Le révélateur Madoff

Le révélateur Madoff

La plus grosse escroquerie de l’histoire n’a été rendue possible, au mieux, que par la bienveillance du système financier à l’égard de Madoff. Au pire, par sa complicité avec lui. En témoignent les actions diligentées par le liquidateur. Un véritable révélateur de ce qu’est devenue la sphère financière : une cour des miracles.

Les 150 ans de prison infligés à Madoff suffiront-ils à calmer la vindicte des investisseurs qu’il a floués ? Rien n’est moins sûr : 65 milliards de dollars se sont évaporés, ce qui représente un joli magot, même pour des gens fortunés. De quoi rendre héréditaire la malédiction de l’auteur de la plus spectaculaire escroquerie du siècle, et ce jusqu’à la septième génération. Mais nous ne sommes probablement qu’au début d’une avalanche de dommages collatéraux liés à cette affaire. Même si la carrière financière de Madoff a été longue, sa martingale n’a vraiment atteint une grande amplitude que sur les dix dernières années, au maximum. Pour perdre toute trace du capital disparu, il faudrait donc que le « gestionnaire » ait claqué plusieurs milliards de dollars par an en fanfreluches antidotées, ce qui n’est raisonnablement pas possible – même pour un panier percé. Sans doute faut-t-il décompter du préjudice estimé les profits fictifs qui ont été reversés aux investisseurs ; telle est du reste la direction empruntée par la justice américaine, qui ambitionne de faire restituer les « gains » matérialisés par les investisseurs chanceux (ou initiés) qui sont sortis du système avant son explosion – à condition qu’ils soient identifiables, ce qui n’est sans doute pas le cas général.

Mais il y a aussi toute la chaîne des intervenants financiers professionnels, dépositaires, conseillers ou rabatteurs, dont le liquidateur américain, Irving Picard, estime que tous ne pouvaient ignorer le caractère frauduleux de la méthode Madoff. On peut même aller plus loin en affirmant qu’aucun professionnel digne de ce nom ne pouvait éviter le soupçon, face à la régularité métronomique des hautes performances de gestion sur une aussi longue période. A moins d’admettre que Madoff était parvenu à vaincre le hasard – une croyance prohibée dans le monde financier. Il en résulte que le liquidateur considère comme engagée la responsabilité des banques intermédiaires, à des degrés divers selon leur implication dans le processus. Si bien que Irving Picard ne désespère pas de récupérer au moins 30 milliards de dollars, alors que les réclamations des investisseurs ne portent à ce jour « que » sur 21,5 milliards.

Madoff à tous les étages

Pour la plupart d’entre elles, les banques épinglées par le liquidateur auront de la peine à échapper aux soustractions qui leur sont demandées. Pas seulement au motif d’être coupables de négligence face à l’invraisemblance des performances de Madoff. Certaines avaient été alertées par leurs auditeurs sur les anomalies et zones d’ombre dans les affaires du célèbre « gestionnaire ». Et elles n’en ont tout simplement pas tenu compte. D’autres se sont impliquées comme dépositaires et n’ont apparemment pas respecté les diligences scrupuleuses qui permettent de garantir la sécurité des déposants. D’autres enfin ont pris une part active dans les fonds Madoff, en y faisant apporter les capitaux de leurs clients moyennant de confortables commissions – quelquefois plus confortables que les conventions contractuelles, ce qui ne plaide pas en faveur de leur bonne foi.

La première banque à avoir été épinglée par Irving Picard est la suisse UBS, sollicitée à hauteur de 2,5 milliards de dollars. Si l’établissement dénonce vigoureusement la « fausseté des accusations », son confrère genevois UBP a préféré transiger à près de 500 millions de dollars l’abandon des poursuites. La procédure de validation est en cours, avec de bonnes chances d’aboutir. De grandes banques françaises ne sont pas épargnées par la procédure : on se souvient du feuilleton qui a nourri l’actualité au moment où l’affaire a été déclenchée, ainsi que des arguties juridiques qui ont été avancées à l’époque. Desquelles il ressort que la responsabilité incombait aux… différences entre les réglementations française et luxembourgeoise, cette dernière étant moins protectrice des intérêts de l’épargnant. Un ange passe. Mais la banque qui est au centre du collimateur du liquidateur, c’est HSBC. A laquelle il réclame 9 milliards de dollars, pour avoir « créé, fait la promotion et soutenu un réseau international d’une douzaine de fonds nourriciers domiciliés en Europe, aux Caraïbes et en Amérique centrale ». A ce prix, on comprend que l’institution proteste de sa virginité. De même que l’américaine JP Morgan, appelée à hauteur de 6,4 milliards de dollars, qui trouve « irresponsables et exagérées » les accusations portées contre elle. Une défense qui n’est pas très habile : en parlant d’exagération, la Banque reconnaît une part de bien-fondé aux accusations.

Mais cette approche témoigne bien de l’état d’esprit qui prévaut dans la sphère financière : le larcin d’un œuf étant systématiquement pardonné, personne n’hésite plus désormais à voler un bœuf, puis un troupeau, puis la fermière. Et si les tribunaux ont l’outrecuidance de sanctionner ces pratiques, alors accepte-on de régler à contrecœur une amende plus ou moins symbolique, quand l’interdiction d’exercer serait le verdict le plus approprié. Un exemple récent : Bank of America a été convaincue de fraude massive sur le marché des bons municipaux. Elle a transigé avec le régulateur une amende de 500 millions de dollars, soit une petite semaine de ses profits annuels. Elle peut ainsi repartir la tête haute vers de nouveaux pillages aventureux. Dans ces conditions, nul ne peut s’étonner de la détestation grandissante que les populations nourrissent à l’égard du système financier. Lequel finira par payer le prix de son cynisme outrancier.

Par Jean-Jacques JUGIE

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