Des délinquants qui s’ignorent...
- Par Jean-Michel Chevalier --
- le 5 juillet 2024
Entre ces deux tours de législatives anticipées, une petite pause politique pour prendre l’air.
Un beau dimanche après-midi, une envie vous prend de vous dégourdir les jambes. Ce petit sentier qui se faufile entre les mélèzes est si tentant… Mais attention, cette balade bucolique pourrait vous coûter... 135 euros d’amende si vous traversez sans autorisation des espaces agricoles et des propriétés forestières privées.
Une mauvaise blague ? Pas du tout. Ce loisir anodin entre désormais dans le cadre de la nouvelle loi qui pénalise « l’intrusion » dans un espace naturel privé. D’ailleurs, la mise en recouvrement de l’amende de 135 euros répond aux mêmes délais que les infractions pour excès de vitesse ou pour un dépassement dangereux. Ou, autrement dit, le PV sera majoré s’il n’est pas acquitté dans les temps. C’est ainsi que le promeneur ou le randonneur devient délinquant !
Comment en est-on arrivé là ? Comme toujours pour de bonnes raisons, mais dont les effets secondaires, comme pour les médicaments, s’avèrent toxiques. Le délit « d’intrusion » a été créé par la loi de février 2023 destinée à protéger les lieux sensibles de la surfréquentation des promeneurs ou pour garantir les intérêts économiques des droits de chasse, comme dans la Sologne giboyeuse et fortement « engrillagée » (1). Nous assistons à « la construction effrénée d’immenses parcs de chasse clos par des grillages de deux mètres transformant tout un territoire en camp retranché », s’agace le journal loca. Il indique que les propriétaires, contraint de respecter des normes de hauteur pour les clôtures, ont réussi « à arracher » auprès du législateur cette compensation sur les intrusions des promeneurs sur leurs terrains.
Nous voilà donc revenus à l’époque seigneuriale. Les usages de la nature acquis par la Révolution de 1789 sont remis en cause pour tous, et cela concerne 75 % des surfaces forestières qui sont privées dans notre pays. La loi a certes prévu que le caractère privé des lieux doit être matérialisé, par des panneaux par exemple, mais personne n’est à l’abri d’une erreur d’itinéraire. Si les gendarmes ont sans doute d’autres chats à fouetter que de verbaliser les randonneurs égarés, les propriétaires peuvent employer un garde assermenté habilité à distribuer des prunes en toutes saisons.
Pour l’instant, les associations de promeneurs-randonneurs n’ont pas (encore ?) enregistré de verbalisation pour ces motifs. Elles disent se tenir prêtes à déposer une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) pour le cas où.
Jean-Michel CHEVALIER
(1) Pour maintenir le droit de passage coutumier dans des forêts et éviter que les chemins soient barrés par des grillages, des associations de marcheurs organisent régulièrement des balades sur des parcours menacés.