire d’impartialité ou d’indépendance. Il en est ainsi lorsque l’Expert sollicitera une consignation supplémentaire par exemple.

L’Expert peut encore voir sa responsabilité engagée en cas de manquement à ses devoirs.

Parmi ceux-ci, existe celui de dignité qui doit non seulement présider dans les réunions mais aussi dans la rédaction du rapport. Il doit faire preuve d’indépendance ou demander sa récusation devant le juge qui l’a commis ou celui chargé du contrôle (34), avant qu’elle ne soit sollicitée par l’une des parties. Ce devoir d’indépendance l’oblige à faire preuve de transparence envers les parties et il pourra voir sa responsabilité recherchée s’il n’a pas révélé qu’il était récusable (35). De la même manière, il doit naturellement faire preuve d’impartialité (36).

Les motifs de manquements sont aussi nombreux que les obligations et devoirs qui pèsent sur l’Expert judiciaire. Ce dernier pourra également voir sa responsabilité recherchée en cas d’erreurs dans ses conclusions ou preuves de négligences manifestes et à ce stade il convient de relever que ces fautes sont beaucoup plus difficiles à détecter que celles liées au non-respect des prescriptions du Code de procédure civile. Ces fautes commises dans les travaux qu’il a accomplis et dans l’avis qu’il a émis peuvent prendre des formes très différentes.
L’Expert judiciaire peut ainsi être inquiété lorsqu’il est démontré qu’il a cherché à fausser l’opinion du juge (37), en falsifiant dans son rapport les données ou les résultats de l’expertise par exemple (38) . La mauvaise évaluation d’un bien peut également lui être reprochée (39) ou le fait d’avoir omis de demander un certificat d’urbanisme fixant les conditions de constructibilité d’un terrain alors qu’il était chargé de l’évaluer en vue de la vente (40).

Dans certaines circonstances, a été jugé fautif le fait de procéder par le biais d’affirmations trop rapides (41) d’examen trop superficiel des informations fournies (42), ou d’investigations sommaires (43) , de préconisations inadéquates (44) provoquant de nouveaux désordres (45) ou de préconisations insuffisantes (46), d’erreurs de diagnostic ou d’interprétation ou encore de perte (47) ou de non restitution de documents (48), de contestation de la méthode employée (49), de carences ou manquements, dans l’exercice de sa mission.

La jurisprudence a encore considéré qu’était responsable l’Expert qui s’était abstenu de surveiller des travaux que le maître de l’ouvrage avait été autorisé judiciairement à effectuer (50). Il a encore été imputé à l’Expert judiciaire une erreur de dactylographie qui a porté l’incapacité permanente partielle de la victime à 30% au lieu de 3%, provoquant ainsi une augmentation considérable de l’indemnisation versée par l’assureur qui a ensuite recherché la responsabilité de l’Expert (51). L’erreur dans le travail de rédaction a ici coûté cher à l’Expert qui n’a pas pris le temps de relire son rapport avant de le déposer.

L’Expert judiciaire ne saurait être tenu à une obligation de résultat mais à une simple obligation de moyens. Ici, il convient de retenir la référence à l’Expert normalement prudent, diligent, compétent et soucieux d’apporter son concours à la recherche de la vérité (52) . L’Expert doit se comporter comme un bon père de famille mais sur le terrain de l’article 1382 du Code civil cette fois (53).

À l’inverse, une erreur commise par un Expert qui a agi avec compétence et conscience professionnelle ne pourra voir sa responsabilité engagée comme en témoigne l’exemple de la célèbre affaire de Pont Saint-Esprit (54). Pour se dégager de sa responsabilité, l’Expert devra donc être en mesure de rapporter la preuve qu’il a fait tout son possible pour parvenir à établir la vérité, compte tenu des règles propres à sa profession, mais aussi du temps et des moyens techniques qu’il a pu consacrer à l’accomplissement de sa mission.

En tenant compte des moyens techniques raisonnables à la disposition de l’Expert au moment des opérations, il a ainsi été jugé que l’Expert a commis une faute en donnant un avis catégorique après une analyse graphologique alors que la science ou la technique utilisée ne peut conduire à des résultats exacts ou incontestables (55).
A l’inverse, une erreur manifeste ne sera pas constitutive d’une faute si l’Expert parvient à faire la preuve qu’il a rempli sa mission de manière avisée et consciencieuse, en l’état des techniques dont il disposait (56).

C’est au juge qu’il reviendra d’apprécier si l’Expert judiciaire a fait ce qu’il aurait dû faire. Et lorsque les compétences techniques du juge se révèlent insuffisantes pour porter une telle appréciation, il devra se faire assister par un autre Expert qui appréciera le travail du premier ou encore s’appuyer sur des expertises amiables lorsque celles-ci existent. Rappelons que le succès de l’action en réparation engagée contre l’Expert suppose qu’une faute soit établie mais aussi l’existence d’un dommage, ce qui nous conduit à nous interroger sur la nature des préjudices indemnisables.

2. La nature des préjudices indemnisables

Lorsqu’il est rapporté la preuve d’une faute commise par l’Expert judiciaire, le paiement des dommages intérêts sera encore subordonné à l’existence d’un dommage, étant précisé que la demande de nullité du rapport d’expertise sera privilégiée lorsque l’erreur ou la faute de l’Expert ont été découvertes avant le jugement et qu’une action en responsabilité sera en revanche généralement introduite lorsque le jugement est d’ores et déjà intervenu. Dans la diversité des préjudices indemnisables, les plus fréquents sont d’ordre patrimonial mais il existe aussi parfois des préjudices d’ordre extrapatrimonial, sans oublier ceux d’ordre corporel.

