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Conjoncture : reprise « à petite vitesse »

Malgré la crise de la dette qui affecte l’Europe, et sans se prononcer sur un plus long terme, l’Insee prévoit pour les premiers mois de 2011 une croissance modérée en France. Le décalage entre les différents pays de la zone euro est de plus en plus marqué.

L’année commence et les perspectives économiques, en Europe, demeurent moroses : endettement des Etats, réformes poussives, manifestations violentes, poussées nationalistes. Pourtant, selon l’Insee, la situation n’est pas aussi désespérée que le profane pourrait le penser. Certes, affirme l’institut, dans sa note de conjoncture publiée le 16 décembre dernier, « l’activité a ralenti au troisième trimestre 2010 dans la zone euro », mais elle reste malgré tout « favorablement orientée, dans un contexte de reprise de la demande intérieure ». La croissance de 2010 devait atteindre, pour les pays partageant la monnaie européenne, un petit 1,7%.

Cette progression modérée cache des disparités importantes. L’Allemagne affichait, selon les derniers calculs, une croissance annuelle de 3,5%, tandis que le PIB espagnol présentait une légère contraction de 0,2%. Entre les deux se situaient la France et l’Italie, très moyennes, avec respectivement 1,6% et 1% de croissance. Les écarts entre les grands pays de la zone se sont accentués depuis le début de la crise. Si l’économie italienne a plongé entre 2007 et aujourd’hui, la France a plutôt stagné, tandis que l’Allemagne a enregistré une légère croissance. Cette hétérogénéité donne aux conjoncturistes de l’Insee le titre de leur note de décembre, simplement intitulée « Découplages ».

Les disparités ne se limitent pas à l’Europe. Contre toute attente, dans un contexte de ralentissement du commerce mondial, les Etats-Unis et le Japon ont enregistré une croissance inattendue au dernier trimestre, tandis que les principaux pays émergents, notamment asiatiques, marquaient le pas. « Nous avons été surpris par la vigueur de la reprise américaine », admet Olivier Redoulès, responsable de la synthèse consacrée à l’environnement international. La croissance modérée finalement enregistrée fin 2010 aux Etats-Unis doit beaucoup à la consommation, restée dynamique. La première puissance mondiale n’est pas pour autant tirée d’affaire. En 2011, prévoit l’Insee, « la crise immobilière se poursuivrait et le chômage resterait à un niveau élevé ». Enfin, les ménages américains, échaudés par la crise des subprimes, « continueraient de désendetter ».

Le poids de l’industrie automobile

De ce côté-ci de l’Atlantique, la France doit confirmer, en 2011, sa « reprise à petite vitesse ». Après une croissance de 0,5% au dernier trimestre de 2010, le PIB enregistrerait une progression de 0,3 puis 0,4% les deux premiers trimestres de cette année. Pour Jean-François Ouvrard, chef de la division « synthèse conjoncturelle » de l’Insee, 2011 commencera comme 2010 s’est terminée : « ralentissement des exportations, progression de l’investissement, soutien de la consommation des ménages ». L’Insee constate, en France comme ailleurs, l’impact marqué des dispositifs de soutien à l’industrie automobile. La « prime à la casse » instaurée par le gouvernement Fillon fin 2008, a vécu ses derniers instants en décembre dernier mais continue de tirer la croissance. En janvier, sa disparition doit d’ailleurs donner lieu à un contrecoup que les conjoncturistes peinent à mesurer. On ne connaît pas, dans un passé récent et tous secteurs d’activité confondus, « de mesure qui ait de tels effets », admet Sandrine Duchêne, qui dirige le département de la conjoncture. Le soutien public au secteur automobile entraîne « l’ensemble du tissu productif », rappelle-t-elle.
Dès lors, l’emploi marchand continue de s’améliorer, souligne l’Insee. Au premier semestre de cette nouvelle année, « 50 000 emplois seraient créés, après 106 000 en 2010 », indique l’institut. Le taux de chômage devrait logiquement poursuivre sa lente décrue. Après avoir culminé à 9,5% en 2009, il s’est stabilisé à 9,3% à la fin de l’année dernière et devrait être ramené à 9,1%, au premier semestre de cette année.

L’étrange bonne tenue de l’emploi

Les conjoncturistes observent, concernant l’emploi, un curieux phénomène dont ils ne parviennent pas à déterminer les causes. « On constate une certaine résilience de l’emploi depuis le début de la crise », relève Sandrine Duchêne. Certes, le chômage a connu une hausse depuis 2008, mais « confrontée à la chute de l’activité, cette donnée doit être relativisée », avance la responsable de la conjoncture. De même, début 2010, on a observé « un redémarrage de l’emploi que l’on n’attendait pas aussi rapide ».
Les spécialistes ont trouvé « deux grandes familles d’explications » à cette bonne tenue de l’emploi. Tout d’abord, les entreprises confrontées à une contraction de leur activité, au lieu de licencier, auraient procédé à des « rétentions de main d’œuvre », note Sandrine Duchêne. « Elles ont pour cela utilisé des leviers tels que la limitation de l’emploi intérimaire et du nombre d’heures travaillées, ou encore le chômage partiel », un dispositif qui a été récemment facilité. Toutefois, ces mécanismes ne suffisent pas, selon l’Insee, à expliquer le relatif maintien de l’emploi, et encore moins son redémarrage précoce. La deuxième hypothèse de l’institut repose sur « une inflexion des gains de productivité », indique Sandrine Duchêne. Confrontées à un trou d’air, les entreprises auraient décidé de limiter l’externalisation de certaines tâches et la mise en œuvre de techniques de production économes en main d’œuvre. A terme, si cette tendance devait se confirmer, cela ne constituerait « pas forcément une bonne nouvelle pour l’économie », souligne toutefois l’Insee, car elle affecterait le « potentiel d’activité » des entreprises et finirait par peser sur le marché du travail.
De cette note de conjoncture ne transparaît, en revanche, aucune inquiétude tangible concernant la dette publique. Les conséquences de la crise irlandaise de la fin 2010 sur la croissance de la zone euro demeureraient « faibles », assure l’Insee. Les conjoncturistes notent seulement que des budgets plus resserrés pourraient « accroître l’incertitude et les comportements d’attentisme de certains agents économiques ».

Situation aggravée dans les ghettos urbains

Une autre étude de l’Insee a récemment frappé les esprits. Ce document publié en décembre 2010 confirme ce que chacun pressent : la population vivant dans les zones urbaines sensibles, souvent des cités délabrées posées à l’extérieur des villes, comporte davantage de jeunes, d’étrangers et de familles nombreuses que les villes dans lesquelles elles sont situées. Les 4,4 millions de personnes vivant dans ces quelque 700 quartiers disséminés sur tout le territoire connaissent un chômage plus élevé que la moyenne des quartiers environnants. Les jeunes hommes, en particulier, peinent à trouver un emploi. Tout cela, on le savait, certes. Deux autres données révélées par l’Insee permettent de prendre la mesure du phénomène. Premièrement, la situation n’a pas changé depuis la dernière enquête publiée en 1999, et ce, malgré toutes les mesures prises, sous le nom de « plan Marshall », de zones franches ou de politique des carreaux cassés. Deuxièmement, la population de ces zones tend à diminuer tandis qu’elle progresse dans l’ensemble du pays. Comme s’il fallait à tout prix fuir le ghetto.

Par Olivier RAZEMON

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