Des ordonnances pour la France

Tous les observateurs patentés établissent le même constat sur la situation de notre pays : la paralysie le guette. Tous parviennent aux mêmes conclusions, avec plus ou moins de vigueur dans le propos : le temps est venu de réelles « réformes structurelles ». Du grain à moudre pour les prochains mouvements sociaux.

Notre pays ressemble à un grand malade qui ferait l’objet de multiples et incessants examens, analyses, consultations d’experts, tâtés de pouls et encouragements bienveillants. Un malade très entouré mais auquel aucune solide médication ne serait prescrite, à l’exception de l’aspirine pour calmer le bourdon et la tisane pour aller à la selle. Voilà donc qu’en même temps trois collèges de thérapeutes délivrent leur ordonnance : la Cour des comptes, l’Insee et le Medef. De quoi nourrir l’inspiration prophylactique du médecin en chef de Matignon. D’ordinaire, les spécialistes appelés au chevet d’un patient atteint d’une affection persistante discutent de leurs désaccords. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Pour le passé, le consensus est aisé puisqu’il s’agit de faits avérés : le régime convenu n’a pas été respecté. Au terme de l’exercice précédent, les comptes présentent un excès de déficits qu’une diète raisonnable eût normalement résorbé. Certes, la croissance s’est révélée plus faible qu’espéré, mais le Gouvernement ne peut être tenu pour responsable d’une anémie de l’activité, quelles que soient ses prétentions en la matière. Du reste, l’administration centrale ne s’est pas trop éloignée des objectifs qu’elle s’était fixés ; en revanche, ni la Sécu ni les collectivités locales n’ont respecté les leurs. Voilà qui justifie les efforts qui leur sont demandés par le nouveau Premier ministre, au travers du plan d’économies supposé ramener le pays sur la trajectoire convenue avec Bruxelles. Précisément, les trois organes qui se sont penchés sur l’état du pays s’interrogent sur la crédibilité des engagements qui ont été pris. Et là encore, un sentiment général se dégage : le doute.

Plaidoyers pour le volontarisme

Le doute s’exprime avec plus ou moins de vigueur selon le statut de celui qui l’émet, et son degré de sujétion à l’égard de la puissance publique. Mais l’esprit est partout le même : le doigt est pointé sur les réformes structurelles, ou plus exactement sur leur absence. La Cour des comptes note par exemple que depuis 2001, la part des dépenses publiques a augmenté de 5,4 points de PIB, alors qu’elle a décru au même moment de 2,9 points en Allemagne. Et les responsables sont clairement identifiés : « Cet écart tient pour l’essentiel aux évolutions des prestations sociales et des dépenses de fonctionnement des administrations publiques ». Si la Cour se montre plutôt confiante, pour 2014, à l’égard des comptes de la Sécu (à l’exception de l’Unédic, compte tenu des lourdes incertitudes du marché de l’emploi), elle l’est moins à l’égard des administrations publiques locales. Lesquelles ont augmenté leurs dépenses de personnel de 2,8% par an, en moyenne, sur les dix dernières années, quand l’administration centrale abaissait les siennes de 0,1%. Bref, la Cour estime que les déficits publics s’établiront à près de 4% du PIB à la fin de l’exercice, et au-delà de ce seuil si l’objectif de croissance (1%, considéré comme accessible) n’était pas atteint. Quant au programme de stabilité 2015-2017, les magistrats le trouvent « insuffisamment documenté » - et encore se montrent-ils bienveillants. Car il est en effet permis de se demander où vont se nicher les économies supplémentaires à réaliser pour parvenir à l’objectif proclamé des « 50 milliards ». La Cour annonce la couleur : il faut d’urgence engager des économies structurelles. En premier lieu sur les dépenses de personnel, en complément de ce qui a déjà été initié et qui se révèle notoirement insuffisant pour enrayer les dérapages. Si les recommandations de la Cour sont suivies, on peut prévoir des mouvements sociaux à la suite du débrayage des cheminots et des aiguilleurs du ciel…
De la publication récente de la synthèse annuelle de l’Insee sur « L’économie française », on retiendra tout particulièrement le chapitre consacré à la « résilience des salaires », qui a surpris les statisticiens : « A partir de 2009, le ralentissement des salaires re ?els en France est moins prononce ? que celui de la productivite ? des salarie ?s et le taux de marge des entreprises françaises diminue, descendant a ? son niveau le plus bas depuis 1985 ». Pourtant, les analystes ne notent pas, pour les salaires, de « rigidités nominales à la baisse », ce qu’ils s’attendaient manifestement à identifier. De fait, l’observation démontre au contraire que les salaires baissent davantage en période de basse conjoncture qu’ils ne montent lorsque les affaires sont prospères. Si les salaires semblent avoir mieux résisté qu’attendu, c’est pour partie que la récession a provoqué des licenciements massifs de salariés peu ou pas qualifiés, donc moins bien payés, ce qui a eu pour effet de majorer mécaniquement le salaire moyen. En tout cas, les rédacteurs de ce chapitre ont été décontenancés, ce qui explique sans doute le caractère plutôt obscur de leurs développements .
Le Medef publie le deuxième numéro de son « Carnet de santé » . Lequel présente une synthèse élargie des chiffres-clefs qui éclairent la situation des entreprises, et argumentent les revendications du Mouvement. Ici, les données officielles parlent sans euphémismes : « Les rémunérations salariales et les prélèvements obligatoires ont augmenté plus vite que la valeur ajoutée, au prix d’une contraction sensible des marges et des profits avant distribution ». Même constat que l’Insee. Et finalement, même conclusion que la Cour des comptes, en langage plus direct : « Cette situation illustre la nécessité d’agir plus fort et plus vite sur le front des dépenses publiques qui est la clé de voûte de la réussite du Pacte de responsabilité lancé par le Gouvernement ». Il faudrait être sourd, à Matignon, pour ne pas entendre l’appel à des « réformes structurelles »…

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