Dans la grande majorité des cas, le préjudice est d’ordre pécuniaire et les exemples ne manquent pas en la matière. Ainsi, en présence d’une erreur matérielle de dactylographie indécelable sur le chiffrage du taux d’incapacité (30% au lieu de 3%) dans un rapport médical qui aboutit à une incapacité 10 fois supérieure à l’incapacité réelle, l’assureur qui a versé une indemnisation surévaluée est ensuite bien fondé à obtenir réparation auprès de l’Expert (57).
Il en est de même lorsque le rapport a conduit à solliciter une indemnisation insuffisante pour remédier aux désordres constatés sur une maison (58) ou lorsque les travaux ordonnés suite aux préconisations de l’Expert n’ont pas permis de remédier aux désordres constatés et non discutés (59).
Le propriétaire privé de l’usage de son véhicule, en raison du retard mis par l’Expert à déposer son rapport, peut aussi demander réparation à l’Expert (60). Le préjudice peut encore résider dans le fait de saisir une autre juridiction et donc d’exposer de nouveaux frais de justice suite aux nouvelles mesures d’instructions ordonnées par cette juridiction en raison des premières conclusions erronées de l’Expert (61).

Le préjudice consiste aussi souvent en une perte de chance définie comme « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (62). Tel est le cas par exemple lorsque le retard de l’Expert dans le dépôt du rapport d’expertise a fait perdre au demandeur une chance de mener à bien son procès (63). Dans une autre affaire, il a été jugé que le non dépôt par l’Expert de son rapport a privé un entrepreneur d’une chance d’obtenir le paiement de sa créance (64).
Une fois le principe de l’indemnisation de la perte d’une chance admis, encore faut-il savoir dans quelle mesure le juge peut la réparer. En la matière, la cour de cassation considère que « la réparation de la perte d’une chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle était réalisée » (65).

Ainsi, il semble que seule la perte de chance puisse constituer le préjudice réparable et non l’avantage escompté, à condition que la chance perdue soit réelle et sérieuse dès lors que le préjudice éventuel ne peut être réparé. Ainsi a-t-il été décidé que lorsque le dommage résulte de la perte d’une chance de réussite d’une action en justice, « le caractère réel et sérieux de la chance perdue doit s’apprécier au regard de la probabilité de succès de cette action » (66). La demande d’indemnisation sera donc rejetée lorsque le demandeur n’est pas en mesure de rapporter la preuve que le retard dans le dépôt du rapport d’expertise l’a empêché d’obtenir le paiement d’une partie au moins de sa créance, ce qui lui aurait évité le placement en liquidation judiciaire (67), ou lorsqu’il ne parvient pas à démontrer qu’il n’aurait pas transigé avec son employeur et ainsi obtenu le paiement d’heures supplémentaires devant le tribunal si l’Expert avait correctement accompli sa mission (68) , ou encore lorsqu’il aurait pu obtenir le paiement d’une prestation compensatoire de la part de son conjoint en l’absence de faute de l’Expert (69).

Parfois le préjudice indemnisable est de nature extrapatrimoniale. Il en est ainsi lorsque la personne incarcérée demande une indemnisation à l’Expert dès lors qu’il considère que son enfermement prononcé par le juge est le résultat direct des erreurs commises par un Expert (70).

De manière plus rare peut être invoquée la réparation d’un préjudice corporel. C’est ce qu’a ainsi décidé un juge suite à la prescription par un chirurgien-dentiste d’un appareil dangereux qui a provoqué une perforation de l’oeil d’un enfant (71). Mais il est tout à fait envisageable d’étendre cette solution en matière automobile aux dommages causés par des véhicules endommagés, dont les réparations ont été préconisées par un Expert et suivies par lui.
En pratique, en dépit des nombreux exemples parfois topiques qui peuvent être relevés, les mises en cause de l’Expert sont rares et cette résistance au principe de la responsabilité civile de l’Expert judiciaire réside dans plusieurs fondements.

B. La résistance pratique au principe de la responsabilité de l’Expert judiciaire

L’admission de principe de la responsabilité civile des Experts judiciaires se heurte à certaines résistances traditionnelles -1-, qui se concentrent notamment autour de la difficile démonstration d’un lien de causalité entre le rapport d’expertise et le préjudice.
Quel que soit le préjudice allégué, le demandeur aura souvent des difficultés à établir que les constatations ou conclusions de l’Expert ont eu une incidence sur la décision du juge -2-.

1. Les arguments traditionnels de résistance

Certaines décisions retiennent encore que la décision du juge reste la seule source de préjudice et qu’il est donc impossible de rechercher la responsabilité de l’expert pour obtenir une indemnisation.
Le premier argument et le plus ancien consiste à défendre l’idée selon laquelle le juge n’est pas tenu par l’avis de l’Expert (CPC, art. 946) et qu’en conséquence, la cause du préjudice allégué ne réside pas dans le rapport d’expertise mais dans la décision libre et éclairée prise par le juge (72). La rupture de la chaine causale serait provoquée par le juge.

