2012 : les tourments (...)

2012 : les tourments de l’Insee

La situation de l’Insee n’est pas très confortable. Il lui faut justifier la pertinence de ses travaux et rendre sa copie sans offenser les décideurs publics. Il en résulte des perspectives pour 2012 qui relèvent de l’exercice rhétorique plus que de la rigueur scientifique. Laquelle commanderait d’avouer qu’une prévision crédible est impossible.

La prévision est un art difficile. Surtout pour les prévisionnistes. Les dernières livraisons de l’Insee témoignent des angoisses métaphysiques dont semblent saisis les professionnels de la statistique. Concernant le degré de pertinence de leurs anticipations. Celles relatives à l’année 2012 sont précédées d’un long préambule méthodologique, qui en dit davantage sur le besoin de justification des analystes que sur la fiabilité de leurs conclusions. En ayant choisi d’illustrer l’approche d’une « question simple » (l’activité du trimestre en cours va-t-elle s’accélérer ou ralentir ?), appelant donc une réponse binaire (oui ou non, 1 ou 0), les explications de l’Insee ne sont guère convaincantes. On découvre toutefois que la prévision résultant d’une « stratégie naïve », dans laquelle l’opérateur se décide au hasard de son intuition, ne se révélerait fautive « que » dans 35% des cas. Finalement, le pifomètre n’est pas un instrument prédictif totalement inefficace, si on le compare à la « méthode d’analyse discriminante linéaire » mise en œuvre par l’Insee, qui présente un taux d’erreur ramené à 12% (sur les cinq dernières années). Car l’amélioration de la performance (sensible, tout de même, reconnaissons-le) nécessite une importante mobilisation de moyens matériels et… du temps : l’état de la conjoncture au trimestre t+1 suppose que soient collectées les données d’enquête et que soient disponibles les résultats du trimestre t. Lesquels ne sont connus que 45 jours après la fin de la période considérée. De ce fait, il faut attendre que le trimestre soit presque achevé pour obtenir la tendance prévisionnelle du même trimestre, ce qui atténue considérablement la valeur de l’information ainsi délivrée. A se demander si, au cas d’espèce, il n’est pas préférable d’établir un pronostic à pile ou face : le résultat est immédiatement connu et il ne coûte rien, sinon un surcroît d’incertitude.

Dans les moments chahutés que nous traversons, il est probable que les modèles statistiques de l’Insee donnent des sueurs froides à leurs utilisateurs. Car l’économétrie repose sur une machinerie mathématique qui se nourrit de données historiques d’une continuité popote. De fonctions linéaires. La rupture brutale, le saut dans l’inconnu, le fameux « cygne noir », échappent à l’analyse, même fine, des représentations statistiques de la distribution des événements. Un sérieux écueil dans les périodes d’intenses chambardements, qui sont de véritables couveuses à cygnes noirs…

Des hypothèses d’école

Un tel constat impose d’appréhender avec prudence et scepticisme les anticipations de notre Institut, sans mettre en cause la diligence de ses officiants. Car sur une période annuelle, que l’on doit considérer en ce moment comme le long terme, les prévisions sont nécessairement entachées d’un niveau d’incertitude très élevé : s’agissant d’une combinaison de propositions elles-mêmes affectées d’une marge d’erreur en forte hausse, le résultat peut s’écarter à mille lieues de la réalité à venir. Les prémisses de la prospective n’appellent pas d’observation particulière, s’agissant du prolongement des tendances (négatives) présentes, dont rien ne permet de présumer l’infléchissement : nervosité persistante sur le marché de la dette ; tensions constantes dans l’industrie bancaire avec pour corollaire un financement parcimonieux de l’économie et un ralentissement de l’activité, tout particulièrement dans les économies dites « avancées ». Ce qui a pour effet direct de modérer les importations de ces mêmes pays et donc d’affaiblir la croissance des émergents. Au-delà de ces constats, les anticipations deviennent plus incertaines.

L’Insee relève que l’importance des plans de soutien (2,8% du PIB), votés au Japon à la suite de la catastrophe de Fukushima, est de nature à doper l’activité nipponne et soutenir celle de la zone asiatique. Les concours publics s’élèvent à 16 000 milliards de yens (157 milliards d’euros), ce qui n’est en effet pas négligeable. Mais ne représente pas un bazooka bien impressionnant pour tirer le Japon de sa puissante déprime et, en même temps, la zone asiatique tout entière. D’autant plus qu’un tel effort budgétaire se traduira par un surcroît d’endettement public, lequel dépasse déjà 200% du PIB. On peine donc à comprendre comment cette stratégie pourrait être profitable en Asie, alors que la démarche contraire est réputée salutaire à l’Europe. Quant aux Etats-Unis, après un début d’année difficile pour cause d’alourdissement de la pression fiscale, l’activité se redresserait au printemps. Par quel miracle, l’Insee ne le dit pas et l’on ne saisit pas bien la logique du raisonnement. Si bien qu’au final, les anticipations globales sont les suivantes : 1,3% de croissance pour les pays avancés en 2011 (contre 2,7% en 2010) ; 1,7% cette année, après un premier semestre morose. Le tout dans un climat de baisse de l’inflation (en France, 1,4% contre 2,1% en 2011) et du pouvoir d’achat des salaires. En phase avec un amoindrissement attendu du prix du pétrole et, d’une façon générale, de toutes les matières premières, compte tenu de l’affaiblissement de la demande globale.

Reconnaissons aux rédacteurs de l’Insee leur prudence, s’agissant des pronostics sur le pétrole. Leurs précautions sont bienvenues, sachant que même les milieux professionnels avouent être incapables de livrer des anticipations crédibles. Ainsi, le schéma général avancé par l’Insee est cohérent dans un contexte de ralentissement de l’activité, voire de récession. Il est cohérent « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire sans éclosion du moindre cygne noir. Mais un tel scénario est hautement improbable, au vu du climat général et de son évolution présente. Si bien qu’il serait sans doute raisonnable pour l’Insee de mettre au repos ses modèles économétriques. Et de laisser réfléchir ses chercheurs, sans leurs ordinateurs.

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