QE2 : la grenade dégoupill

QE2 : la grenade dégoupillée

Le revers électoral d’Obama était attendu. Le deuxième étage du quantitative easing de la FED (QE2) également. Mais ce dernier est autrement plus inquiétant pour le monde entier que la montée du désordre politique chez l’Oncle Sam. Car ce nouveau recours à la planche à billets, s’il échoue comme c’est probable, pourrait provoquer le chaos.

Bon, l’affaire est entendue : les Démocrates américains ont bien « pris une raclée » aux élections du mid term, comme le Président Obama l’a reconnu lui-même. Encore que la dégelée aurait pu être plus sévère : si la Chambre des représentants est désormais sous nette domination des Républicains, la faction au pouvoir conserve le contrôle du Sénat – avec une courte tête de majorité. Voilà qui introduit un contexte de « cohabitation » finalement familier aux Etats-Unis, même en situation ordinaire : la politique du Nouveau Monde se conduit toujours au travers de marchandages avec l’opposition et avec les lobbies, tout particulièrement la « Chambre de commerce », c’est-à-dire les milieux d’affaires. Accessoirement, le sentiment de la population est pris en compte, surtout lorsque des élections se profilent à l’horizon. Obama n’avait donc d’autre possibilité que de se déclarer « prêt à travailler » avec ses opposants, qui font monter la pression en réclamant l’abrogation de la loi récente sur la santé, une mesure-phare de l’actuelle administration, à laquelle le Président n’entend pas renoncer. Le « travail » en commun promet donc de se révéler difficile et de se solder par une castagne perpétuelle, jusqu’aux élections de 2012. Le tout dans un contexte économique très difficile, qui a du reste conditionné les résultats du dernier scrutin et consacré la montée en puissance du Tea Party, ce mouvement protestataire protéiforme qui se distingue surtout par l’outrance de revendications assez souvent contradictoires.

Bref, le climat de désordre a maintenant de nouvelles bonnes raisons de s’amplifier, surtout si la tendance de l’activité demeure précaire, avec pour corollaire un niveau de chômage élevé et la poursuite des saisies immobilières qui jettent de plus en plus de ménages dans l’état de grande pauvreté. Le rêve américain s’est effondré et cède désormais le pas au cauchemar d’une réalité cruelle : le capitalisme financier devient complètement barbare lorsque l’Etat se montre impuissant à tempérer ses excès. La faction conservatrice, qui défend les valeurs de la tradition américaine – plus de libertés individuelles et moins d’Etat – détient une force d’obstruction susceptible de contrecarrer toute action de la Maison-Blanche qui relève de l’Etat-providence : les Républicains accusent Obama de « socialisme », notamment pour avoir promu une sécurité sociale « à la française » – le comble du soviétisme pour la droite US. Il est donc hautement improbable que l’Etat fédéral puisse engager des moyens budgétaires au soutien de l’économie : il n’en a plus les moyens et les opposants réclament au contraire une vigoureuse diminution de la dépense publique. Ne reste donc que le levier monétaire pour tenter de sortir de l’impasse, en priant pour que les thèses monétaristes soient pertinentes. Ce n’est pas gagné d’avance…

Le geste désespéré de la FED

{{}}

En foi de quoi le résultat électoral est-il moins important pour l’avenir du monde que la décision prise par la FED peu de temps après. La mesure était attendue ; seule son intensité faisait question. On connaît désormais le verdict : après avoir créé environ 1 700 milliards de dollars, par rachat de titres d’Etat et de créances pourries, la FED va attaquer la deuxième phase de quantitative easing (autrement appelé « mesure non conventionnelle » ou recours à la planche à billets). Elle s’engage à mettre sur la table 75 milliards de dollars par mois sur les huit mois à venir (600 milliards au total), qui s’ajoutent aux 35 milliards de dollars mensuels déjà décidés cet été, sous forme de rachat de titres du Trésor US. Ce qui aura pour effet d’en renchérir le prix, donc de faire baisser les taux, et ainsi, dit la théorie, d’encourager les entreprises à emprunter pour investir et les particuliers pour dépenser. L’ennui, c’est que les taux sont déjà historiquement bas, sans effet perceptible sur l’investissement ni la consommation. Alors que banques et grandes entreprises disposeraient ensemble d’environ 2 000 milliards de dollars de liquidités inemployées, quand les petites entreprises n’obtiennent pas plus de crédit que les ménages surendettés.

On se retrouve ainsi dans le schéma keynésien de la « trappe à liquidités » : la rémunération de l’argent est trop faible pour stimuler les investisseurs. Qui thésaurisent la monnaie ou se lancent dans des opérations potentiellement plus rémunératrices, mais évidemment plus risquées. Comme la spéculation sur les matières premières et les devises – ou la chaudière sur les actions. L’Institut d’émission américain joue ainsi un jeu dont l’issue positive est très hypothétique. Mais dont l’échec serait porteur de dégâts irréparables : flambée des prix par dépérissement du dollar, forte dépression par appauvrissement des ménages, chaos total sur les marchés. Une sorte d’Armageddon sur le modèle de la République de Weimar, mais à l’échelle mondiale. Pourquoi prendre de tels risques ? D’abord parce que la culture américaniste justifie le recours à n’importe quel moyen pour secourir les siens, quitte à embraser la planète. Ensuite parce qu’il n’y a pas vraiment de plan B, sauf à décréter l’austérité, sur le mode européen. Mais « austérité » est un gros mot aux States. Pire que « communisme ». Alors croisons les doigts pour que le dogme monétariste soit corroboré par les faits. Ou que la Chine, au prochain G20, dynamite le QE2 en sa qualité de premier créancier de l’Amérique.

deconnecte