Un autre argument de défense repose sur le postulat également ancien selon lequel l’utilisation du rapport par le juge le purgerait de ses erreurs. Des décisions relativement récentes considèrent ainsi que lorsque le juge a entériné les conclusions du rapport d’expertise, celles-ci se trouvent incorporées à la décision rendue et bénéficient de l’autorité de la chose jugée (73). Les critiques formulées contre le rapport d’expertise pendant le procès et qui n’auraient pas donné lieu de la part du juge à une demande d’annulation du rapport, de contre expertise ou de complément d’expertise par exemple, purgeraient donc le débat et ne permettraient plus d’être présentées ultérieurement devant un juge au soutien d’une action en responsabilité contre l’Expert judiciaire.

Ces solutions qui présentent l’avantage de dégager la responsabilité de l’expert procèdent d’une confusion entre l’avis de l’Expert et la décision du juge. La réticence diffuse mais bien réelle des tribunaux à admettre les fautes de l’Expert conduisent certaines juridictions à refuser d’engager la responsabilité de l’Expert en l’absence « d’erreurs grossières » et « d’intention malveillante ou d’un dessein de nuire » (74).
De manière plus générale, la réalité est aussi que les juges ne sont pas toujours en mesure de déceler les fautes de l’Expert qu’ils ont désigné en raison de la technicité des débats, qui a d’ailleurs justifié sa désignation. La difficulté à établir un lien causal permet encore souvent à l’Expert d’échapper à la responsabilité de droit commun des articles 1382 et suivants du Code civil.

2. L’épineuse caractérisation du lien de causalité

La difficulté tenant à l’établissement du lien de causalité n’est certainement pas la plus simple à résoudre (75). Les juges saisis d’une action en responsabilité contre l’Expert sont amenés à rechercher si la décision rendue par le juge et passée en force de chose jugée, s’est fondée sur le rapport d’expertise et si ce rapport s’est imposé au juge en raison de son caractère technique et a donc échappé au contrôle et à la discussion des parties au cours des débats postérieurs au dépôt du rapport. Dans l’affirmative, le lien de causalité entre les fautes de l’Expert et le préjudice pourra être considéré comme établi. Dans la négative, la responsabilité de l’Expert ne pourra pas être recherchée.
En pratique, la preuve que l’agissement fautif reproché à l’Expert a déterminé la décision du juge, l’a directement induit en erreur et s’est imposé à lui en raison de son caractère technique est en pratique difficile à rapporter.

Tout d’abord, il n’est pas aisé de rapporter la preuve que la décision préjudiciable est fondée sur le seul rapport d’expertise. En effet, le juge ne s’est pas nécessairement appuyé sur le seul rapport d’expertise pour rendre sa décision. Il a parfaitement pu forger sa conviction au vu d’autres pièces (76) dont il est fait état dans sa décision. La motivation de la décision sera décisive dans ce cadre puisqu’elle permettra en théorie de rechercher dans quelle mesure elle a pu ou non être influencée par les erreurs préjudiciables commises par l’Expert (77).

À ce stade, la pratique de « la pioche » qui consiste pour le juge à ne retenir que certaines conclusions du rapport d’expertise soulève des problèmes en termes de responsabilité car ladite pratique est susceptible de dénaturer l’expertise, d’en fragiliser les enseignements et donc de ne plus permettre de rechercher les responsabilités de chacun. L’absence de lien causal a également été retenue lorsque c’est la motivation de l’arrêt d’appel qui a motivé la cassation et non la faute de l’Expert (78).

Ensuite, la ou les erreurs commises par l’Expert doivent encore être considérées comme indécelables de la part du juge ou des parties. Dans le cas contraire, le préjudice pourrait être, au moins en partie, imputé à la décision du juge ou à la carence du demandeur. Ainsi, seule l’erreur qui échappe au contrôle du juge ou à la discussion des parties pourrait faire l’objet d’une indemnisation de la part de l’Expert judiciaire. La faute du juge ou encore de la victime aurait sinon un effet partiellement, voire totalement exonératoire. Ainsi, le fait pour la victime de ne pas critiquer le rapport
d’expertise dans l’instance pourrait conduire à penser qu’elle contribue à la décision qui lèse ses intérêts et qu’elle a donc ainsi causé, ou au moins contribué au préjudice dont elle demande réparation (79).

Si le principe de la responsabilité civile de l’Expert judiciaire est désormais admis, avec les réserves qui viennent d’être énoncées, subsistent des incertitudes liées à la mise en oeuvre de cette responsabilité civile.

II. LES INCERTITUDES PRATIQUES LIÉES À LA MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE DE L’EXPERT JUDICIAIRE

Si la difficulté concernant le tribunal compétent pour engager la responsabilité de l’Expert semble aujourd’hui définitivement tranchée, les modalités d’application de la réforme sur la prescription en matière civile aux expertises soulèvent encore des interrogations (A). Par ailleurs, même si le contentieux est encore résiduel au regard du nombre d’expertises judiciaires diligenté par rapport au nombre d’actions en responsabilité engagé, il semble vivement conseillé à l’Expert de souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle (B).

