La Banque Populaire (...)

La Banque Populaire de Chine prend la main

Longtemps discrète sur le terrain des changes, la Banque Populaire de Chine change de braquet. Voilà plus d’un an que son Gouverneur a plaidé pour l’instauration d’une vraie monnaie internationale qui serait le pilier du système à reconstruire. Aujourd’hui, elle décide une hausse de ses taux directeurs qui surprend la communauté financière.

Pour une banque centrale, la communication relève d’un art délicat. Il s’agit d’inspirer le maximum de confiance à ses ouailles sans dévoiler ses batteries, afin de ne pas déclencher de phénomènes d’anticipation déstabilisateurs. Chacun se souvient des prouesses rhétoriques d’Alan Greenspan, à la tête de la FED pendant plus de dix-huit ans : ses propos étaient à peine plus intelligibles que les oracles de la Pythie de Delphes. Une stratégie délibérée qu’il confirma un jour par cette saillie demeurée célèbre : « Si vous m’avez compris, c’est que je me suis mal exprimé ». Les marchés financiers ont adoré le « Maestro » Greenspan et ses rébus alambiqués : pendant son règne, l’industrie de l’argent a tourné à plein rendement, grâce à une politique monétaire longtemps accommodante. Trop longtemps accommodante, reconnaissent aujourd’hui les observateurs : le virus des « subprime », en particulier, en a profité pour prospérer, provoquant les dégâts que l’on connaît. De son côté, le Président de la Banque centrale européenne déploie une communication a minima, dans le sabir techno qu’affectionnent les hauts-fonctionnaires français, avec l’utilisation systématique de deux formules-talisman : « le niveau des taux d’intérêt est approprié » et « l’euro est une monnaie crédible ». Les analystes n’en savent pas plus avec Trichet qu’avec Greenspan, mais ils s’amusent beaucoup moins.

Maintenant que la Banque centrale chinoise est devenue le coffre-fort des réserves de change mondiales, et le plus important détenteur de dollars off shore de la planète, on ne peut négliger d’observer attentivement ses dires et ses actes. Qui témoignent directement des intentions du Bureau politique de Pékin, l’Institut d’émission n’ayant aucune prétention à l’indépendance. Et là, il faut reconnaître que les choses ont bien changé depuis environ un an et demi. Auparavant, personne ne connaissait l’identité du Gouverneur de la Banque Populaire de Chine (BPC), à l’exception de ses homologues grands argentiers. Désormais, tout le monde, ou presque, connaît Zhou Xiaochuan, titulaire du poste. Pas à cause des ambitions politiques que lui prêtent les observateurs et qui lui auraient valu quelques chinoiseries l’été dernier ; mais bien par ses prises de position et déclarations, qui tranchent avec la discrétion antérieure de la BPC.

Le plaidoyer de Zhou

C’est au mois de mars de l’année dernière que Zhou Xiaochuan a publié un texte très argumenté et intitulé : « Réformer le système monétaire international ». L’essentiel des critiques qu’il adresse au système en vigueur, ou plutôt de ce qu’il reste des accords de Bretton Woods qui l’avaient organisé, a depuis longtemps été formulé par Robert Triffin, dans des développements que l’on a baptisés depuis lors le « dilemme de Triffin » . Dès lors qu’une monnaie nationale (le dollar, en l’espèce) est promue au rang de seule monnaie de règlements internationaux et de monnaie de réserve quasi-exclusive, la balance des paiements du pays émetteur est condamnée à être durablement déficitaire : c’est la conséquence mécanique de la nécessité d’assurer la liquidité d’un commerce international en expansion régulière. Or, un pays dont la balance est perpétuellement déficitaire s’expose inévitablement à l’affaiblissement de sa monnaie. Si bien que, comme le relève Zhou Xiaochuan, la banque centrale de la monnaie internationale ne peut à la fois piloter sa politique pour les besoins de l’économie domestique, et en même temps pour ceux du reste du monde. Outre la situation de déséquilibre caractérisé qu’induit une telle situation : les Etats-Unis paient leurs achats à l’étranger avec leurs propres dollars, ces mêmes dollars ne revenant que très partiellement chez eux pour l’achat de biens et services américains ; une large part est en effet transformée, dans les comptes des banques centrales ou des banques commerciales, en dettes du Trésor américain. La Banque de Chine réclame donc, comme le fit Keynes en son temps, l’instauration d’une monnaie internationale distincte des monnaies nationales et administrée par un organisme multinational qui pourrait être le FMI. Ce dernier dispose bien d’une monnaie spécifique, les DTS (Droits de tirage spéciaux), mais ne dispose pas du pouvoir d’émission. A ce jour, la proposition chinoise n’a reçu qu’un écho lointain, mais l’idée progresse doucement.

En attendant, la BPC vient, contre toute attente des marchés, de donner un signe d’apaisement à la « guerre des monnaies » en cours. Elle a relevé ses principaux taux directeurs, ce qui tend à favoriser l’appréciation du renminbi – que réclament les Etats-Unis à cor et à cris. Pourtant, le Quotidien du Peuple, dans la version française du journal pékinois, invoque des motifs de pure politique interne pour justifier le relèvement des taux : il s’agirait de combattre l’inflation, qui est remontée en septembre à 3,6% (en taux annualisé). La hausse des taux étant toutefois modeste (1/4 de point), son impact ne devrait pas être très sensible, ni sur la hausse des prix, ni sur la surchauffe immobilière. Mais par ce geste, la BPC montre qu’elle souhaite apaiser les tensions sur le marché des changes et ainsi prévenir le désastre annoncé d’une guerre monétaire sans merci. Avant que ne naisse, au forceps ou par césarienne, le « bancor » qu’elle appelle de ses vœux.

Par Jean-Jacques JUGIE

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