Finance : un été chaud

Finance : un été chaud ?

Le système bancaire continue d’être tenu à bout de bras par les banques centrales. Notamment en Europe, où la BCE a dû consentir une rallonge aux établissements de crédit. Le discours patelin des gestionnaires tranche avec l’inquiétude transcrite par leurs opérations. Ce qui laisse supposer que les gros embarras ne sont pas terminés…

On se saurait dire quel est le régime alimentaire actuel des analystes financiers. Cultivent-ils des plantes illicites sur leur balcon ? Prennent-ils un bol de vodka à leur petit-déjeuner ? Se mettent-ils sous perfusion d’antidépresseurs ? Aucune de ces hypothèses n’est à rejeter, à en croire les commentaires qu’ils distillent à l’attention des médias, et que ces derniers reproduisent avec une complaisance qui n’honore pas leur esprit critique. Au premier jour de juillet, les banques de l’Eurozone devaient rembourser à la Banque centrale européenne (BCE) la première tranche des aides d’urgence consenties il y a tout juste un an. Le montant global de cette échéance s’élevait à 442 milliards d’euros, ce qui n’est pas tout-à-fait un pourboire. En foi de quoi les observateurs se sont-ils légitimement inquiétés de la situation qui résulterait de l’impossibilité pour ces banques, ou certaines d’entre elles, d’honorer leurs engagements. Les plus affûtés des analystes avaient même fixé la barre de l’alerte, en supposant qu’il manquerait 250 milliards d’euros aux emprunteurs. Or voilà que le 1er juillet, la BCE annonce qu’elle n’a consenti « que » 112 milliards d’euros de facilités à six jours – jusqu’à l’échéance de la prochaine allocation. Beaucoup moins, donc, que le montant redouté.

Ainsi, avec un ensemble touchant, les publications économiques faisaient part du « soulagement » des marchés devant la (relative) modicité de ces découverts d’urgence. C’était toutefois oublier que la veille de l’échéance, la même BCE avait consenti aux banques une enveloppe de… 132 milliards d’euros de prêts à trois mois. Sans le recours à une calculette sophistiquée, il est aisé de constater que les anticipations les plus sombres étaient fondées. Qu’il y a bel et bien un problème de liquidité et que perdurent les doutes sur la solvabilité des établissements, comme en témoigne la tension des taux d’intérêt sur le marché interbancaire – reflet de la défiance mutuelle des banques. Si l’on en juge à l’intensité de la baisse des Bourses mondiales en ce début juillet, il est permis de penser que les gestionnaires ont ressenti une angoisse qu’ils ont pudiquement cachée à leur public. Certes, la déprime des marchés a été attribuée à une morne série de statistiques américaines, notamment en termes d’emploi : mais comment était-il possible de donner crédit à des anticipations optimistes dans le contexte actuellement calamiteux de l’Amérique ? Tout économiste lucide se doit de reconnaître cette évidence : il est impossible de produire aujourd’hui des prévisions d’un degré de fiabilité acceptable. La seule posture raisonnable, c’est de s’attendre à des lendemains bien pires que notre quotidien.

Imprimerie monétaire

Chaque jour apporte son verre de vinaigre à la conjoncture US. Faute d’avoir pu convaincre les Européens de renoncer à leur cure d’austérité, qui va immanquablement accentuer la récession dans le monde entier, les autorités américaines ont acté l’impossibilité d’un soutien extérieur au sauvetage de leur économie moribonde. C’est pourquoi la Banque fédérale, qui a depuis longtemps renoncé à toute orthodoxie, a annoncé son intention de financer autant que nécessaire les besoins du Trésor : il est question de fabriquer… 5 000 milliards de dollars par la « planche à billets ». La question de la monétisation de la dette publique par l’Institut d’émission est un sujet épineux – entendons par là : politique. On a souvent abordé la question dans ces colonnes : si la création monétaire est considérée comme une prérogative souveraine, il est naturel (et souhaitable) que le Trésor se fasse avancer gratuitement les fonds dont il a besoin, plutôt que de payer des intérêts aux banques, sur de l’argent qu’il « garantit » lui-même. Mais aujourd’hui, les banques centrales des monnaies convertibles sont « indépendantes ». Et surtout, le système financier mondial s’appuie sur le dollar, une monnaie-étalon qui, n’étant plus rattachée à l’or depuis 1971, est devenue un étalon… variable. Dont la valeur intrinsèque dépend essentiellement de la quantité émise souverainement par la FED.

Si cette dernière abuse de son pouvoir – tel est le cas – la situation devient embarrassante : il faudrait soit réajuster l’étalon (dévaluer officiellement le dollar), soit changer d’instrument de mesure (créer une autre monnaie de réserve) : les pressions en ce sens montent d’un peu partout, notamment de la Chine et de la Russie. Sur ce terrain, de grands bouleversements sont donc prévisibles à une échéance assez rapprochée. Il faudra de toute façon éponger les énormes excédents de dettes irrécouvrables. Changer de monnaies serait un plan assez efficace. Qui ne réduirait pas, toutefois, la probabilité d’un sinistre général de l’appareil financier – et de la ruine concomitante des déposants. A titre individuel, peut-on se prémunir d’un tel risque autrement que par une prudente accumulation de métal précieux ? Il y a peut-être idée à creuser : la seule « banque » de dépôt française qui ne soit pas exposée à la faillite, c’est la Caisse des dépôts et consignations. Rien n’empêche le quidam de déposer des fonds chez son notaire, en vue d’une hypothétique acquisition, avec instruction de les consigner à la CDC. Ce n’est pas une protection efficace contre toute future et probable manipulation monétaire, mais au moins le titulaire d’un tel compte conservera-t-il une créance sur l’Etat. A regarder de près…

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