A. L’insécurité juridique liée à la prescription


La prescription est la situation dans laquelle est pris en compte l’écoulement d’un délai, générateur d’effets de droit.
Ici, il est question plus particulièrement de prescription extinctive, qui consiste dans la perte d’un droit en raison de l’inaction du titulaire de ce droit pendant une certaine durée. Il est apparu souhaitable que la responsabilité d’un Expert ne puisse pas être recherchée des décennies après l’exécution de sa mission, au motif que le dommage causé par son expertise ne serait apparu que tardivement, raison pour laquelle depuis la réforme de la prescription de 2008 et conformément au droit commun, c’est à dire à l’article 2224 du Code civil, l’action en responsabilité civile de l’Expert se prescrit par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

En théorie, cette responsabilité quinquennale de l’Expert se révèle beaucoup plus favorable que les régimes précédents. Elle offrirait a priori plus de sécurité à l’Expert quant au temps pendant lequel il peut être inquiété, étant précisé ici que la loi est d’application immédiate et que lorsque la loi réduit une durée de prescription, la prescription réduite commence à courir du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle,
sans que la durée totale puisse excéder le délai prévu par la loi antérieure.

En pratique, des incertitudes subsistent pourtant quant à la définition du point de départ de ce délai -1- et la computation des délais -2-.

1. La difficulté tenant au point du départ du délai

Le point de départ glissant du délai suscite d’importantes incertitudes et la question est importante pour l’Expert qui souhaite de manière légitime savoir à quel moment il sera définitivement libéré du fardeau de la preuve de l’accomplissement de ses diligences.

L’abrogation de l’article 6-3 de la loi de 1971 par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 a créé une véritable insécurité juridique concernant le point de départ du délai de prescription. En effet, rien ne semblerait interdire, dans des circonstances particulières que la responsabilité de l’Expert puisse être recherchée des dizaines d’années après le dépôt du rapport.

Conformément à l’article 2234 du Code civil et à la jurisprudence en la matière, la prescription ne court donc pas tant que le créancier ignore l’existence ou l’étendue de la créance, ou se trouve dans l’impossibilité d’agir suite à un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

Cette définition laisse au juge une très importante marge d’appréciation pour fixer le point de départ du délai et occasionne corrélativement pour l’Expert une importante insécurité juridique puisqu’il ne sait pas à l’avance jusqu’à quand le créancier sera susceptible de voir son action en justice accueillie.
La question qui se pose plus précisément est celle de savoir à partir de quel moment une personne qui est susceptible de pouvoir se plaindre des agissements de l’Expert, a eu connaissance d’un éventuel droit en réparation dans le cadre d’une action en responsabilité civile. Sous l’empire de la législation antérieure, le juge considérait que le point de départ du délai résidait dans le dépôt du rapport qui le dessaisissait et mettait donc fin à sa mission.

Désormais, les Experts vont devoir s’assurer avec précision du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits. En effet, ce jour peut être celui de l’audience où l’Expert présente au juge son avis ou encore celui du dépôt de son rapport écrit.
En pratique, les magistrats semblent admettre que le départ de la responsabilité quinquennale est la notification d’une copie du rapport à chaque partie, conformément à l’article 173 du Code de procédure civile. La date de réception par les parties du rapport en recommandé avec avis de réception devrait permettre de faire courir le délai. C’est la raison pour laquelle les Experts ont intérêt à conserver précieusement les avis de réception des rapports. Cependant, la difficulté reste entière en l’absence de notification du rapport par l’Expert. Tel est le cas en matière pénale lorsque la communication sera effectuée par les greffes. Dans ce domaine, l’Expert devra donc demander au juge l’autorisation de pouvoir faire une notification directe aux parties conformément à l’article 166 du Code de procédure civile et en l’absence d’autorisation, il devra veiller à lui demander la date précise de la notification aux parties.

La solution qui consiste à considérer que le point de départ du délai est la remise du rapport est séduisante. La difficulté est que ce n’est pas nécessairement le point de départ retenu par le juge. En effet, dans un arrêt rendu par la 3ème chambre civile le 22 octobre 2008, les juges ont retenu comme point de départ du délai, non pas la remise du rapport, mais la réalisation du dommage, résultant pour les demandeurs à l’action de l’assignation délivrée par leur cocontractant sur le fondement de la garantie pour vices cachés.

Cette solution rappelle celle qui jouait en matière délictuelle selon l’ancien article 2270-1 du Code civil et aux termes duquel la prescription courait à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.
Aux incertitudes qui s’attachent au point de départ du délai viennent s’ajouter celles liées à la computation des délais.

2. La difficulté tenant à la computation des délais

Les règles de computation des délais viennent compliquer le débat puisque le délai de prescription peut être non seulement suspendu mais encore interrompu. L’article 2232 du Code civil instaure quant à lui un délai butoir de 20 ans à partir du jour de la naissance du droit. Le report du point de départ par la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de reporter le délai de la prescription extinctive au-delà de 20 ans à compter du jour de la naissance du droit.

Face à la reconnaissance d’une responsabilité civile de l’Expert judiciaire et aux incertitudes liées au temps de la mise en oeuvre d’une telle action, l’Expert peut être amené à souscrire une police d’assurance couvrant sa responsabilité professionnelle. Même si cette nouvelle solvabilité offerte par le mécanisme d’assurance est susceptible d’encourager certaines parties à rechercher sa responsabilité, nonobstant les réticences de la jurisprudence à accorder à sa mise en cause, il convient de saluer, voire d’encourager ce type de mouvement.

B. La nécessaire souscription d’une assurance responsabilité civile professionnelle

Les assurances de responsabilité ont pour objet l’indemnisation d’un préjudice patrimonial de l’assuré qui résulte de l’obligation dans laquelle il est tenu de réparer les dommages qu’il a causés à autrui. L’utilité des assurances de responsabilité ne fait plus de doute dans la mesure où elles permettent à la victime d’être indemnisée de son dommage, sans avoir à craindre l’insolvabilité du responsable.

