La Chine et le Plan

La Chine et le Plan

On ne peut qu’être surpris des incertitudes que les Etats occidentaux disent relever dans la stratégie de la Chine. Ce pays est la dernière grande nation du monde à établir un plan quinquennal. Et à le respecter scrupuleusement, grâce à un pouvoir politique fort. Le plan 2011-2015 est en voie de bouclage. Et ses objectifs sont publiés.

Dans l’ambiance de foire d’empoigne qui caractérise les relations internationales du moment, en phase avec le désarroi des élites, les doigts accusateurs se pointent sur deux acteurs majeurs. Les Etats-Unis, d’une part, soupçonnés de fossoyer délibérément le dollar pour alléger le fardeau de leur dette et relancer les exportations. Mais faute de pouvoir contraindre l’Oncle Sam d’aucune façon, compte tenu de la taille de ses biscoteaux, les critiques prennent généralement le ton de l’aimable gronderie. La Chine, d’autre part, subit les assauts sans nuance des Etats-Unis et des vassaux qui lui sont encore fidèles, les autres pays demeurant prudents : l’Empire du Milieu est un client plein de potentiel et réputé susceptible. Les reproches faits aux Chinois sont empreints de cette mauvaise foi caractéristique du politiquement correct : ils ont raflé une grosse partie de l’activité manufacturière mondiale – bien aidés par les nations « riches » qui y ont délocalisé leur production ; ils refusent de soumettre leur monnaie au « flottement » généralisé, estimant (avec des arguments) que le marché des changes est un marigot peuplé de pirates, et que leur économie n’est pas assez forte pour affronter sans dommages une telle engeance ; ils sont enfin convaincus de se comporter en auvergnats par leur obsession de l’épargne, au lieu de claquer leurs sous dans les gadgets coûteux produits par les autres pays. Sur ce dernier point, la critique n’est pas sans fondement. Même si, pour rester lucide, il est permis de se demander comment l’Amérique aurait financé sa dette si la Chine n’en avait pas raflé la plus grosse partie…

En tout cas, tant dans les chancelleries que dans les milieux d’affaires, la stratégie chinoise fait l’objet de toutes les interrogations. Nul doute en effet que l’avenir de la planète soit largement conditionné à celui que Pékin entend dessiner pour son pays. Et comme la démocratie populaire chinoise fonctionne plutôt comme une dictature éclairée, les orientations politiques revêtent une crédibilité bien supérieure à celles des démocraties occidentales, enfarinées par les lobbies et constamment polluées par l’imminence d’un scrutin.

Un plan musclé

En foi de quoi est-il infiniment plus facile de deviner le futur de la Chine que celui des Etats-Unis. Il suffit pour cela de se reporter au maître-document, largement diffusé dans le pays et à l’extérieur – et pas seulement en chinois, ce qui a permis au signataire d’en prendre connaissance sans recourir à un traducteur. Il s’agit du plan quinquennal, que l’on aurait tort de considérer comme la survivance désuète d’un bolchevisme démodé. Il faut bien convenir que le plan quinquennal à la soviétique était principalement un ouvrage de propagande et que ses objectifs ambitieux ont rarement été couronnés de succès. Il n’en va pas de même en Chine, où même Mao parvint à concrétiser ses plans jusque dans les détails les plus outranciers – et les plus préjudiciables au pays. Nul ne sait aujourd’hui combien de temps perdurera le « socialisme de marché » chinois, ce modèle hybride qui parvient à conjuguer la tyrannie du capitalisme de Friedmann et celle du communisme de Staline. Peut-être des années, peut-être des siècles : son fonctionnement suscite la jalousie de bien des dirigeants occidentaux, bluffés par l’étendue du pouvoir dont dispose Pékin. Mais les autorités chinoises sont parfaitement conscientes des risques de désordres sociaux résultant des fortes inégalités générées par une longue phase de croissance au pas de charge – strictement conforme aux prescriptions des plans précédents.

Le plan quinquennal 2011-2015, qui sera adopté en mars prochain, continue de faire l’objet de débats dans le pays. Après avoir donné lieu, en début d’année, à une très large consultation où ont été conviés de nombreux experts… étrangers. Une démarche très habile de la part des autorités, qui ont ainsi pu mesurer les attentes (intéressées) des nations concurrentes, tout en bénéficiant d’un haut niveau de réflexion. Le tout sous l’alibi d’une ouverture au monde et d’une humilité de bon aloi – l’une et l’autre peu conformes à la culture autochtone. Une belle illustration de cet aphorisme d’Oscar Wilde : « Les questions ne sont jamais indiscrètes, mais les réponses le sont parfois ». Au stade actuel, il est peu probable que l’architecture du futur plan soit remise en cause. Et ses fondations sont éclairantes. D’abord, fin du cycle de production forcenée vers l’exportation : est introduite la dimension de « croissance durable ». Avec son volet environnemental, bien sûr, mais aussi son volet social : l’enrichissement doit être mieux partagé. En particulier avec les populations rurales, jusqu’à ce jour négligées et devenues frondeuses. Donc, l’objectif est de développer le marché intérieur et d’améliorer le pouvoir d’achat, afin de maintenir la paix sociale. Parallèlement, renforcer encore l’éducation et la recherche : l’ambition est maintenant de se positionner à l’export sur des produits de haute technologie. En témoigne l’effervescence du salon aéronautique de Zhuhai, où a été présenté le C919, long-courrier intégralement chinois et futur concurrent de Boeing et d’Airbus. Enfin, « faire de l’industrie culturelle un pilier de l’économie nationale » : un ciment puissant pour la cohésion sociale et un efficace instrument de propagande vers l’extérieur. A ceux qui en doutaient encore, les Chinois démontrent qu’ils apprennent vite les règles du succès. Au moins aussi vite que nous les oublions.

Par Jean-Jacques Jugie

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