Chine : honnie et courtis

Chine : honnie et courtisée

Un jour déclarée responsable des maux des temps présents, le lendemain saluée comme la providence de la reprise, la Chine fait l’objet de toutes les attentions. C’est sans doute trop d’honneur ou trop d’indignité. Pékin ne suffira pas à relancer une machine mondiale en panne, quand bien même en aurait-elle l’ambition.

Lorsque de graves difficultés assaillent les nations, un réflexe immémorial consiste à désigner un bouc-émissaire, puis à rechercher un sauveur providentiel. Depuis quelques années, la Chine joue alternativement les deux rôles. Fauteur de troubles, d’abord, en sa qualité d’usine du monde, bénéficiaire de délocalisations massives, à ce titre responsable de l’augmentation du chômage dans les pays développés ainsi que d’une puissante déflation salariale. Facteur de stabilisation, ensuite, par le réinvestissement des excédents commerciaux dans la dette américaine. Puis reviennent les inquiétudes à l’égard d’un créancier suspect de vouloir « abuser » de ses prérogatives, c’est-à-dire de les exercer comme les créanciers occidentaux : aux yeux des autorités US, les Chinois ont le devoir de prêter leurs sous, mais pas vraiment le droit d’exiger des garanties de remboursement. Et de nouveau l’espoir que l’Empire du Milieu devienne la locomotive d’une croissance mondiale en panne, grâce à un gigantesque plan de relance : par l’investissement dans les infrastructures et la consommation des ménages autochtones, supposés acquérir une bonne part des biens produits par le pays et antérieurement destinés à l’exportation. C’est sans doute beaucoup demander à Pékin, au prétexte que la cagnotte de ses réserves de change représenterait environ 2 500 milliards de dollars, fruit de nombreuses années d’exportations. Sa balance commerciale étant appelée à dégager désormais beaucoup moins d’excédents, le flux des revenus externes autorisant l’entretien d’une relance interne va se tarir. Sans compter le fait que la Chine ne peut pas claquer son stock de bons du Trésor américain sans provoquer leur dégringolade sur les marchés financiers, ainsi que le krach du billet vert.

Certes, il est permis de supposer que le potentiel de croissance se trouve davantage en Asie et en Inde que sur le Vieux continent : le niveau de vie y est encore très bas, par rapport au nôtre, et ces deux zones concentrent une bonne partie de la population mondiale. Mais le processus de montée en puissance demande du temps et de la patience : il est infiniment plus lent de créer de la richesse réelle par l’industrie, que de la richesse virtuelle par la finance. Comme l’a démontré l’essayiste Henry C. K. Liu, stratégiste dans un organisme financier New-yorkais (et d’origine chinoise, comme son nom l’indique), les Etats-Unis ne parviendront pas à ficeler un accord en forme de « G2 » avec la Chine, tel qu’ils en ont émis le souhait. Pékin ne servira pas de bouée de sauvetage à Washington, le temps que l’Oncle Sam parvienne (éventuellement) à reprendre du poil de la bête et soit en mesure de… rejeter la bouée. Pékin ne recherchera pas davantage la confrontation avec l’Amérique, mais devrait faire usage de sa puissance pour concourir à une véritable déstructuration des States – laquelle est en cours, et pourrait bien aller jusqu’à la sécession de plusieurs Etats.

Argent et richesse

Le processus en cours aux Etats-Unis (et dans une moindre mesure en Europe) ne manque pas de soulever d’énormes interrogations sur l’avenir, en ce sens qu’il fausse la vision de la réalité. Les banques centrales continuent de déverser des torrents d’argent. Mais comme l’observe justement Henry Liu dans un article de l’Asia Times, elles « savent pertinemment que si elles peuvent créer de l’argent, elles ne peuvent créer de la richesse ». Or, l’argent créé aujourd’hui s’en va directement dans les comptes des organismes financiers, et vient compenser (partiellement) leurs énormes pertes sur les actifs toxiques. Cet argent ne va pas dans les mains des consommateurs, qui pourraient ainsi entretenir la demande nécessaire à la croissance ; il concourt au désendettement privé et tend à revaloriser mécaniquement la valeur des actifs.

Comme chacun a pu l’observer, les actions ont repris du poil de la bête (ce qui ne durera pas) et les matières premières se sont de nouveau appréciées, en dépit de la faiblesse générale de l’activité. Selon Liu, « penser la valeur des actifs réels (or, pétrole, etc.) en monnaie est trompeur. La bonne approche consiste à concevoir la valeur de la monnaie en terme d’actifs, car ces actifs sont la richesse ». L’augmentation du prix des actifs que l’on observe aujourd’hui n’est donc pas révélatrice d’une amélioration de la santé économique (comme l’annoncent les autorités), mais témoigne plutôt de la dépréciation générale de la monnaie en tant que réserve de la valeur. Car au même moment, c’est la déflation qui se poursuit sur les produits manufacturés et sur… les salaires. Il en résulte que le phénomène en cours contribue à stabiliser la « richesse des riches », si l’on peut dire, qui aurait logiquement dû être mise à mal par l’accumulation de créances irrécouvrables. Mais il continue d’appauvrir les pauvres et les moins riches, entretenant ainsi un climat de récession longue et profonde. En foi de quoi la stratégie en cours ne peut être durable : pour que l’économie fonctionne, il faut que le plus grand nombre dispose de suffisamment de billes. On en revient toujours au même point : la trop forte concentration des revenus. Autrefois, les riches savaient bien qu’ils ne pouvaient préserver leur opulence si les pauvres n’avaient rien à dépenser. Aujourd’hui, les nouveaux riches ne savent apparemment pas grand-chose et ne veulent rien apprendre. Plus dure sera la chute…

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