1. Une absence d’obligation d’assurance responsabilité

Historiquement, le faible nombre de mises en cause explique peut-être que la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux Experts judiciaires, pourtant remodelée à plusieurs reprises, ne parle à aucun moment d’obligation d’assurance de responsabilité parmi les conditions à remplir pour être un Expert judiciaire.
Les missions de l’Expert judiciaire ne sont donc pas obligatoirement soumises à une couverture en responsabilité, ni à un montant minimal de couverture par assuré, par réclamation et par an. La souscription d’une assurance de responsabilité relève donc encore de la volonté individuelle de chaque Expert, dont la responsabilité est susceptible d’être engagée dans l’exercice des missions judiciaires qui lui sont confiées. Les Experts judiciaires appartiennent, pour la plupart, à des compagnies d’Experts, lesquelles les encouragent à bénéficier de toutes les garanties souhaitables en cas de préjudice causé par leur mission et donc à s’assurer.
De surcroît, il ne faut pas oublier que l’expertise judiciaire ne constitue pas une profession et que les différents Experts exercent donc par ailleurs une activité professionnelle principale, très souvent couverte par une assurance obligatoire, laquelle est également susceptible de garantir les missions d’expertise. La solvabilité des Experts judiciaires explique d’ailleurs, en partie, le développement croissant du contentieux civil. Le fait que le préjudice ne consiste pas uniquement dans le montant des honoraires versés à l’Expert rend pourtant presque impérieux la souscription d’une telle assurance.

2. La nécessité de souscrire une assurance responsabilité

Face à la recrudescence des mises en cause des Experts judiciaires et à la grande disparité des contrats d’assurance responsabilité concernant les garanties, une unification des différents contrats d’assurance a été recherchée par le Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice (CNCEJ), à l’initiative de sa commission juridique. Son idée était non seulement de parvenir à une homogénéisation des clauses de garantie pour limiter les cas de défaut d’assurance ou de sur assurances, mais aussi de négocier des conditions tarifaires plus intéressantes en raison d’une plus large mutualisation du risque. Ce travail a abouti à la signature, le 1er janvier 2010, d’un contrat d’assurance collectif national prévoyant notamment un montant minimum de garantie de 2.000.000 d’euros par dossier.
La vérification que le contrat d’assurance responsabilité civile professionnelle est susceptible de couvrir la mission confiée devrait progressivement devenir un réflexe pour l’expert judiciaire. Lorsque l’expert constate que la mission est exclue du champ de garantie, il est vivement conseillé de souscrire une assurance complémentaire et ce, même si la souscription d’une telle assurance n’est pas obligatoire. L’Expert doit également veiller à ce que le montant de la garantie retenu soit en adéquation avec les enjeux des missions acceptées.

Dans le cas contraire, il convient de souscrire des lignes supplémentaires.

En pratique, même si une légère hausse de la sinistralité a pu être constatée ces dernières années, la mise en cause de la responsabilité des Experts judiciaires reste aujourd’hui encore peu fréquente, au regard notamment du nombre d’expertises confiées par les juridictions et des rapports déposés.
Les condamnations sont encore plus rares en raison tout d’abord de la qualité du travail accompli par les Experts en général mais aussi des difficultés à établir parfois un lien de causalité entre la faute de l’Expert et le préjudice de l’une des parties au procès.

Dans le cas où une condamnation est prononcée, le montant des indemnisations reste raisonnable. L’absence de majoration des primes du contrat négocié par la CNCEJ jusqu’au 1er janvier 2015, date du prochain renouvellement triennal du contrat d’assurance, témoigne d’ailleurs de cette faible sinistralité. Plusieurs facteurs concourent à la sinistralité néanmoins croissante des expertises judiciaires et il y a lieu de constater que l’augmentation de ces mises en cause n’est pas la conséquence de la multiplication des fautes imputables à certains Experts dans l’exécution de leurs missions.

Elle est essentiellement le résultat d’un recours massif des magistrats aux Experts, lesquels doivent s’adapter à l’évolution constante des techniques et à la complexité croissante des missions confiées. L’expertise judiciaire est susceptible de devenir un passage quasi obligé dans le déroulement du procès.

La mise en cause croissante des Experts est encore encouragée par la souscription croissante de contrats d’assurance de responsabilité civile professionnelle qui garantissent leur solvabilité aux yeux des tiers.

Notes et références

1 Le statut des experts judiciaires est défini par la loi n° 71-498 du 29 juin 1971, la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 complétée par le décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004.

2 CA Pau, 30 décembre 1863, S 1864, 2, p. 32. Cité in S. Bertolaso, J.-Cl. Responsabilité civile et assurance, Fasc. 375, n° 19 ; V. aussi CA Lyon, 14 janvier 1931, Gaz. Pal. 1931.412 ; CA Dijon, 23 mars 1994, Juris-Data n° 94-45858 ; J.-J. Daigre, La responsabilité civile de l’expert judiciaire, Rev. Huis. 1986.487 ; A. Robert, La responsabilité civile de l’expert judiciaire, D. 2013, chron. n°13.

3 V. Larribau-Terneyre, La responsabilité de l’expert judiciaire : à l’ombre du droit commun de la responsabilité civile, LPA 2 décembre 1998.7.

