Budget : polémique à 6%

Avant sa présentation officielle, le projet de budget suscite déjà des doutes majeurs et des critiques acerbes. Est notamment jugée illusoire l’ambition de ramener les déficits à 6% du PIB l’année prochaine. Mais si le Gouvernement ne peut décider de la croissance à venir, il peut encore imposer une fiscalité répressive. Et ainsi gagner son pari.

La critique est aisée, dit l’adage. Mais l’art budgétaire est difficile. Nul doute que les équipes du Trésor auront bien mérité un long repos après le vote de la loi de Finances (LDF) : on imagine aisément qu’à Bercy, tout le monde est sur les dents depuis un bon bout de temps. Si bien que l’on se laisse aller à sourire devant les premiers commentaires, émanant d’économistes patentés, relatifs aux annonces du ministre du Budget. Selon lesquelles le Gouvernement ambitionne de ramener les déficits publics à 6% du PIB en 2011 et, sur sa lancée, à… 2% en 2014. C’est-à-dire à une échéance qui, en politique, correspond à l’éternité. Convenons-en : il est bien naturel de se montrer sceptique devant ces ambitions, pour une raison simple : lorsque la croissance était au rendez-vous, régulièrement ou presque, les comptes de l’Etat n’ont cessé de s’enfoncer dans le rouge. Maintenant que les mouches ont changé d’âne, avec une activité médiocre voire déclinante, c’est une autre paire de manches que de seulement stabiliser les déficits. Quant à les faire fondre sur un délai aussi rapide, cela suppose un régime d’enfer que seuls les organismes en bonne forme, et psychologiquement solides, peuvent endurer sans sombrer dans la dépression nerveuse.

Il y a donc incontestablement matière à se montrer sceptique devant des objectifs aussi élevés, bien que conformes aux exhortations des machins donneurs de leçons comme le FMI, la BCE ou la Commission européenne, peuplés d’un tas de « yaka » dans un bas de soie. Mais ce qui est cocasse dans les premières critiques, énoncées avant même que le projet de budget ait été présenté (et probablement bouclé), c’est leur précision chirurgicale. Chacun y va de son pronostic : 6,3%, 6,5%, 6,9%... Un jugement aussi fiable que celui du turfiste qui « voit » Jolly Jumper dans la troisième à Auteuil. Car la crédibilité d’un budget repose sur une variable – le produit national – et sur un bouquet de paramètres – les prélèvements. Ces derniers ne seront connus qu’après le vote de la LDF ; la première ne le sera que… lorsque l’exercice sera achevé. Le recours aux prévisions est donc nécessaire et Bercy dispose d’instruments aguerris, en interne ou auprès de satellites. Cela ne signifie pas pour autant que la croissance potentielle retenue par le Gouvernement soit celle que ses services ont estimée… Mais il n’est pas indispensable d’être Inspecteur des Finances pour comprendre que plus la croissance est forte, plus les recettes publiques sont élevées : l’optimisme prévisionnel présente donc l’avantage de montrer la mariée budgétaire sous ses plus beaux atours.

Des moyens d’action limités

S’il convient de se montrer patient avant de porter un jugement sur le budget 2011, il est toutefois possible de poser quelques interrogations préalables, à la lumière de l’histoire de ces cinquante dernières années. Sur cette période, la variation du PIB en volume (c’est-à-dire déflaté) n’a baissé que trois fois : en 1975, en 1993 et en 2009. Mais la récession de l’année dernière se distingue nettement de ses devancières : par son intensité, d’abord (-2,6% en volume, contre respectivement -1% et -0,9% pour les précédentes) et ensuite par le fait que même le PIB en valeur a régressé (-2,1%), ce qui ne s’était pas produit précédemment (respectivement +12,5% et +0,6%). Nous sommes ainsi en présence d’une crise radicalement différente, dans laquelle la monnaie (réputée « neutre » dans la théorie classique), n’a pas pu jouer son rôle d’amortisseur par la dépréciation. Ce qui ne surprendra personne, dès lors que le pilotage de la Banque centrale a désormais échappé à la souveraineté nationale.

Puisque la dévaluation de la monnaie n’est plus un outil de minoration de la dette et un amortisseur des souffrances en cas de crise, que reste-t-il au Gouvernement pour sortir le pays de sa situation périlleuse ? « Elargir l’assiette fiscale », comme le disent pudiquement les conseillers – entendez par là : majorer (substantiellement) les prélèvements. Et donc renforcer les tendances à la récession. Heureux temps que celui où les autorités pouvaient recourir au policy mix (en bon français : dosage macroéconomique), une combinaison de la politique budgétaire et de la politique monétaire visant à l’optimum économique. Désormais privé de toute action sur la monnaie, le gouvernement doit entreprendre en cul-de-jatte une course plus longue et plus ardue que par le passé. Il est permis de supposer que les litanies de statistiques dont dispose Bercy ne seront que d’une pertinence relative pour préjuger de la fiabilité du budget à venir. Car c’est la première fois que le pays affronte une crise aussi grave avec des moyens d’action aussi réduits. Et il n’est pas du tout acquis que le rétablissement puisse s’opérer, à l’aune comptable, sans prendre le risque d’une dislocation de la société. L’évolution de la conjoncture, aux Etats-Unis, pourrait bien illustrer les graves embarras auquel un pays s’expose lorsque, trop endetté, il n’ose pas déclarer aux créanciers qu’il ne les paiera pas. C’est pourtant ce qui, ici et là, finira très probablement par arriver. Si bien que, en 2014, il n’y aura peut-être plus du tout de déficit.

Par Jean-Jacques Jugie

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