An II, idem

An II, idem

Placés sous le régime de l’autonomie réduite aux acquêts, les gouvernements européens ont perdu toute marge de manœuvre. Si bien que la récente conférence de presse présidentielle ne pouvait rien nous apprendre que l’on ne sût déjà. Sinon une nouvelle définition, en forme d’oxymore, de la souveraineté nationale.

A quoi sert le gouvernement dans un Etat européen ? Demeurent immuables ses attributs traditionnels de bouc émissaire de la grogne publique et de carnet mondain des journalistes spécialisés. Du reste, l’essentiel de l’analyse politique se concentre désormais autour du sondage de popularité, une mesure en temps réel de l’affection instantanée que le pékin accorde à telle ou telle personnalité, en fonction de sa dernière prestation télévisée. Une sorte de Top Chef permanent où le public désigne son cuisinier favori, sur des critères qui n’ont rien de commun avec l’art de la gastronomie –auquel il ne comprend généralement pas grand-chose. Ainsi, les commentateurs autorisés ont-ils abondamment glosé sur la récente conférence de presse du président de la République. Et avec un sens aigu de la dramaturgie politique, ils se sont principalement employés à décortiquer la prestation de l’acteur, afin d’identifier les caractéristiques réglementaires du jeu présidentiel : car pour assumer valablement la fonction, il faut et il suffit d’être crédible dans le rôle. C’est le spectacle selon la définition du père Hugo : « Le théâtre n’est pas le pays du réel ; c’est le pays du vrai ». Avec la mobilisation de tous les artifices théâtreux, il faut produire une narrative convaincante. Qui soit plus vraie que vraie.

On ne pérorera pas ici sur la crédibilité de la prestation, conforme aux normes minimalistes qu’attend la gent journalistique. Le signataire doit avouer qu’il a trouvé le spectacle barbant dans la forme ; mais c’est sans doute la déception du convive qui espère un cassoulet roboratif, et auquel on sert une mièvre fondue de poireaux. Quant au fond, il répond à l’interrogation initiale sur la fonction d’un gouvernement européen : son rôle consiste à mettre en musique les mesures que d’autres que lui ont décidées. Et que sa propre population a toutes chances de trouver détestables. Une sorte de conseil de discipline, coiffé d’un Préfet des études baptisé président de la République.

Souveraineté en stuc

On s’étonne que les commentateurs affutés n’aient pas relevé la contradiction fondamentale qui a émaillé l’ensemble de l’intervention présidentielle. A l’actif du bilan de cette première année d’exercice, le Président a placé « la défense de la souveraineté nationale ». Une façon pour lui de proclamer sa propre autonomie de décision. Soit. Mais pour démontrer l’allégation, il cite l’exemple de l’intervention au Mali. Comme si la souveraineté de la Nation s’exprimait dans la capacité d’aller corriger des sauvageons lointains en s’asseyant sur les principes du droit international, et ce pour protéger des intérêts particuliers et sujets à caution. En d’autres termes, d’exercer la loi du plus fort en terre étrangère, contre quiconque convoite sa gamelle. Voilà une définition plutôt extensive de la souveraineté, par surcroît inappropriée : l’épopée malienne n’a été rendue possible que par le feu vert express du Pentagone – par délégation, en quelque sorte, des pouvoirs d’intervention que s’est octroyés le gendarme du monde. Cela fait déjà pas mal de temps que la France n’est plus vraiment souveraine en matière de politique extérieure – bien avant l’arrivée de la présente législature, reconnaissons-le.

Sur un autre terrain, le début de « l’An II » est marqué par une seule proposition nouvelle : le plaidoyer pour la mise en place d’un « gouvernement économique européen ». Lequel s’inscrit dans la voie d’une intégration plus poussée au sein de l’Union – ce que les Français continuent de refuser obstinément. Car un tel processus revient à abandonner toute souveraineté budgétaire – laquelle est déjà méchamment écornée par le dispositif en vigueur. Plaider pour une telle évolution, c’est s’en remettre à la logique mécanicienne et désincarnée de la Commission : une matrice économétrique focalisée sur la prospérité du business et l’emprise de la finance. Autrement dit, le suicide programmé de l’action politique – c’est aujourd’hui la quille qui permet encore au frêle esquif de l’intérêt général de ne pas sombrer. Pour un supposé progressiste, la soumission aveugle aux poncifs néolibéraux est d’autant plus surprenante que le doute s’est déjà fermement installé chez les tenants du dogme dominant.

Ainsi donc, engagement est pris pour une « offensive » en faveur de la croissance, la hausse du PIB étant devenue le saint-graal des gouvernements contemporains. On s’épargnera de commenter les moyens supposés être mis en place, tous conditionnés à la rigoureuse équation budgétaire. Laquelle ne laisse pas de marges de manœuvre, en dépit du répit accordé à notre pays pour réduire son déficit. De ce fait, pour souverain qu’il se dise, le gouvernement ne dispose que d’une boîte à outils rudimentaire pour accomplir des travaux d’Hercule, visant à débarrasser le consommateur français de son spleen et l’Europe de sa « langueur ». C’est donc par une psychanalyse collective que nous retrouverons la prospérité. Ayons foi en nos dirigeants et nous serons sauvés. Avec des arguments mobilisateurs comme celui-ci : « La France n’est pas le problème ; elle est la solution », un slogan tout droit copié sur les poncifs de l’incentive américain des années cinquante, et directement inspiré de la méthode Coué. Pour une stratégie d’avenir, la sentence est un peu blette. Enfin, pour conclure, cette offensive pour la croissance ne sera conquérante que si… la croissance revient en Europe. En d’autres termes, même pour une politique fondée sur le prêche et l’incantation, la France ne peut exciper de sa souveraineté. Nous voilà bien avancés.

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