Automobile : GM repeint

Automobile : GM repeint sa carrosserie

Nationalisée voilà moins d’un an et demi, General Motors revient en fanfare sur le marché boursier. Au travers de la plus grosse levée de fonds de l’Histoire, qui a dopé l’enthousiasme des investisseurs. L’événement serait très favorable à la sécurité financière de la firme, si elle était destinataire de ces fonds. Mais on est loin du compte.

Voilà une saga comme les aiment les Américains : General Motors is back ! Pilier historique de l’industrie yankee, le fleuron de Détroit a longtemps figuré à la première place du podium des constructeurs automobiles. Avec des marques qui ont fait rêver des générations entières, et pas seulement aux Etats-Unis : les Buick, Cadillac et autres Chevrolet ont porté un peu partout les couleurs d’une Amérique aux technologies pointues, à la prospérité insolente et aux critères esthétiques m’as-tu-vu des nouveaux riches. Une vraie carte de visite en ces temps où l’american way of life faisait l’objet d’une foi unanime chez l’Oncle Sam. Mais lorsque survint la dernière en date des crises du secteur, en 2008, GM apparut aux yeux du monde ébahi comme un vieux tacot, équipé d’un moteur de tondeuse à gazon et chaussé de pneus en gomme à mâcher. Pour avoir cru que les Américains seraient toujours assez riches pour s’offrir des limousines imposantes, chromées jusqu’aux sourcils et gourmandes en gazoline, GM subissait alors le choc concurrentiel des véhicules japonais et européens, plus légers, plus maniables, plus sophistiqués et plus sobres, dans un marché étréci par la baisse du pouvoir d’achat. Une méchante voie d’eau dans le navire amiral de Detroit. Le gouvernement Bush fit alors un accroc au dogme libéral, en apportant des fonds fédéraux à GM, injonction faite à cette dernière de se restructurer et de développer dare-dare des modèles plus adaptés au marché des temps présents – notamment dans le véhicule électrique.

Pas question alors de laisser libre cours à la « destruction créatrice » de Schumpeter, celle qui commande d’abandonner les canards boiteux à leur triste sort : l’enjeu social était considérable, au vu des effectifs salariés de la firme et de la masse de sous-traitants concernés. Et puis laisser tomber GM, ce serait pour les USA aussi dramatique que le sacrifice de l’industrie chocolatière en Suisse, ou celui du sirop d’érable au Canada. Un morceau trop gros et trop symbolique. En foi de quoi le Président Obama dut-il emboîter le pas à son prédécesseur, en nationalisant purement et simplement GM en 2009, au vu d’une situation financière dramatique malgré les efforts de redressement entrepris. Paradoxalement, les opposants furent peu nombreux à contester une telle décision, alors que des foules entières se montrent résolument hostiles à l’extension de l’intervention publique en matière de sécurité sociale. Mais enfin, chacun sait que les Américains ne sont sensibles qu’à une théorie économique : le pragmatisme…

La loi du Trésor

Ainsi donc l’Etat fédéral, moyennant un débours d’un peu plus de 50 milliards de dollars, est devenu l’actionnaire majoritaire de GM (61%), aux côtés du Fonds d’assurance-maladie United Auto Workers (17%), qui n’avait d’autre solution pour sauver ses créances, et du Canada et de la Province d’Ontario (10%), soucieux de préserver l’emploi industriel lié à GM sur leur territoire. Le solde restait dans les mains des créanciers obligataires, bien écornés pour l’occasion, et des actionnaires auxquels ne restait plus qu’un modeste 1% du capital de la nouvelle société. Un sacré coup d’accordéon, grâce auquel l’endettement de la firme fut divisé par plus de cinq. Voilà un schéma d’apurement de la dette dont bien des Etats aimeraient pouvoir bénéficier aujourd’hui… Il est encore un peu tôt pour affirmer que cette lourde restructuration permettra à GM de renaître de ses cendres et de prospérer. Mais les résultats présents sont apparemment encourageants : voilà maintenant trois trimestres consécutifs que la firme dégage un résultat bénéficiaire, ce qui ne lui était pas arrivé depuis des lustres. Et ce dans une conjoncture qui n’est pas spécialement favorable à l’industrie de la bagnole.

En foi de quoi GM a-t-il décidé de revenir en Bourse. Un appel au marché de proportions pharaoniques : plus de 22 milliards de dollars, avec une introduction réalisée dans le haut de la fourchette prévisionnelle, du fait de l’appétit insatiable des investisseurs pour le titre. Lesquels valorisent ainsi l’entreprise à 55 milliards de dollars, ce que les analystes jugent plutôt bon marché. Car cela ne représenterait « que » dix fois le bénéfice annualisé des neufs derniers mois… Ce mode de calcul ne serait pas ésotérique si, tout d’abord, la demande d’automobiles était prometteuse. Tel n’est pas vraiment le cas, à l’exception notable du marché chinois, sur lequel GM a pris une part significative grâce à un partenariat local. Ensuite, les projections à la Perrette des analystes seraient crédibles si la récente levée de capitaux allait alléger le coûteux endettement de la firme. Et là, il pourrait y avoir quelques déceptions. Car l’appel au marché s’est fait, pour une large part, par cession d’actions, notamment celles détenues par le Trésor américain. Lequel a déclaré avoir récupéré une douzaine de milliards de dollars. Qu’ont fait exactement les autres actionnaires ? A ce jour, l’information n’a pas encore transpiré. On attendra donc que GM communique le montant exact de sa levée de fonds, nette des… commissions bancaires qui vont faire exploser le bonus des intéressés. Au final, pour la plus grosse levée de fonds de l’histoire boursière, ce sera bien peu d’argent pour la firme elle-même. Voilà qui ressemble à un nouveau tour de passe-passe du bonneteau financier…

Par Jean-Jacques JUGIE

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