Pentagone : contes et mécomptes

Violemment attaqué chez lui par de nombreux parlementaires, le Pentagone tente une diversion digne d’une cour de récréation. En faisant miroiter les richesses minières de l’Afghanistan, que les Américains auraient par hasard découvertes au fil de leurs campagnes guerrières. Le complexe militaro-industriel US a du souci à se faire…

Nous sommes tellement englués dans l’ère du clinquant que la « communication » tient désormais lieu de politique. Voilà peu de temps, le New York Times annonçait cette nouvelle sidérante : selon le Pentagone, le sous-sol afghan serait un véritable trésor minier. Le scoop est aussi bluffant que si Paul Bocuse annonçait qu’il vient de découvrir la poularde de Bresse. Puis suit la litanie des richesses : du fer, du cuivre et du… lithium, bien sûr, ce composant essentiel des batteries, dont les ressources se trouvent aujourd’hui concentrées en peu d’endroits – au Tibet, en particulier, allez-donc savoir pourquoi les Chinois tiennent autant à maintenir leur emprise sur le « Toit du monde ». Et ce n’est pas tout : il y aurait aussi du cobalt et du niobium, très utilisés dans la fabrication des aciers spéciaux et donc convoités par les sidérurgistes de pointe. Enfin, il y a de l’or, dont tout le monde aimerait aujourd’hui détenir un stock confortable eu égard à son prix élevé, lequel promet d’atteindre des niveaux stratosphériques sur les temps à venir. Bref, que le sol afghan fût un authentique coffre-fort, vous le saviez déjà, sans connaître nécessairement le détail des gisements : les Russes avaient déjà occupé le terrain (comme par hasard) et avaient eu le temps d’établir une cartographie assez précise avant de se carapater. Autant de secrets, selon le New York Times, qu’ils auraient planqués (probablement sous le tas de pierres à gauche, en sortant de Kaboul) et que l’armée US, magistralement dirigée depuis l’infaillible Pentagone, aurait incidemment découverts lors d’un pique-nique dominical. Alors que, on s’en doute, ils étaient à mille lieues d’imaginer un tel potentiel en Afghanistan.

Seulement voilà, nous dit d’un ton désolé le journaliste américain : il faudra beaucoup de temps pour mettre en place d’efficaces structures d’exploitation. Et les Afghans n’ont pas les moyens, ni techniques ni financiers, pour envisager des investissements pharaoniques : pensez-donc, dit-il, avec cette guerre interminable, tout est cassé et pas moyen d’éliminer les deux douzaines de talibans qui mettent le pays à feu et à sang. Un ange passe… Le conte fantastique est développé jusqu’à la nausée : le Président Karzaï viendrait d’apprendre la bonne nouvelle, selon laquelle son gouvernement est assis sur un gisement minéral de 1 000 milliards de dollars, lui qui croyait simplement régner sur un empire de l’opium (assez rentable au demeurant, merci pour lui). Voilà la « narrative », comme on dit aux USA, c’est-à-dire le récit édifiant que colporte la grande presse yankee, après avoir reçu les encouragements appropriés de « Moby Dick », ainsi surnommé le Pentagone, sans connotation affectueuse, par des détracteurs de plus en plus nombreux.
Flirt grossier avec l’opinion

Et c’est bien là que se situe, probablement, le motif de cette naïve offensive de charme en direction du monde politique, des milieux d’affaires et du grand-public : les critiques de plus en plus agressives, aux Etats-Unis, de cette monstrueuse bureaucratie qu’est devenu le Pentagone, véritable état dans l’Etat et qui flambe une part significative du budget fédéral. Pour des résultats de plus en plus virtuels, dans les nombreux conflits armés où le pays est à ce jour engagé. Ainsi donc, phénomène extraordinaire chez l’Oncle Sam, c’est du Congrès lui-même que partent en ce moment les attaques les plus virulentes. Une coalition bipartisane s’est constituée, réclamant un audit du Pentagone et visant à imposer à ce dernier un plan d’économies de… 1 000 milliards de dollars (en dix ans, tout de même). Globalement, les préoccupations de ces politiciens hérétiques ne sont pas exclusivement budgétaires, même si tous ont compris que la situation présente est intenable : le pays en est réduit à licencier des cohortes d’enseignants, de pompiers et de policiers, faute de pouvoir assumer leurs traitements. Il ne fait aucun doute qu’une telle dégradation ne sera pas sans conséquences dans les prochains scrutins, et constitue donc un véritable souci pour les élus.

Mais il ne faut pas négliger l’autre dimension de l’affaire, celle qui fait le fond du discours de Ron Paul, ce Sénateur qui conspue le brigandage de la Banque fédérale (et accessoirement demande un audit de ses comptes, qu’il n’a toujours pas obtenu) et s’élève depuis longtemps contre l’aventurisme agressif de la politique extérieure américaine. Ron Paul n’est pas un « progressiste » au sens européen du terme ; il est proche des « libertariens », partisans du minimum de prérogatives régaliennes de l’Etat, résolument libre-échangistes et défenseurs de libertés individuelles étendues. L’audience de Ron Paul n’a cessé de croître ces dernières années, au point d’apparaître comme un candidat crédible à la présidentielle. Si bien que cette fronde anti-Pentagone pourrait bien marquer l’amorce d’une véritable révolution du système américaniste : la déstabilisation de ce qu’il est convenu d’appeler le « complexe militaro-industriel » qui depuis longtemps fait la pluie, le beau temps et… les catastrophes (militaires, financières et écologiques). On tient pour peu probable l’hypothèse selon laquelle la diversion tentée par Moby Dick, au sujet de l’Afghanistan, soit de nature à contrarier les revers auxquels doit s’attendre la machinerie militaire. Au contraire : pour en être réduit à des expédients aussi ridiculement infantiles, il faut supposer que le Pentagone a, si l’on ose dire, senti passer le vent du boulet. Ça va cartonner…

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