4 CA Versailles 29 novembre 1988, Juris-Data n° 88-48192.

5 CA Dijon, 25 juillet 1854, D. 1854.1.249 ; CA Pau, 30 décembre 1863, S. 1864.2.32.

6 Cass. 26 octobre 1914, D. 1914, 1, 53.

7 En effet, le rapport bénéficiait de l’autorité de la chose jugée, au même titre que la décision elle-même.

8 T. civ. Seine, 9 février 1939, Gaz. Pal. 1939, 1, 743, note H. Mazeaud.

9 Le juge n’est en effet pas lié par les constatations ou conclusions de l’Expert. Il a choisi de le désigner pour apporter des éclaircissements mais il n’est pas lié par son choix, même si, en pratique, le juge suit dans leur majorité les conclusions de l’Expert qu’il désigne. La raison est que la mission que le juge confie à l’Expert ne constitue pas une délégation de ses pouvoirs juridictionnels. Le juge ne renonce pas au pouvoir de juger.

10 Cass. 9 mars 1949, Gaz. Pal. 13 mai 1949.245.

11 Cass. 2ème civ., 4 avril 1973, Bull. civ. II, n° 12 ; Cass. 2ème civ., 8 octobre 1986, n° 95-14.201, Gaz. Pal. 31 juillet et 1er Août 1987, p. 13.

12 Les sanctions disciplinaires ou d’ordre strictement professionnel tel que le possible non renouvellement de l’inscription sur la liste des Experts judiciaires ne seront pas envisagées ici.

13 C. Pénal, art. 226-16, lequel prévoit un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende dans l’hypothèse d’une révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire.

14 L’Expert est désigné par le juge, il n’est en aucun cas lié aux parties à l’instance. Il est indifférent que l’expertise ait été demandée par l’une des parties et qu’elle soit amenée à la financer.

15 Lalou, Traité pratique de la responsabilité, 6ème éd., n° 1418 et s. ; Mazeaud, Traité de la responsabilité, 6ème éd., t. 1, n° 551-3° et 522 ; P.-J. Doll, De la responsabilité des experts judiciaires, D. 1966, chron 47. V. aussi Cass 2ème civ. 8 octobre 1986, n° 85-14.201, Bull. civ. II, n° 146, Gaz. Pal. 1987, 2, somm. 337, obs. S. Guinchard et T. Moussa.

16 Cass. 1ère civ. 19 mars 2002, n° 00-11.907, AJDI 2002.867, obs. H. Heugas-Darraspen : dans cette affaire, il est tranché que l’action personnelle contre l’Expert judiciaire est portée devant les juridictions judiciaires, y compris lorsque l’Expert a été nommé par un juge administratif ; CA Riom, 9 avril 2008, Juris-Data n° 2008-375003. V. aussi TGI Paris, 10 avril 2014, RG n° 13/16986, jurisprudence cabinet.

17 TGI Paris, 26 avril 1978, Gaz. Pal. 21 septembre 1978. 449, obs. F. Thorin ; CA Aix en Provence, 26 mars 2009, n° 07-11.367.

18 Cass. Crim. 30 mars 1999, n° 97-83.464.

19 Lorsqu’il se fait assister par un collaborateur, l’Expert doit mentionner son nom dans le rapport.

20 Il convient également de préciser que l’Expert est responsable du sapiteur qu’il s’adjoint et qu’à ce titre, il doit donc notamment en assurer la rémunération : le technicien qu’il choisit intervient sous son contrôle et sa responsabilité. Lorsque l’Expert est adhérent à l’assurance de groupe du CNCEJ, son sapiteur bénéficie automatiquement de la qualité d’assuré. L’idéal pour l’expert est de saisir le juge afin que ce dernier se prononce sur la ou les personnes qui assisteront l’expert dans des domaines qui sortent de son champ de compétence.

21 V. en ce sens, CA Aix, 8 juillet 1974. Dans cette affaire, il est impossible de reprocher à l’Expert d’avoir utilisé la méthode de son choix pour l’évaluation du préjudice, dès lors qu’il dispose d’une parfaite liberté sur ce point.

22 CA Dijon, 11 mai 2004, Juris-Data n° 2004-251829.

23 CA Paris, 1er avril 2008, n° 06/21234.

24 TGI Nantes 6 mars 1985.

25 CEDH 18 mars 1997, Mantovanelli c/France, AJDA 1999.173, note H. Muscat ; D. 1997, somm. 361, obs. S. Perez ; RTDCiv. 1997.1007, obs. J.-P. Marguénaud.

26 Cass. 2ème civ., 8 septembre 2011, n° 1019.919.

27 V. en ce sens l’article 237 du Code de procédure civile et TGI Nantes, 6 mars 1985, Gaz. Pal 1985, 1, 303, note Caratini : dans cette affaire, l’Expert avait convoqué une première fois les parties dans le cadre d’une réunion contradictoire au cours de laquelle les pièces dont elles disposaient lui avaient été remises, puis il avait poursuivi ses opérations hors leur présence. Le TGI de Nantes a considéré que le technicien avait « mis les parties hors d’état de suivre utilement ses opérations et de faire valoir auprès de lui leurs observations », l’argument fondé sur l’urgence de sa mission étant indifférent. V. aussi, Cass. 2ème civ., 28 février 2006 où il est admis que l’Expert procède hors la présence des parties ou de leurs représentants à des mesures d’investigation à caractère technique qui n’imposent pas leur présence.

