Finance : le tango régulateur

Une bonne partie du sommet du G20 a été consacrée à la régulation financière. Qui fait quelques timides avancées aux Etats-Unis. La position française, qui se veut intégriste, ouvre le champ à d’utiles réformes. Mais demeure très en-deçà des facilités accordées par la « directive marchés d’instruments financiers », adoptée… fin 2007.

Sous les roulements de tambour médiatique, la France a présenté ses propositions de réforme de la régulation financière avant la tenue du G20 de Busan (Corée du Sud), où ces questions étaient inscrites à l’ordre du jour. On sait que notre pays s’est positionné dans le clan des « ultras » sur le terrain de la règlementation financière, par opposition à la bienveillante permissivité de la coalition anglo-américaine, en dépit de l’activité législative sensément restrictive que déploie Washington. Efficacement anesthésiée, il est vrai, par le lobbying bancaire. Mais dans un monde globalisé, les préoccupations des banques sont partout les mêmes, ce qui conduit à l’uniformisation planétaire des pratiques : la délocalisation de l’argent est plus aisée, et infiniment plus rapide, que celle des activités industrielles. Ainsi notre pays a-t-il focalisé ses requêtes en quelques chapitres : la régulation des marchés dérivés et celle des agences de notation ; le renforcement des exigences en fonds propres des banques ; l’encadrement des rémunérations des opérateurs de marché ; le contrôle des hedge funds et l’interdiction de certaines ventes à découvert ; le renforcement du contrôle du système financier et la lutte contre les paradis fiscaux.

Autant de thèmes qui ont été déjà largement discutés, certains ayant fait l’objet de quelques restrictions réglementaires, qui n’ont apparemment pas trop gêné l’industrie financière : le casino a rouvert ses portes, pour les plus grands profits des banques et les bonus pharaoniques des traders. Des profits qui pourraient toutefois se révéler éphémères : pour ne citer que la France, l’endettement des grandes banques représente souvent plus de trente fois leurs fonds propres. Sachant qu’elles ont stocké des toxines, généreusement valorisées à leur bilan, la moindre bourrasque pourrait les démâter et une simple petite tempête les envoyer par le fond. En ce sens, il est en effet indispensable que le niveau de leurs fonds propres soit proportionné à leurs engagements réels ; mais un tel objectif ne peut être atteint sans compartimenter les activités de dépôt et celles d’investissement (comme le prescrivait le Glass-Steagall act américain de 1933). De ce fait, les propositions françaises en la matière s’apparentent à du fard sur la pêche, pour paraphraser le père Hugo. La question des rémunérations a déjà été abondamment développée dans ces colonnes ; on tient leur réglementation pour vaine et illusoire. Comme l’a cyniquement fait observer le Wall Street Journal, les banquiers ont toujours une longueur d’avance sur le législateur. Tant que des profits insensés pourront être réalisés dans les activités de marché, leurs auteurs seront (logiquement) crédités des commissions correspondant aux règles du capitalisme libéral. Pour le reste, on doit saluer la volonté d’établir une totale transparence des transactions, notamment sur les produits dérivés dont le potentiel destructeur est énorme. Un tel objectif peut paraître surprenant à première vue, aux yeux de quiconque croit, avec bonne foi, que les opérations sur titres ne peuvent être négociées que sur des marchés réglementés, et sont donc totalement transparentes. C’est négliger les effets, en Europe, de la directive 2004/39/CE, entrée en vigueur le 1er novembre 2007, quelques mois avant que la crise n’éclate…

Le tripot des « dark pools »

La « directive marchés d’instruments financiers » (MIF) présente des caractéristiques strictement contraires à celles d’une « directive » qui a pour vocation ordinaire de fixer des règles. En effet, de façon à pouvoir offrir à la finance européenne un outil de concurrence efficace contre son homologue anglo-américaine, la MIF a expressément autorisé la négociation de titres hors… des marchés réglementés. Ainsi ont pu naître chez nous les « dark pools » déjà existantes aux Etats-Unis, ces piscines obscures où les transactions sont dispensées de la transparence pré-négociation, et les opérateurs couverts par l’anonymat ! Tout au plus est-il nécessaire de rendre publiques les caractéristiques des deals, après leur conclusion, et encore existe-t-il des possibilités de dérogation. Les dark pools constituent typiquement l’arrière-cuisine de toute tambouille financière, à ce titre suspectes – officiellement par le canal de l’Autorité des marchés financiers française (AMF) – de perturber gravement « l’efficience » des marchés. Car les (très gros) volumes traités en dark pool échappent au mécanisme de confrontation des ordres, qui constitue l’essence même de la « vérité » d’un marché. La formation du prix, au sens de la théorie libérale, s’en trouve ainsi fondamentalement contrariée. Et s’instaure une distorsion de concurrence manifeste entre les opérateurs institutionnels (seuls abonnés aux dark pools) et les investisseurs privés.

Ce que ne dit pas l’AMF, c’est que des systèmes de transaction non réglementés sont la porte ouverte à toute manipulation et, disons-le crûment, à des exactions caractérisées. De telles possibilités étant impunément offertes, il ne fait strictement aucun doute qu’elles ont été, qu’elles sont et seront exploitées. A l’égal de la Nature, la finance a horreur du vide. Si bien qu’après l’adoption de la MIF, les contraintes aujourd’hui proposées ont un caractère cosmétique : comme si, après avoir largement distribué de la dynamite, on prétendait prévenir son usage en planquant les allumettes sous le tapis. Ainsi que l’a depuis longtemps diagnostiqué Paul Jorion, dont l’audience croissante est un signe encourageant, le calme ne pourra revenir tant que ne seront pas prohibés les paris sur les variations de prix. On en est encore très loin…

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