Heurs et malheurs des

Heurs et malheurs des soldes

Dans la chasse au cash qui caractérise les temps présents, les prix sont naturellement orientés à la baisse. Qu’il s’agisse d’immeubles, de véhicules, ou de grands crus. Mais au moins parviendra-t-on à un prix d’équilibre. Tel ne sera pas le cas pour les actionnaires et les créanciers des entreprises promises à la faillite, malgré leurs protestations.

Les autorités politiques ne sont pas les seules à nuancer avec obstination l’ampleur de la crise. Au fond, en vertu de l’optimisme inhérent à l’espèce, chacun en analyse les conséquences du point de vue qui lui est le plus favorable. Voyez par exemple les candidats à l’accession à la propriété : ils musardent, lambinent, chipotent et ne parviennent pas à se décider. Les prix vont encore baisser, pensent-ils, ce qui est du reste assez vraisemblable. A en croire les statistiques publiées par les milieux professionnels, le tassement des prix se révèle finalement modeste en regard des sommets vertigineux – au point de devenir inaccessibles – atteints au cours de l’année 2007. Si bien qu’il est permis d’émettre quelques réserves sur la fiabilité des chiffres annoncés. Mais il faut admettre que les biens vendus au sommet de la bulle ne se sont pas retrouvés sur le marché deux ans après : puisque ce ne sont pas les mêmes, la variation de leur valeur vénale est nécessairement teintée de subjectivité. Si l’on en croit les négociateurs, le niveau général des prix susceptibles de transaction est revenu aujourd’hui à celui de l’année 2005, ce qui représente une baisse nettement supérieure à celle affichée par les statistiques. Tant mieux pour ceux qui ne sont pas vendeurs : leur ISF en sera allégé. Pour les candidats à l’achat, c’est une bonne indication de la pression qui s’exerce sur le marché, sans préjuger de l’évolution du baromètre sur les temps à venir, ni de l’entrain que mettront les banquiers à les financer… La seule réalité admise par tous, c’est la modicité du nombre de transactions, qui elle-même éclaire la situation : lorsque l’écart entre les prétentions du vendeur et les attentes de l’acheteur est trop important, chacun campe sur ses positions. Jusqu’au moment où le besoin (solvable) devient à ce point impérieux que l’on ne peut plus différer l’opération. Moralité : lorsque vous serez fatigué d’endurer chez vous la présence constante de votre gendre, vous donnerez ce qu’il faut à votre fille pour qu’elle puisse se loger chez elle. Pour vous, alors, la crise sera terminée…

Le prix du marché

Il en va de même avec le feuilleton sans cesse renouvelé du taux de rendement du Livret A. Antérieurement fixé à un niveau anormalement élevé, le voilà revenu à une altitude conforme à son mode de calcul. Ce qui provoque des grincements de dents parfaitement injustifiés. Si l’épargne de précaution ne rapporte plus que des clopinettes, au moins pourra-t-on judicieusement vider quelques uns de nos livrets surnuméraires et illégaux (rappelons ici que la loi n’en autorise qu’un par personne), pour remplir notre cave de crus prestigieux. Il semble bien, en effet, que les grandes signatures du Bordelais soient en train de redevenir plus accessibles au commun des mortels, après l’envolée des dernières années consécutive à la pépie inextinguible des Russes et des Asiatiques. A croire que ces nouveaux riches se tapaient nos crus prestigieux dès le petit-déjeuner. Aujourd’hui que les fortunes émergentes retombent comme un soufflé, le signataire se réjouit à la perspective de pouvoir s’offrir à nouveau un Lynch-Bages le dimanche, et un Lafite-Rothschild les jours de fête, plaisirs incomparables auxquels il a dû renoncer faute d’être né moscovite ou pékinois. Le malheur des businessmen déconfits fait le bonheur des amateurs de grands crus, c’est bien connu.

Sur un autre registre, les embarras des constructeurs automobiles font la joie des amateurs de bagnoles (un véhicule acheté, un autre gratuit, nous promettent certaines publicités). Mais les actionnaires de ce secteur font évidemment grise mine, ainsi que… leurs créanciers. Maintenant que General Motors ne peut plus refuser le parapluie protecteur de la loi sur les faillites, ce que le lecteur assidu de ce journal avait anticipé depuis longtemps, les (nombreux) créanciers de GM regimbent : et nos sous ? clament-ils avec un ensemble touchant. Au prétexte que les banquiers décavés ont bénéficié de la généreuse bienveillance des pouvoirs publics, les porteurs d’obligations voudraient, eux-aussi, profiter d’une caution étatique, qui n’est pas prévue en l’espèce. La règle du jeu est pourtant simple. En temps ordinaire, le porteur d’obligations est assuré de toucher son coupon, alors que le dividende de l’actionnaire est aléatoire ; mais en cas de sinistre, il n’est qu’un modeste créancier chirographaire, condamné à grignoter les restes (s’il y en a…) après paiement des créanciers privilégiés, sur le produit de la liquidation. Dans un tel scénario, son sort est à-peu-près équivalent à celui de l’actionnaire : il ne lui reste que les yeux pour pleurer, s’il est trop émotif. Voilà une nouvelle illustration du paradoxe que l’on vit quotidiennement aux Etats-Unis : dans un pays viscéralement attaché au capitalisme de marché, la plupart des gens acceptent le risque lorsqu’il génère des gains, mais ils en appellent à l’Etat lorsque les affaires tournent mal et que le capital est boulotté. C’est exactement ce qui se produit au travers des divers « plans de sauvetage » mis en place par l’administration US, qui ont principalement pour effet de préserver les intérêts de « Wall Street », entendez par là ceux des gros actionnaires et créanciers du système financier yankee. Enfin, tel sera le cas si les plans produisent les effets escomptés. Ce qui n’est pas garanti, on l’aura compris. En foi de quoi ne serait-on pas surpris que l’acheteur d’une grosse bagnole se voie bientôt offrir, en prime, une jolie maison à la campagne. Avec une cave remplie de grands crus…

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