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Après le 13 novembre, les transports publics à la peine

Depuis la tragédie qui s’est jouée à Paris, les passagers quotidiens sont un peu moins nombreux. Les entreprises de transport doivent prendre en compte la sécurité des voyageurs, mais aussi le phénomène de radicalisation qui touche certaines d’entre elles.

Année après année, les statistiques demeurent remarquablement stables : les trois-quarts des trajets quotidiens entre le domicile et le travail s’effectuent en voiture. Les politiques d’incitation à l’usage des transports publics, les tentatives de certaines villes de limiter la congestion et la promotion des « petits gestes » pour l’environnement, Cop21 ou pas, n’y changent rien.

Ces dernières semaines, l’usage de la voiture a même progressé. Les jours qui ont suivi les tueries du 13 novembre, les Franciliens se sont engouffrés dans leur habitacle. Le mardi 17 novembre, un record était même enregistré en Ile-de-France, avec 529 kilomètres de bouchons avant 9 heures. L’afflux ne s’est pas vraiment calmé les jours suivants, à l’exception du lundi 30 novembre, alors que s’ouvrait au Bourget (Seine-Saint-Denis) la 21ème « Conférence des parties » (Cop21), rassemblant les Etats négociant sur le dérèglement climatique.

Le métro, le train de banlieue et le RER ne sont certes pas vides, mais connaissent une moindre affluence qu’en temps normal, reconnaissent la RATP et la SNCF, les deux transporteurs franciliens. Et ce, alors même que les tueurs du 13 novembre n’ont pas visé les transports en commun. La désaffection des transports publics touche aussi les grandes villes. « La baisse est estimée à 2% pour les grands réseaux. Mais il est difficile d’avoir des statistiques précises », affirmait le 24 novembre Jean-Pierre Farandou, PDG de Keolis, une filiale de la SNCF qui exploite 70 réseaux en France, hors Ile-de-France. « On constate une petite baisse de fréquentation, liée à la suppression des sorties scolaires et aux déplacements annulés », confirmait Laurence Broseta, directrice générale de Transdev, un autre opérateur de transports publics. Après les attentats de janvier, indiquent les transporteurs, « il avait fallu six semaines pour revenir à la normale ».

Colis suspects

Cette fois-ci, la pénalisation pourrait être plus longue. A la crainte de se déplacer au milieu de la foule s’ajoute la détection de colis suspects, dont la neutralisation ralentit le trafic, voire l’interrompt de manière intempestive. « Le sentiment de peur diffuse amène les voyageurs à retrouver un sentiment de sécurité en prenant la voiture », observe Jean-Pierre Farandou, qui préside également l’Union des transports publics (UTP). Pour rassurer les voyageurs, les transporteurs précisent d’abord que « le problème ne date pas du 13 novembre ». Ils ajoutent leur souhait de « coopérer avec les polices nationale et municipales », indique le PDG de Keolis. Les réseaux de transports, souligne-t-il, « sont l’une des composantes de l’espace urbain, et ne se distinguent pas du reste de la ville. La sécurité doit y être assurée comme ailleurs ».

Les transporteurs se montrent beaucoup plus prudents lorsqu’ils sont confrontés à la radicalisation islamiste de certains de leurs salariés. L’un des tueurs du Bataclan, Samy Amimour, avait été chauffeur de bus à la RATP pendant un peu plus d’un an. Plusieurs témoignages font état de comportements singuliers, comme ces chauffeurs qui refusent de serrer la main de leurs collègues, parce que ce sont des femmes. Dans les dépôts de bus, les tensions liées à l’observance de la religion musulmane se multiplient, d’après les syndicats. A quelques semaines des élections régionales, l’affaire a pris une tournure politique, puisque plusieurs candidats se sont inquiétés qu’un bus puisse être conduit par un élément potentiellement dangereux.

Jean-Pierre Farandou utilise de fines pincettes pour évoquer « l’émergence, dans nos entreprises, de comportements qui n’ont pas lieu d’être ». Pour contrer ces phénomènes, Keolis « encourage les chartes de laïcité ». Les entreprises de transport mettent en outre en garde contre la confusion, courante, entre communauté religieuse, islam radical et terrorisme. La RATP a nommé, le 26 novembre, un « Monsieur éthique » chargé notamment de vérifier le respect de la « clause de neutralité et de laïcité », qui « a été intégrée dans les contrats de travail en 2005 », indique François-Xavier Périn, membre du conseil de surveillance de la RATP.
Mais là encore, il faut se méfier des confusions. « Un homme qui refuse de serrer la main à une collègue, c’est très désagréable, mais ce n’est pas une faute professionnelle », observe Laurence Broseta, de Transdev. « En revanche, ne pas transmettre des consignes, refuser de parler à un supérieur qui serait une femme, c’est une faute », souligne-t-elle.

Permis de conduire

Les entreprises demeurent toutefois un peu démunies, car les fiches de renseignement établies par la Direction générale de la sécurité intérieure, en particulier les fameuses « fiches S » pour « atteinte à la sûreté de l’Etat », ne sont pas transmises aux employeurs. Ceux-ci n’ont pas davantage « à connaître la vie privée » de leurs salariés, rappelle Claude Faucher, délégué général de l’UTP. Il n’est même pas possible, pour le transporteur, « de s’assurer de la continuité de la détention du permis de conduire » de ses chauffeurs… Autrement dit, s’il faut bien entendu posséder le permis de conduire approprié pour devenir conducteur de bus, rien ne permet d’informer l’employeur si ce chauffeur commet des infractions routières répétées en-dehors des heures de service.

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