28 Cass. 2ème civ., 24 novembre 1999, n° 97-10.572, AJDI 200.728, obs. M. Olivier ; 24 février 2005, n° 03-12.226, D. 2006.545, obs. P. Julien et N. Fricero ; Cass. Mixte, 28 septembre 2012, n° 11-11.381, où il est précisé que l’expertise irrégulière ne peut être attaquée par la voie de l’inopposabilité.

29 TGI Nantes, 6 mars 1985, Gaz. Pal. 7 mai 1985. 303, obs. M. Caratini ; CA Nancy, 27 janvier 2011, préc.

30 CA Nancy, 27 janvier 2011, préc.. Une fois le rapport et les annexes transmis aux parties et déposés, les parties doivent en effet pouvoir discuter et contester l’avis de l’Expert.

31 Cass. 1ère civ., 1er février 2012, n° 10-18.853.

32 Le décompte des sommes versées à l’épouse, annexé au rapport, mais dont l’époux n’avait pas eu connaissance avant l’audience, était un élément décisif afin de définir s’il était débiteur ou non de la rente envers son ex-épouse. L’époux est donc bien fondé à demander l’annulation du rapport de l’Expert pour violation du principe du contradictoire.

33 L’article 434-9 du Code pénal sanctionne le fait par un Expert nommé de solliciter ou d’agréer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou avantages quelconques, pour lui-même ou pour autrui, en vue de l’accomplissement ou de l’abstention d’un acte de sa fonction ou facilité par sa fonction. La corruption qu’elle soit active ou passive est punie de 10 ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

34 Toutes les circonstances ne donnent pas lieu à récusation. Ainsi a-t-il été jugé que l’existence d’un procès entre l’Expert et l’une des parties ne constituait pas en soi une cause péremptoire de récusation, si ce procès a été engagé après le début des opérations d’expertise et ne lui est pas étranger. Dans cette affaire, l’Expert avait demandé l’exécution d’une ordonnance de taxe et la partie en cause avait sollicité sa récusation suite à un rapport qui ne lui était pas favorable. V. en ce sens, Cass 2ème civ., 15 novembre 2007, n° 07-10.921, n° 1615 P+B, Sté Excelis C/Aptapro et a., Tribune de l’assurance, février 2008.

35 CA Montpellier 4 octobre 2005.

36 TA Amiens 10 avril 2012, jugement n° 1200428 : dans cette affaire une partie a obtenu la révocation de l’Expert et son remplacement en démontrant la partialité de l’Expert à travers son attitude et ses écrits.

37 CA Montpellier 15 mars 1948, Gaz Pal. 2 mai 1948, 1, 230 où il a été reconnu que les Experts ont surpris la religion des juges qui les ont commis et faussé leur décision.

38 Les articles 434-13 et 434-14 du Code pénal sanctionnent le fait pour un Expert de falsifier dans ses rapports écrits ou ses exposés oraux, les données ou les résultats de l’expertise, par des peines de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ou de 7 ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende en fonction des situations.

39 Cass. 2ème civ., 8 juillet 1998, n° 96-22-299.

40 CA Versailles, 31 janvier 1991, D. 1991, IR, 141 : dans cette affaire, ce certificat lui aurait permis de voir que ce terrain était divisible et constructible, ce qui changeait la valeur du terrain concerné.

41 TGI Paris, 26 avril 1978, Gaz. Pal. 21 septembre 1978. 449, obs. F. Thorin.
42 CA Grenoble, 21 mars 1893.

43 Cass. 2ème civ., 20 juillet 1993, n° 92-11.209, où il a été reproché à l’Expert de ne pas avoir poussé plus avant ses investigations (mauvais état des façades constaté) alors qu’en l’absence de certitudes quant à la cause des désordres (défaut d’étanchéité d’une construction) il lui appartenait de ne pas négliger d’autres éventualités, parmi lesquelles le défaut d’étanchéité de la terrasse ; Cass. 1ère civ., 17 octobre 2000, n° 98-19.397 où il a été reproché à l’Expert de ne pas avoir procédé aux contrôles qui auraient permis de constater les déformations de la caisse du véhicule accidenté et d’arrêter les travaux.

44 TGI Evreux, 13 octobre 1982, Gaz. Pal. 1983, 348 où l’Expert avait préconisé une solution technique inadéquate pour la réparation d’un véhicule accidenté.

45 Cass. 1ère civ., 4 novembre 2011, n° 10-22.758. Dans cette affaire, il a été reproché à l’Expert des solutions inadaptées.

46 Le fait d’émettre un avis erroné en raison d’erreurs qui n’auraient pas été commises par un technicien normalement prudent et diligent est susceptible d’engager la responsabilité de l’Expert. Il en est ainsi lorsque l’Expert a préconisé des remèdes insuffisants pour la réparation d’une maison (V. en ce sens CA Caen, 1ère ch., sect.. civ. et com . 18 juin 1992), ou encore lorsqu’il s’est montré trop affirmatif dans ses conclusions alors que des incertitudes subsistaient.

47 CA Pau, 20 avril 2000, n° 98/02933 où l’Expert a perdu les originaux qui lui avaient été transmis par le juge d’instruction aux fins d’analyse d’écriture.

