Zone euro : vers l'implosi

Zone euro : vers l’implosion ?

La démonstration est faite : certains pays de la Zone euro ne peuvent plus adhérer au club sans l’aide de leurs comparses. Lesquels la refusent ou n’en n’ont pas les moyens. Bien que sa gestion soit plus orthodoxe que celle du dollar, l’euro est ainsi promis à des lendemains chaotiques. Seuls les « vertueux » pourront le conserver. Ça ne fait pas bésef…

A l’approche des réjouissances de fin d’année, on aimerait bien pouvoir faire une trêve. Une trêve dans l’interminable feuilleton de la crise. Il faudrait pour cela avoir de bonnes raisons de penser, comme nous le suggèrent les autorités du monde entier, qu’après les malencontreux chahuts du moment et les méchantes restrictions promises pour les quelques décennies à venir, le monde de nos petits-enfants finira par retrouver le merveilleux équilibre qui était le sien, paraît-il, avant que les « subprime » toxiques ne vinssent casser la baraque. Nul ne peut raisonnablement reprocher aux dirigeants leurs discours lénifiants : la douleur n’ajoute rien à la douleur, on le sait. Promettre de la sueur et des larmes ne constitue pas vraiment le programme électoral le plus adapté aux attentes des démocraties occidentales, qui depuis la fin de la Deuxième guerre ont continument baigné dans les délices de Capoue. Pour preuve, les Etats qui ont dû tailler à la hache dans leurs dépenses budgétaires commencent déjà à mesurer, dans la rue, le sentiment des populations à l’égard d’une austérité proche de l’ascèse. Mais si la propagande officielle est passible d’indulgence, l’action des autorités inspire au contraire l’effroi et la consternation.

Tout particulièrement en Europe, à laquelle la survenance de la crise offrait l’occasion de renforcer ses liens institutionnels, de légitimer une gouvernance largement critiquée dans l’opinion et de démontrer les effets de la solidarité au sein de l’Union. Au lieu de cela, on a assisté dès le début à une véritable foire d’empoigne. La vertueuse Allemagne a immédiatement dressé un rempart d’orthodoxie, refusant tout net de dilapider la moindre parcelle de l’épargne de ses citoyens industrieux pour secourir des feignasses méditerranéennes, qui siestent à l’ombre des ruines du Parthénon depuis sa destruction de 1687. Certes, depuis lors, Berlin a mis un peu d’eau dans son riesling. Et un filet de sauvetage a été confectionné pour Athènes. Mais un filet aux mailles trop larges et livré bien trop tard : les « marchés », dans leur activité favorite de charognards, comprirent immédiatement que la chasse serait généreuse. Tels des animaux blessés, les Etats dans la gêne allaient subir la traque des usuriers, armés de taux assassins, engagés dans la curée tant que les dirigeants n’auront pas corné la meute. En faisant purement et simplement défaut. Une hypothèse qui laisse peu de place au doute : il faut croire au Père Noël pour imaginer la Grèce en mesure d’honorer ses engagements pharaoniques, en dépit ou à cause de la purge infligée à ses habitants. Voici maintenant venu le tour de l’Irlande, le Tigre celtique ayant déjà perdu ses griffes et ses dents.
Ruinés et privés d’euro

La situation irlandaise du moment constitue tout sauf une surprise. Dès 2008, se propagea l’acronyme PIGS – où le « I » toutefois représentait l’Italie, avant de devenir rapidement PIIGS pour inclure l’Irlande (« S », pour Spain, l’Espagne, « P », Portugal)). Peu importe que ce sigle infâmant (« porcs », en anglais) ait ou non été imaginé par la City et Wall Street, pour détourner l’attention de la situation périlleuse de la Grande-Bretagne et des USA. Le fait est que depuis le début de la crise, nul ne pouvait ignorer que se jouait une partie de dominos. Pourtant, l’Europe et son grand chambellan, la BCE, auront attendu que les marchés commencent à massacrer les emprunts irlandais pour envisager l’hypothèse de secourir le pays. Et ce moyennant la seule thérapie que la BCE ait en magasin, bien que son inefficacité ait été démontrée : la saignée. Ce qui, on le comprend, fit atermoyer les dirigeants irlandais avant qu’ils n’acceptent une « aide » charitable, le couteau dans le ventre. Et la partie continue. Le simple bon sens conduit en effet à cette observation : si la Grèce et l’Irlande sont sorties d’affaire, efficacement renflouées ou cautionnées par leurs frères européens, pourquoi le taux de leurs emprunts continue-t-il d’être aussi élevé ? (plus de 9% pour l’Irlande et près de 12% pour la Grèce, sur les obligations à 10 ans, au moment où ces lignes sont écrites). Poser la question, c’est y répondre : le risque-pays n’a pas diminué, et le coût astronomique de leur financement accélère le calendrier de leur banqueroute.

L’hallali sur ces deux pays étant acquis, à qui le tour ? Les marchés montrent la voie : ils ont commencé à assaillir le Portugal. Et là, les dangers s’aggravent : car l’Espagne est très engagée dans ce pays, et elle est elle-même en situation critique. Même avec ses 440 milliards d’euros de fonds d’intervention (potentiels), l’Europe ne peut pas suivre. Faute d’avoir anticipé des événements aussi prévisibles que les ondées neigeuses actuelles, l’Union met en péril le seul édifice qu’elle ait réussi : l’euro. « L’euro, en tant que devise, a une longue vie devant lui. Il est vivant et se porte bien » a récemment déclaré, sans rire, le Secrétaire général de l’OCDE. L’euro n’étant rien d’autre qu’une devise, on ne voit pas sous quel avatar il pourrait survivre. Mais la saillie du Secrétaire général n’est grotesque qu’en apparence. Il veut signifier que l’euro est appelé à perdurer comme monnaie ; mais pas comme monnaie commune. Les pouilleux vont être débarqués. Et les naufragés promettent d’être nombreux. Il va falloir souquer ferme.

Par Jean-Jacques JUGIE

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