Canal de Suez : Un (...)

Canal de Suez : Un seul bateau se manque, et tout est perturbé...

En bloquant le canal de Suez durant six jours, le porte-conteneurs Ever Given a déréglé la grande machine du commerce mondial. Une piqûre de rappel quant à nos dépendances...

Barrage flottant

Les images ont fait le tour du monde. Le 23 mars, en remontant le canal de Suez du sud vers le nord, l’Ever Given n’a pas résisté au vent. Le porte-conteneurs s’est ensablé. Et son impressionnante coque s’est mise en travers de la voie navigable pour y constituer un barrage de ferraille sur... 400 mètres ! C’est la longueur de ce géant des mers, qui était alors chargé de quelque 20 000 conteneurs en transit vers le port de Rotterdam, depuis la Malaisie.
Les difficiles opérations de remise à flot du cargo ont entraîné le blocage de plus de 400 navires. Pendant six jours, toute navigation s’est avérée impossible sur ce chenal inauguré en 1869, qui relie la Mer rouge à la Méditerranée en traversant la partie la plus orientale de l’Egypte sur 193 kilomètres. Depuis un siècle et demi, le canal est une route maritime essentielle entre l’Europe et l’Asie, alternative au contournement de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance.
10% du trafic maritime mondial passe par cet ouvrage dont la largeur varie entre 280 et 345 mètres depuis d’importants travaux réalisés en 2015 pour améliorer les conditions de navigation, en particulier celles des plus gros navires. Les produits manufacturés représentent plus de la moitié des marchandises en transit via le canal de Suez, qui est aussi une voie de choix pour le transport du pétrole (20%), plus sûre que l’option des oléoducs fragilisée par les derniers conflits au Moyen-Orient.

Manque à gagner

2 millions de barils voyagent chaque jour par cette bande de mer. Sa fermeture forcée a ainsi provoqué une hausse de 6% des cours de l’or noir. Plus largement, la mésaventure de l’Ever Given a eu des conséquences non négligeables sur l’économie mondiale, puisque la perte a été estimée entre 6 et 10 milliards de dollars par jour de blocage. Pour l’anecdote, la seule valeur des cargaisons immobilisées sur l’ensemble des navires dans l’impossibilité d’emprunter le canal aurait atteint près de 12 milliards de dollars !
Au premier rang des pays impactés
figure bien sûr l’égypte, dont l’économie s’appuie en bonne partie sur les revenus du canal de Suez. Il constitue sa troisième plus importante ressource. Nationalisé par Nasser en 1956, le chenal est en effet soumis à des droits de passage qui atteignent en moyenne 500 000 dollars par bateau. Chaque jour d’obstruction a représenté pour l’état égyptien un manque à gagner d’environ 15 millions de dollars.
Pour les armateurs, la pertinence d’emprunter le canal de Suez est financière. Elle dépend d’un rapport temps-coût. Le contournement de l’Afrique a beau être gratuit, il ajoute 15 jours de navigation aux marchandises. Le recours aux mastodontes flottants, capables de charger toujours plus de marchandises, rentabilise la voie la plus rapide.

Réchauffement climatique et monde d’après

L’Egypte l’a bien compris. D’où sa décision d’améliorer la compétitivité du
canal de Suez en le rendant accessible aux plus imposants navires. Le gigantisme né ces dernières décennies ne semble pas prêt d’être remis en cause, car 90% des échanges mondiaux se font par la mer. Si la crise de la Covid-19 a momentanément freiné l’économie mondiale, elle n’a pas mis à mal la bonne santé du commerce maritime. Le réchauffement climatique, qui devrait appeler à une certaine mesure quant à nos relations avec l’environnement - et notamment le milieu marin - pourrait même faciliter l’ouverture d’une nouvelle route, par l’Arctique, au nord de la Russie.
Le transport maritime tel que nous le connaissons aujourd’hui reste le moyen le plus efficace de combler la distance qui sépare les grands bassins de production et de consommation sur la planète. Dans une logique réciprocitaire, il a permis à l’Asie de s’imposer comme l’usine du monde. Et cette dernière a favorisé son développement. à une petite échelle, malgré des chiffres en apparence impressionnants, le blocage du canal de Suez peut être vu comme un nouveau signal des limites du modèle sur lequel notre économie est bâtie. Comme l’arrivée du coronavirus sur notre sol un an plus tôt, il rappelle les enjeux de demain : rapprocher la production de la demande, relocaliser, réindustrialiser... Les mots-clés du fameux monde d’après.

Visuel de Une DR

deconnecte