48 CA Paris, 25 novembre 1960 concernant la non restitution de documents qui avaient été confiés à l’Expert.

49 L’Expert peut en principe utiliser la méthode de son choix pour parvenir au résultat recherché. Cette liberté d’initiative supporte comme seule limite la non utilisation de techniques habituellement appliquées par des professionnels aguerris.

50 TGI Draguignan, 31 mars 1983, Gaz. Pal. 1983.348.

51 Cass. 2ème civ., 8 octobre 1986, n° 85-14.201.

52 Cass. 1ère civ., 9 mars 1949, JCP 1949, II, 4826 ; Gaz. Pal. 13 mai 1949.245 ; CA Lyon 4 mars 1981, D. 1982, IR, 271, obs. J. Penneau qui parle de technicien avisé et consciencieux ; CA Nancy, 27 janvier 2011, n°03/01074 qui évoque un Expert normalement avisé, consciencieux et attentif ; CA Caen, 18 juin 1992, Juris-Data n° 1992-http://www.petites-affiches.fr/ecri....

53 Cass. 1ère civ., 17 décembre 2009, n° 07-20.051 et 08-14.095.

54 CA Nîmes, 18 février 1959, JCPG 1959, II, 11374, note Vienne.

55 TGI Paris, 26 avril 1978, Gaz. Pal. 1978, 2, 449, note F. Thorin.

56 Civ. 3ème 12 septembre 1997, n° 06-16.927.

57 Cass. Civ. 8 octobre 1986, n° 85-14201.

58 CA Aix en Provence, 26 mars 2009, n° 07-11.367.

59 Cass. 1ère civ., 4 novembre 2011, Cass. 2ème civ., 20 juillet 1993 ; CA Caen, 18 juin 1992 ; TGI Draguignan, 31 mars 1983, Gaz. Pal. 1983.348.
CA Dijon, 11 mai 2004.

61 Cass. Civ. 13 septembre 2012, n° 11-16216 concernant une action en bornage contestée.

62 Cass. 1ère civ., 21 novembre 2006, n° 05-15.674, D. 2006.3013.

63 CA Bourges, 11 février 2010, n° 09/01116.

64 CA Colmar 27 novembre 1997, Juris-Data 1997, n° 1997-056784.

65 Cass. 1ère civ., 9 avril 2002, n° 00-13.314, D. 2002.1469.

66 Cass. 1ère civ., 4 avril 2001, n° 98-23.157, D. 2001.1589.

67 Papeete, 21 janvier 2010, Juris-Data n° 2010-014171, cité in A. Robert, La responsabilité civile de l’expert judiciaire, D. 2013, n° 13.

68 CA Nancy, 8 septembre 2011, cité in A. Robert, La responsabilité civile de l’expert judiciaire, D. 2013, n° 13.

69 CA Pau 20 avril 2000, cité in A. Robert, La responsabilité civile de l’expert judiciaire, D. 2013, n° 13.

70 CA Nîmes, 18 février 1959 bien que dans cette affaire le lien de causalité n’a pas été retenu et donc la responsabilité de l’Expert écartée. V. aussi TGI Paris 26 avril 1978.

71 Cass. 1ère civ., 22 novembre 1994, n° 92-16.423, Resp. civ. et assur. 1995, comm.23.

72 V. en ce sens, Cass. Civ. 18 février 1997, n° 95-14.823 concernant le chiffrage d’une indemnité d’éviction erroné où il a été précisé que la cause du dommage invoqué se trouvait dans l’appréciation et la décision de la cour d’appel. Les Hauts magistrats considèrent que les influences qui avaient pu présider à ces appréciations et décision étaient indifférentes. V. aussi, CA Nancy, 27 janvier 2011 où il a été jugé que le juge en entérinant les conclusions de l’Expert les avait faites siennes et que, par conséquent, le préjudice tenait non pas au rapport de l’Expert mais à la décision du tribunal rendue en sa défaveur. Il est cependant à noter que cet arrêt a ensuite été cassé par la deuxième chambre civile de la cour de cassation.

73 CA Paris, 21 mars 1983, Juris-Data n0 1983-22611 ; CA Dijon, 23 mars 1994 et enfin plus récemment, CA Bourges, 9 avril 2009, n° 08/01317.

74 CA Lyon, 4 mars 1981, D. 1982, IR, 271.

75 Com. 5 février 1968, D. 1968, somm. 88 ; JCP G 1969, II, 15748, obs. J.-Y. Sayn où l’Expert n’a pas été condamné en l’absence de démonstration du lien de causalité. Mais aussi beaucoup plus récemment, Cass. 2ème civ., 13 septembre 2012, n° 11-16.216, D. 2013.601, obs. O.-L. Bouvier et H. Adida-Canac.

76 Des attestations par exemple, un rapport amiable préalable ou encore sur les résultats d’une autre mesure d’instruction.

77 CA Rennes, 24 septembre 1982, n° 283/80.

78 Cass. 2ème civ., 17 mars 2005, n° 03-17.621.

79 Cass. 2ème civ., 25 novembre 2004, n° 03-14.326.

Informations pratiques

Bureau 2015 de l’UCEJAM
Valérie DE BLECKER, Présidente
Patricia MANNARINI-SEURT, Vice-Présidente
Christian GUYON, Secrétaire général
François TALON, Trésorier

Siège social : « Le Minotaure », 34 avenue Henri Matisse, 06200 NICE
Tél. : 04 93 72 42 00 - Fax : 04 93 72 42 29
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La semaine prochaine : L’expertise de partie et sa réception dans les procès et les modes amiables

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