De Deauville à Gyeongju

Une petite réunion confidentielle à Deauville, mais dont la portée pourrait dépasser l’apparente insignifiance. Un grand machin en Corée, à Gyeongju, avant la tenue du prochain G20 de Séoul. Une préparation qui aura permis aux participants de se familiariser avec le climat local. Et avec la conviction que le sommet sera strérile.

Deauville en octobre, ce n’est pas désagréable. Le « 21ème arrondissement » de la Capitale y reçoit encore pas mal de Parisiens – les résidences secondaires y sont beaucoup plus nombreuses que les principales. Et cet année un mini-sommet, arrangé par les bons soins du Président Sarkozy, qui a eu l’heureuse idée de ne pas le tenir à Paris : au même moment, manifestants et casseurs y entretenaient une ambiance de plage du Débarquement. Tandis qu’à Deauville, on se préoccupe moins de l’avenir des retraites que des soirées au casino ou du programme du champ de courses. L’image des Années folles est indissociable de cette station balnéaire qui connut l’apogée de sa gloire à la même époque, avec d’illustres habitués comme le roi Alphonse XIII ou le flambeur André Citroën. Puis vinrent les années 30 et celles de la guerre, toutes de sinistre mémoire, durant lesquelles Deauville se mit en sommeil. En foi de quoi se réunir dans cette ville, en des temps incertains qui ne manquent pas d’analogies avec la Grande Crise, témoigne d’une attitude crâneuse qui colle bien à la personnalité de notre Président.

Pourtant, la provocation se situe ailleurs. En accueillant, le 18 octobre, Angela Merkel et Dimitri Medvedev sur le thème de la « sécurité européenne », sans que l’UE ni l’Otan n’aient été officiellement représentés, voilà qui a provoqué quelques crispations dans les chancelleries. Même si les Américains ne cessent de faire des appels du pied à Moscou, sur les questions de défense, ils se sont montrés quelque peu inquiets d’une rencontre entre le couple fondateur de l’Europe et la Russie, sans y être conviés, alors qu’ils considèrent la sécurité du monde comme leur domaine réservé. La rencontre n’a guère suscité de commentaires autres que les formules convenues ; mais Medvedev a annoncé avoir accepté l’aimable invitation de participer au prochain sommet de… l’Otan, à Lisbonne, en novembre. Où seront en particulier abordés des questions aussi délicates que le bouclier anti-missile (pomme de discorde traditionnelle avec Moscou) et un « nouveau concept stratégique » de l’Otan, sans doute l’un de ces paradigmes à la graisse d’oie dont l’Organisation accouche de temps en temps, surtout lorsqu’elle connaît une séquence d’échecs et qu’elle manque de moyens (les deux conditions étant réunies avec l’effroyable bourbier afghan). Bref, doit-on penser que se dessinent les contours de nouvelles relations de l’Europe avec la Russie, qui laisseraient l’Oncle Sam dans l’antichambre ? La France ayant récemment fait allégeance à l’Otan, en renonçant aux anciennes préventions gaulliennes, un tel scénario serait surprenant. Toutefois, l’affaire de la vente de navires de guerre (Mistral) à la Russie, censément équipés de notre technologie dernier cri, a provoqué l’hystérie du Pentagone, qui cherche par tous les moyens à dynamiter le contrat. Autant dire que les relations avec notre « allié naturel » sont en ce moment plutôt tendues. D’autant plus que la France soutient le point de vue russe (et chinois, entre autres), de la redéfinition du système monétaire international, qui passe par l’abandon du dollar comme pivot du système. C’est chaud.

Avant le G20

Gyeongju en octobre, ce n’est pas mal non plus. Ancienne capitale de la Corée pendant presque mille ans (sous la dynastie de Silla), cette ville balnéaire regorge de trésors historiques. Que les ministres des Finances du G20 n’ont guère eu le temps d’explorer lors de leur récente réunion préparatoire au sommet de Séoul. Une réunion qui a été snobée par le Brésil, premier pays à avoir condamné les effets de la guerre monétaire en cours et à avoir tenté de dresser quelques contre-feux, pas très efficaces, contre l’afflux de capitaux qui renchérit considérablement sa devise. Du reste, la Corée du Sud elle-même, qui jure la main sur le cœur qu’un accord sera trouvé afin d’enrayer la pagaille présente, s’apprêterait, comme le Brésil et l’Indonésie, à instituer un contrôle de l’entrée des capitaux.

La proposition du Secrétaire au Trésor américain, Tim Geithner, brille comme d’habitude par sa subtilité : il s’agirait le limiter déficits et excédents commerciaux d’un pays à 4% de son PIB. La Chine, on s’en doute, affiche des excédents supérieurs à 4% ; les Etats-Unis, évidemment, ont un déficit inférieur à ce montant. Il faut par tous les moyens forcer la Chine à réévaluer sa monnaie, alors que les USA ne pratiquent pas de dépréciation « délibérée » du dollar, bien entendu. C’est pourtant le premier dommage collatéral résultant de l’usage délibéré de la planche à billets. Mais enfin, pour rassurer Margot, nos ministres se sont engagés à « s’abstenir de toute dévaluation compétitive ». Au moins ceux qui en ont le pouvoir, ce qui n’est pas le cas des Européens. Et ce n’est pas le Président de la BCE qui s’abaisserait à de telles roueries : abuté à la « crédibilité » de l’euro, il vient de condamner fermement le consensus franco-allemand sur la bienveillance commune à l’égard des Etats-membres fortement déficitaires – il faudra la majorité qualifiée pour les sanctionner. Sans doute M. Trichet regrette-t-il que la Grande-Bretagne n’ait pas adopté la monnaie unique. Car le budget qui vient d’être présenté par le ministre des Finances, George Osborne, est un modèle de « thérapie de choc » qui plaît tant aux financiers. Mais que les Anglais ne vont probablement pas beaucoup apprécier…

Par Jean-Jacques JUGIE

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