Crise : la méthode Coué désacralisée

La baisse des revenus entraîne la baisse de la consommation, même si l’on psalmodie chaque jour le contraire. Les civettes peuvent être exposées à des revers, comme en témoignent les embarras de GDF-Suez. Même le FMI, temple du néolibéralisme intégriste, s’inquiète de la montée des inégalités. Emouvant.

Les ménages français ont nettement réduit leur consommation en janvier (-2,1%), après la très modeste augmentation de décembre (+0,2%). Rien de très surprenant : moins d’argent, moins d’épices, pour paraphraser le poète. Le recul serait principalement imputable au marché automobile (anticipation, en fin d’année dernière, de la hausse du malus écologique), et aux dépenses énergétiques (moindre chauffage grâce à un hiver doux). Ces deux explications sont sans doute pertinentes. Mais ne doivent pas masquer une tendance plus profonde : l’atonie économique et l’austérité budgétaire, toutes deux persistantes, favorisent un courant déflationniste. Que les propos incantatoires ne suffisent pas à combattre, comme en témoigne la situation des « pays du Sud », englués dans la récession en dépit de leurs sacrifices et des encouragements réitérés de la Troïka. Au fur et à mesure que le temps passe, la France semble glisser inexorablement vers le Sud…

Le monde industriel semble avoir pris la juste mesure de la crise, jugée « profonde et durable » par GDF-Suez, qui s’est obligé à passer des dépréciations massives. Sur ses centrales thermiques au gaz, d’abord, qui ne tournent plus qu’au cinquième de leurs capacités : l’abondance du gaz de schiste a déstabilisé les cours et déprécié le prix… du charbon. Les centrales au charbon sont nombreuses en Allemagne, mais ne produisent que 2,5% environ de l’électricité française (laquelle est principalement d’origine nucléaire). Les dépréciations concernent également les survaleurs (les « goodwills ») comptabilisées en Europe de l’Ouest, constatant ainsi que les rachats d’équipements de ces dernières années se révèlent être des affaires beaucoup moins juteuses qu’espéré. Bref, la production d’électricité est peut-être une civette, mais elle est quand même confrontée à des difficultés « durables », qui remettent en cause la stratégie de développement que l’on pouvait croire aussi stable que le cycle des saisons. Certes, il est permis de soupçonner GDF d’avoir « chargé la mule » sur l’exercice dernier, afin d’affronter les années qui viennent avec une plus grande sérénité (comptable). Mais une décision aussi vigoureuse laisse penser que les dirigeants de la firme s’attendent à des lendemains beaucoup moins popotes que les décennies écoulées, dans un métier pourtant supposé offrir une excellente visibilité à long terme. En d’autres termes, les certitudes les mieux ancrées semblent avoir été ébranlées.

Les inégalités pénalisent le PIB

La sphère financière, de son côté, continue de vivre sur ses anciennes valeurs. Fortes de la terreur qu’inspirent aux gouvernements les risques de sinistre, les banques parviennent à déjouer l’essentiel des freins réglementaires que les autorités de tutelle tentent timidement de leur imposer ; elles poursuivent impunément leurs activités de casinotiers, préférant multiplier les opérations de titrisation que financer l’économie dite réelle. En témoigne l’insolente prospérité des Bourses, qui semblent indifférentes à la mollesse conjoncturelle et à la vigueur des multiples désordres régionaux, même lorsqu’ils sont proches des frontières de l’Europe communautaire – telle la chienlit ukrainienne, porteuse d’un virus d’entropie qui pourrait bien contaminer nos démocraties matures, sinon blettes. Car l’appauvrissement rampant de pans entiers de la classe moyenne constitue toujours un facteur de déstabilisation sociale. Surtout quand la fortune se concentre dans un petit nombre de mains et s’étale dans une débauche ostentatoire de luxe, ou dans le déchaînement d’une vaine spéculation. Autrement dit, la constante aggravation des inégalités est un signal d’alarme que les autorités politiques ont sans doute tort de traiter par dessus la jambe.

Même le FMI, grand-prêtre de l’orthodoxie budgétaire, et à ce titre missionnaire intégriste de l’austérité, semble redouter les effets de la montée des inégalités. Certes, l’Institution nous a habitués au double langage, surtout depuis qu’elle est dirigée par une théoricienne de la « ri-lance ». Mais enfin, au moment même où le Fonds encourage Chypre à sacrifier ses derniers bijoux de famille (électricité, télécoms et services portuaires) - des privatisations que le Parlement a rejetées de justesse-, il publie une étude soulignant les bienfaits (économiques) potentiels de la redistribution de richesses. Convenons-en, le plaidoyer en faveur d’une stratégie partageuse reste mesuré : « en moyenne, dans l’ensemble des pays et au fil du temps, les mesures que les pouvoirs publics ont généralement prises pour redistribuer le revenu ne semblent pas avoir pesé sur la croissance ». Donc, redistribuer ne serait pas dangereux pour la santé du PIB. Mieux encore : tout en déclarant faire abstraction de « considérations éthiques, politiques ou sociales », c’est-à-dire en se drapant de cette neutralité qui fait l’orgueil des scientifiques, les rédacteurs observent que « l’égalité qui en résulte semble avoir contribué à une croissance plus rapide et plus durable ». Donc, un peu plus d’égalité peut même améliorer la vigueur du PIB. On peut regretter que le Fonds, qui emploie le gratin des économistes de la planète (les mieux payés, à tout le moins), ait autant tardé à nous révéler un tel secret. Sauf s’il estimait jusqu’alors que ces informations étaient politiquement incorrectes. Les signataires prennent soin, toutefois, d’apaiser les angoisses des néolibéraux : la redistribution ne favorise la croissance que jusqu’à un certain niveau. Il n’est donc pas indispensable de dépouiller les nantis pour faire tourner la machine. Ouf ! Il convient même de se montrer prudent dans la générosité, car « au-delà d’un certain point, une égalité extrême ne peut pas non plus être propice à la croissance ». Heureusement, nous avons de la marge : l’économie contemporaine fonctionne plutôt sur le principe d’une pingrerie extrême de la redistribution. Les risques de l’horreur égalitaire sont donc écartés.

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