La bulle chinoise

La bulle chinoise

  • le 17 août 2010

La ruée vers l’immobilier se poursuit dans les grandes villes chinoises. Avec une hausse fantastique des prix, même si le mètre-carré pékinois reste moins cher que celui d’une ville française moyenne. Sauf que le pouvoir d’achat n’est pas le même dans l’Empire du Milieu et dans l’Hexagone. Et les banques jouent hardiment la chaudière.

Dans les grandes villes chinoises, la frénésie immobilière ne se calme pas. Les gratte-ciel poussent comme des champignons après l’orage et les acheteurs continuent de cueillir des plus-values. Les prix ont encore flambé, après une nouvelle hausse estimée à 11% sur un an, à la fin mai. Mais il s’agit là de statistiques officielles qu’il convient d’appréhender avec prudence. Comme celles relatives au prix moyen du m2 : il s’établirait à 22.000 yuans environ à Pékin, soit 2.450 euros au cours actuel de la devise chinoise. Toutefois, la conversion ne sert pas à grand-chose : un étranger ne peut prétendre acheter un bien que s’il est en mesure de prouver qu’il acquitte depuis au moins un an ses impôts et charges sociales dans la même ville. Autant dire que les « nez longs », ainsi baptisés les Occidentaux par les autochtones, sont rarement propriétaires d’immeubles. Même les institutionnels locaux sont privés de spéculation : les compagnies d’assurance, en particulier, n’ont pas accès à l’investissement immobilier résidentiel ou commercial. Et encore Pékin n’est-elle pas championne de la hausse des prix : sans parler de Hongkong, qui est depuis longtemps la plus chère, Shanghai subit une pression telle que les autorités locales menaçaient, voilà peu, d’instaurer une… taxe d’habitation pour freiner la spéculation. Cela fera sourire les contribuables que nous sommes, habitués de longue date à subir une lourde fiscalité immobilière, sans que cela ait vraiment affecté le niveau général des prix. Il faut toutefois apprécier la situation pékinoise à l’aune du pouvoir d’achat local : le revenu annuel moyen (toujours selon les statistiques officielles) s’élèverait à environ 18.000 yuans par individu. C’est-à-dire qu’un ménage salarié « moyen » doit consacrer 30 ans de revenus à l’acquisition d’un logement de 50 m2. Six fois plus de temps qu’en France – en 2007, soit au sommet du cycle haussier. Il va sans dire que la propriété est inaccessible à la plupart des ménages chinois : seule une fraction de la population y a donc accès, mais les écarts de revenus sont devenus considérables, entre ceux qui font du business et leurs employés. C’est précisément pour freiner l’appétit immobilier des catégories aisées que l’administration centrale vient d’adopter des mesures restrictives à l’investissement urbain. Tout en renouvelant une série de « stress tests » auprès des banques, afin de mesurer les risques encourus par ces dernières en cas de krach immobilier. Ou plus exactement, à évaluer les dégâts à attendre quand le krach se produira.

Titrisation : le retour

Des tests de même nature avaient déjà été réalisés il y a quelques mois, sur la base d’une chute des prix de 30%. Apparemment, le système bancaire était parfaitement apte à supporter le choc, ce qui est plutôt crédible : environ la moitié des acquisitions se ferait… cash ! Et bon nombre des logements en cause demeurent vides. Dans la Chine d’aujourd’hui, l’immobilier est une valeur-refuge du même ordre que les tableaux de maître, les lingots ou les pierres précieuses chez les Occidentaux. L’ennui, dans ce type d’approche, c’est qu’un logement n’a une valeur de marché que s’il est susceptible d’être occupé. Le facteur de rareté joue d’autant moins qu’il y aurait actuellement, selon le magazine en ligne Caixin, près de 65 millions de logements vacants à Shanghai (sur la base de l’absence de consommation d’électricité – information non confirmée par les fournisseurs). Ainsi donc, même si le pouvoir central a limité la propriété à un appartement par famille à Pékin, et imposé aux banques des normes sévères pour le financement de leurs clients (apport personnel élevé, limitation des encours par famille), le risque bancaire ne se situe pas nécessairement du côté des particuliers. Il semblerait en effet que les collectivités locales, riches d’espaces fonciers importants, aient été prises d’une véritable fièvre bâtisseuse. Et à crédit, bien entendu. Si l’on en croit l’agence de notation Fitch, les banques auraient délibérément minoré leurs véritables encours sur l’immobilier lors des derniers stress tests. Et auraient depuis emboîté le pas à leurs homologues américaines sur le modèle des crédits subprime, en procédant à la titrisation d’une partie de leurs créances. Selon la rumeur, les nouveaux stress tests se placent dans l’hypothèse d’une chute du marché de… 60%. Un cas de figure qui n’a rien d’extravagant, au vu de l’offre existante et des chantiers pharaoniques en cours. Les résultats des tests ne sont pas connus au moment de la rédaction de ces lignes, et ne seront peut-être pas rendus publics. Ou alors, dans une version édulcorée. En tout cas, on peut sans risque d’erreur pronostiquer de graves dommages collatéraux au système bancaire chinois, si le krach attendu atteint une telle intensité. Et peut-être, par capillarité, de nouveaux embarras pour les banques occidentales, pour peu qu’elles aient été tentées par le rendement apparent de ces créances immobilières, faute de pouvoir investir directement sur le marché des biens. Bref, l’expérience yankee n’a pas servi de leçon aux Asiatiques ; il semblerait possible que contrairement aux allégations de Céline, l’Histoire s’apprête à repasser les plats…

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