Discours de Muriel (...)

Discours de Muriel PENICAUD prononcé au Sénat sur le projet de loi d’habilitation pour le renforcement du dialogue social

Discours de présentation du projet de loi d’habilitation pour le renforcement du dialogue social, prononcé par Muriel PENICAUD, lundi 24 juillet devant le Sénat.

" Monsieur le Président,
Monsieur le Président-Rapporteur, Alain Milon
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
« Régler le présent d’après l’avenir déduit du passé ». Telle est l’équation formulée par Auguste Comte, que nous devrons résoudre collectivement pour rénover durablement notre modèle social.
« Régler le présent  », le présent c’est trouver des solutions opérationnelles pour lutter efficacement contre le chômage de masse, qui frappe durement et en premier lieu nos jeunes, nos séniors et nos travailleurs peu qualifiés, et certains territoires.
C’est aussi prévenir la précarisation et le mal-être au travail d’un nombre croissant d’actifs, et donner plus de sens au travail lui-même, et pour cela affirmer l’entreprise comme une communauté humaine au service d’un objectif de croissance. C’est enfin et d’abord de permettre à nos entrepreneurs d’innover, de créer de l’emploi et défendre avec audace et confiance l’excellence du savoir-faire et de la créativité de la France partout dans le monde, pour que notre croissance soit durable, inclusive et surtout riche en emploi.

« D’après l’avenir », c’est faire en sorte que ces solutions soient pérennes et robustes face aux mutations de grandes ampleurs dont nous pressentons déjà ; qu’il s’agisse des révolutions technologiques, du défi écologique, de l’accélération de l’internationalisation des échanges...
Il s’agit de les anticiper pour en saisir les formidables opportunités et répondre aux aspirations nouvelles des entreprises et des salariés et des citoyens .
Mais il faudra aussi en devancer anticiper les risques réels pour mieux en protéger les entrepreneurs et les actifs.

«  Déduit du passé », cela veut dire d’une part qu’il est indispensable de tirer les leçons de nos échecs collectifs, ces trente dernières années, échec à changer le regard sur l’entreprise, échec à instaurer un climat de confiance dans le dialogue social ; en somme à lever les obstacles à l’embauche et à libérer les énergies.
Mais j’entends aussi par « déduit du passé », l’idée de rester fidèles à nos valeurs fondamentales, qui sous-tendent notre modèle social, celles de la République : l’égalité et la liberté, qui sont le socle de la fraternité. Par conséquent, faire table rase du passé pour transposer un modèle étranger constituerait une erreur majeure.
rénover, c’est concilier ces trois temporalités : le présent l’avenir et le passé. C’est adapter pour poursuivre, pour faire vivre en le rénovant un héritage auquel nous sommes attachés.
Rénover le modèle social français, c’est donc faire en sorte qu’il produise davantage d’égalité et davantage de liberté dans le monde à venir.
Cette ambition, empreinte de pragmatisme, a présidé à l’élaboration du premier texte de loi que j’ai l’honneur de porter, au nom du Gouvernement, devant la chambre haute cet après-midi.
Ce texte constitue la première pierre du vaste projet de rénovation de notre modèle social, annoncé par le Président de la République pendant la campagne présidentielle, engagé par le Gouvernement, et très attendu de nos concitoyens comme l’atteste l’issue des dernières échéances électorales.
Le projet de loi d’habilitation pour le renforcement du dialogue social, et les ordonnances qui en découleront, n’ont pas la prétention de résoudre à eux seuls l’ensemble des défis que je viens de citer. Ils s’intègrent et donneront leur puissance en résonnance avec les prochains chantiers que le Gouvernement engagera ces dix-huit prochains mois : la réforme de l’assurance chômage et réforme de la formation professionnelle, mais aussi celle de l’apprentissage, que je défendrai conjointement avec le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et la réforme des retraites, que portera la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn.
Elles s’articulent aussi avec l’action du Gouvernement en faveur de la diminution du coût du travail, de la baisse de la fiscalité, et du soutien au pouvoir d’achat.

Pourquoi alors commencer par cette réforme spécifiquement, et pourquoi recourir aux ordonnances ?

L’habilitation que nous vous demandons aujourd’hui pour cimenter cette première pierre, est essentielle à l’équilibre global de la rénovation de notre édifice commun : le modèle social français.

