Bernard Matarasso : (...)

Bernard Matarasso : "personne n’a mesuré le poids économique de nos plages"

Comme vingt autres plagistes de Juan-les-Pins, le vice-président de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie a été obligé de démolir sa plage. Bilan financier et humain.

L’homme est jovial et bien reposé. Et pour cause puisqu’il est selon sa propre expression "en pré-retraite", même si elle est un peu forcée. Jusqu’à l’année dernière, Bernard Matarasso exploitait en effet "Bretagne Beach" sur l’épi Lutetia à Juan-les-Pins. C’est du passé. La fin d’une belle adresse, familiale, conviviale, ouverte en 1947, et qui n’avait connu depuis sa création que trois exploitants en 70 ans. Comme lui, vingt plages ont disparu cette saison sur cette partie du littoral azuréen, conséquence de la fin de la DSP accordée par l’État à la commune d’Antibes Juan-les-Pins.

Présentez-nous ce que représentait votre établissement...

Je disposais de 850 mètres carrés de sable, de 150 matelas et de 200 mètres carrés de bâti "non démontable" pouvant accueillir jusqu’à 150 couverts. Pour faire tourner cette affaire, j’employais six salariés en CDD pendant sept mois, et douze au plus fort de l’été, plus un maître-nageur.

Et quelle est votre situation aujourd’hui ?

Comme mes collègues de Juan-les-Pins, j’ai fait démolir ma plage ce printemps. Mes employés sont donc partis tenter leur chance ailleurs. Humainement, c’est dur à vivre : au fil du temps, des liens affectifs se sont créés, des relations de confiance. J’en employais certains depuis sept ou huit ans...

Et financièrement, qu’est-ce qu’a représenté la fermeture ?

Nous aurions très bien pu déposer le bilan et laisser la facture à la collectivité. Mais les plagistes, que j’ai réunis l’an passé, ont voulu au contraire partir proprement, en prenant leurs responsabilités jusqu’au bout. Nous avons donc négocié la démolition et l’évacuation des gravats de nos établissements à une société monégasque (DATS, ndlr), ce qui a représenté pour chacun de nous un coût moyen de 20 000 euros environ, plus ou moins
selon la taille et le volume du bâtiment. La population nous es reconnaissante de cette attitude de la profession.

Et vous espérez reprendre du service l’année prochaine ?

Comprenez-moi bien : je travaille à l’ancienne. Sur une feuille, je trace deux colonnes, l’une pour les charges, l’autre pour les recettes, et je fais la balance. Je suis bien placé pour savoir ce que rapporte cette plage. À mon âge, soixante ans, je ne me vois pas réinvestir autant pour repartir de zéro...

Concrètement ?

Pour respecter le cahier des charges, cela représenterait un investissement de 400 à 450 000 euros pour une exploitation sur six mois, et de 1,2 million pour une plage fonctionnant à l’année, c’est-à-dire avec des contraintes fortes : au moins quatre jours de fonctionnement par semaine, avec un seul mois de fermeture. Dans ces conditions, pour moi, c’est non, et je ne suis pas le seul dans ce cas.

Le syndicat n’a pas donc réussi à se faire entendre pour poursuivre les exploitations ?

Nous n’avons été entendus ni par la Ville, ni par l’État. Ce n’est pourtant pas faute de s’être battus... Notre syndicat demandait que les plagistes puissent
encore exploiter cette année, jusqu’à la mi-septembre, ce qui aurait permis de faire encore cette saison, et nous aurions démoli juste après. Mais le préfet nous a opposé un refus catégorique, sans discussion possible. Alors comme nous sommes respectueux des lois, nous avons démoli, et tant pis...

Les conséquences ?

D’abord pour les exploitants et leurs salariés partis dans la nature, qui à Pôle Emploi, qui pour prendre du recul, qui pour tenter sa chance ailleurs. Mais aussi pour Juan-les-Pins : les remontées qui nous arrivent au syndicat montrent clairement une désaffection de la clientèle sur la station. Il y a cet été moins de monde dans les hôtels et restaurants, les gens restent aussi moins longtemps.

En raison de la disparition des plages ?

Notre clientèle est constituée d’habitués qui ne vont pas sur les plages publiques. Elle vient ici depuis des années, génération après génération. Comme ils ne trouvent plus leur bonheur à Juan, ils s’en vont ailleurs... Je pense sincèrement que personne n’avait mesuré le poids économique de nos établissements dans la vie de la commune. L’ADN de Juan repose sur trois piliers : le festival de jazz, le ski nautique et... nos plages. J’espère que nous allons rebondir l’année prochaine, puisque cinq lots vont faire l’objet d’un nouvel appel d’offres. Reste à savoir s’il y aura des candidats solides, et non pas des repreneurs qui partiront en dépôt de bilan deux ans après... Car on n’est pas à l’abri de voir débarquer des investisseurs qui ne connaissent pas le marché et qui sont capables de faire exploser les prix.

Photo de Une : Bernard Matarasso, vice-président plages-restaurants de l’UMIH, exploitait "Bretagne Beach" à Juan jusqu’à la démolition de son établissement. (JMC)

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