Crise grecque : un « (...)

Crise grecque : un « tremplin »

Au terme d’un psychodrame en plusieurs actes, l’Union européenne est parvenue à bricoler une béquille pour la Grèce chancelante. Témoignant ainsi, selon le directeur du FMI, d’un « incroyable effort de solidarité ». Un dispositif qu’il a fallu renforcer et étendre d’urgence à tous les Etats-membres, sous la pression des marchés.

Qui a dit : « La crise [grecque] est devenue un nouveau tremplin pour l’Europe » ?

Ce n’est pas un champion olympique découvrant un plongeoir de compétition. Ni un quelconque humoriste en quête d’un bon mot. On doit à Christine Lagarde cette saillie sportive et pleine d’esprit, dans une interview accordée au quotidien Le Monde, lors de l’annonce du bouclage du « plan de sauvetage de la Grèce », concocté par l’Union et le FMI. Après de longues semaines de tango diplomatique, qui ont vu s’écharper les Etats-membres et durant lesquelles la presse allemande s’est littéralement déchaînée contre les Grecs, après les méchants hoquets des marchés financiers, tétanisés par les atermoiements politiques et la pression constante des agences de notation, voilà enfin qu’un « plan » est adopté. Dans la limite d’une enveloppe de 110 milliards d’euros (dont 30 à la charge du FMI), chaque Etat-membre prêtera à la Grèce en proportion directe de ses droits dans la Banque centrale européenne. C’est-à-dire, grosso mode, en fonction de son poids économique dans l’Union. Pour quelle durée ? Trois ans, période durant laquelle Athènes est supposée se refaire une santé. A quel taux ? Environ 5%, c’est-à-dire trois fois moins cher que le prix affiché peu de temps auparavant par les marchés pour les titres grecs de cette maturité, mais sensiblement plus que le taux auquel peuvent se financer les Etats dont la signature est encore considérée comme convenable. Ainsi la France prêtera-t-elle environ 17 milliards d’euros sur la période, qu’elle empruntera grâce au blanc-seing parlementaire voté dans l’urgence, et ce à moins de 2% selon les conditions actuelles du marché.

Le directeur du FMI a salué la décision communautaire comme un « incroyable effort de solidarité ». S’il est question de solidarité, pourquoi ce supplément de taux ? Pour rémunérer le risque, répondent les autorités concernées. « Et nous ne voulons pas prêter à des conditions super-attractives, pour ne pas encourager le vice » ajoute dame Lagarde, endossant l’habit de vestale de la vertu gestionnaire. S’il s’agit de facturer le risque, on ne comprend plus rien : dans notre système économique, le marché est supposé fixer le juste prix des choses. Et le prix d’un emprunt grec à trois ans est coté à 15% par le marché. Donc, quelqu’un se trompe dans cette affaire. On peut légitimement supposer que les financiers sont plus près de la réalité que nos honorables autorités. Voilà pourquoi l’effort de solidarité de ces dernières est « incroyable », entendez par là que même le patron du FMI, pourtant pompier statutaire des pays sinistrés, ne parvient pas à croire que l’Union accepte de faire un don de 80 milliards d’euros à la Grèce. Car tous les Etats-membres sont en difficulté et aucun ne peut raisonnablement escompter que les Grecs rembourseront un jour leurs emprunts. En dépit des mesures de grande austérité que leurs dirigeants prétendent vouloir adopter. Ou plutôt, à cause d’elles. Et les marchés ne croient pas davantage au succès de l’entreprise.

Illusionnisme

Où donc est le tremplin pour l’Europe ? « La crise grecque, vis-à-vis de tous les pays de la zone euro, est un rappel à l’impératif de restaurer les équilibres budgétaires en diminuant la dépense et en augmentant la recette » explique Christine Lagarde. Dans l’entreprise privée, c’est ce que l’on appelle « passer la paille de fer », une procédure ordinairement très douloureuse. Est-ce le début assumé de la rigueur ? demande logiquement le journaliste du Monde. Et la réponse fuse : « Non, car il ne faut surtout pas casser la reprise. On a un calibrage subtil à établir entre soutien à la croissance et réduction des déficits ». Merci, madame, de nous épargner les restrictions. Auxquelles n’échappera pas la Grèce, dans son ignorance crasse du calibrage subtil : elle est supposée subir une récession de 4% cette année et de 2% l’année prochaine. Mais « sans déflation » nous assure notre ministre, dont on connaît la fiabilité des prévisions. En d’autres termes, les Grecs sauteront un repas sur deux, mais ils ne souffriront pas de la faim, grâce à leur conversion spontanée à la vertu financière.

Voilà donc le tableau édifiant d’une nouvelle crise effacée par le volontarisme de nos dirigeants et leur « incroyable effort de solidarité ». Hélas pour eux, ce qui passait à leurs yeux pour de gros efforts a été jugé insignifiant par les marchés, qui ont répondu par une déprime massive. Car au sein de l’Union, la Grèce n’est pas seule dans la panade. En foi de quoi a-t-on été obligé de monter à la hâte une digue autrement plus haute pour prévenir – espère-t-on – une épidémie de défaillances dans la vieille Europe. Sera-ce suffisant ? Nul ne le sait, mais à chaque jour suffit sa peine. Les doutes sont pourtant permis, car la situation actuelle démontre que la politique de transfusions financières ne peut sauver un patient durablement hémorragique. Cette réalité n’a pas échappé à la sagacité de madame Lagarde : « Plus le temps passe, plus cela coûte. C’est le prix de la démocratie ». La preuve en était administrée quelques jours après sa déclaration : la démocratie est vraiment coûteuse. Trop coûteuse, peut-être, pour nos moyens plébéiens. Il serait temps d’adopter la tyrannie, avant que nous n’ayons plus un radis.

deconnecte