Sur la méthode, tout d’abord, ce véhicule législatif, qui n’est en aucun cas un blanc-seing, puisque c’est un mandat, un mandat sur un champ précis et avec des objectifs mais qui permet de répondre au double impératif d’urgence et d’efficacité.
Urgence de notre situation économique et sociale que vous connaissez particulièrement bien sur vos territoires. Par conséquence, urgence de sortir rapidement du statu quo grâce à l’applicabilité immédiate des mesures contenues dans les ordonnances.
Efficacité, car cette méthode nous offre l’opportunité d’expérimenter une démarche inédite de co-construction simultanée qui s’appuie et s’articule en permanence démocratie politique (d’où l’importance de nos débats cette semaine, Mesdames, Messieurs les Sénateurs) et démocratie sociale avec les 8 organismes représentants des syndicats et des employeurs. L’un ne va pas sans l’autre, si nous voulons aboutir à des solutions calibrées, opérationnelles, acceptées, dont la mise en oeuvre sera facilitée, au bénéfice final de nos concitoyens.
J’en suis d’autant plus convaincue à l’issue de nos échanges en Commission mardi dernier mais aussi de la première lecture à l’Assemblée Nationale, et des trois cycles de concertation approfondis des partenaires sociaux.
Nous faisons le diagnostic que notre droit du travail souffre d’un double handicap. D’une part, il est devenu peu à peu inadapté à l’économie de notre temps, non pas dans ses principes, mais dans ses détails les plus précis. Il a été conçu – et c’est compréhensible – sur le modèle de l’emploi à vie dans la grande entreprise industrielle. Il a été pensé depuis des décennies pour ce type d’entreprises, mais aujourd’hui ce sont davantage les TPE – PME, et les jeunes entreprises innovantes qui se développent et créent de l’emploi. Rappelons-le, 55 % des 18 millions de salariés du secteur privé travaillent dans des entreprises de moins de cinquante salariés. Tout texte législatif doit prendre en compte cette réalité.
Le deuxième handicap, c’est que le droit du travail est parfois inadapté à la réalité de ce que vivent et de ce qu’attendent les entreprises, mais aussi les salariés. Il néglige trop souvent la capacité d’un employeur et de ses salariés à trouver le meilleur compromis à leur niveau, au bénéfice de leurs intérêts respectifs, voire de l’intérêt général.
Permettez-moi de prendre un exemple : la question du télétravail est emblématique de cette nécessité de mieux réformer. Les salariés sont très demandeurs de ce type d’organisation du travail afin de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie privée. Le télétravail offre plus de souplesse car il allège notamment le troisième temps, le temps de transport, toujours caché mais très lourd au quotidien. Il favorise le maintien de l’emploi en zones rurales. Ce besoin de souplesse est aussi partagé par les entreprises, en particulier celles qui utilisent des espaces de travail en commun (le coworking)
Mais le code du travail n’avait pu prévoir ces nouvelles formes de travail liées au développement d’internet, il se trouve dans l’incapacité d’apporter, avec la réactivité nécessaire, des réponses pertinentes à une série de questions concrètes liées à ce bouleversement technologique.
la demande est devenue si forte que ni les salariés ni les entreprises ne sont sécurisés, dans un contexte de développement hors champ du télétravail, sans autre précaution que la condition du volontariat.
Si le télétravail est un enjeu d’amélioration de la qualité de vie individuelle, il constitue également une formidable opportunité d’amélioration de notre qualité de vie collective et de maintien de notre cohésion nationale et territoriale.
Car le télétravail renferme un potentiel très important en matière d’insertion des travailleurs en situation de handicap, notamment ceux en situation de « handicap géographique » si je puis m’exprimer ainsi. Je pense en particulier aux actifs éloignés des bassins d’emploi les plus dynamiques, du fait de l’envol des prix du foncier, et qui pâtissent au quotidien soit des méfaits de la congestion urbaine en termes de transports et de pollution atmosphérique, soit de l’isolement rural ou insulaire.
Ce que nous souhaitons c’est trouver ensemble les solutions pragmatiques pour tirer le meilleur parti des mutations que nous traversons, pour allier libération des énergies et justice sociale ; en l’occurrence pour répondre aux besoins de liberté et de sécurité à la fois des entreprises et des salariés.

Alors, que proposons-nous ?

Nous faisons un pari : celui de la confiance.
Confiance dans la démocratie sociale et dans l’intelligence collective et individuelle, car nous croyons en la capacité des organisations syndicales et patronales, en la capacité des employeurs et des salariés à apporter les solutions les plus pertinentes, au plus près du terrain, pour faire converger performance économique et justice sociale.
Confiance dans l’avenir, car nous sommes déterminés à lever les incertitudes juridiques qui pèsent sur les relations de travail et brident l’embauche. Il n’y a pas de modèle social durable qui repose sur des règles inconstantes ou anxiogènes.
Pour cela, l’efficacité de la réforme repose sur trois maitre-mots complémentaires et interdépendants, qui charpentent le projet de loi : la subsidiarité, la lisibilité, et la prévisibilité.
Subsidiarité car il faut impérativement mieux connecter la prise de décision à ceux qui devront la respecter. Dit autrement, nous voulons que les entreprises et les salariés puissent décider davantage des règles qui leur sont applicables et qu’ils soient co-auteurs de la norme sociale.
Aujourd’hui, la majorité des règles relèvent de la loi. D’apparence égalitaire, ce cadre normatif génère, en réalité, trop de rigidité, de formalisme et de complexité. Cela entame par essence la possibilité de les adapter à la vaste diversité des situations du monde économique et social.
Au final, des droits justes, pourtant inscrits dans le code du travail, ne sont plus accessibles. Ils sont réduits, en raison de dispositifs d’application inévitablement kafkaïens, à n’avoir plus qu’une valeur incantatoire.
L’exemple de la prise en compte de la pénibilité est à cet égard symptomatique. Le compte pénibilité, c’est mesure de justice sociale, dont nous approuvons pleinement l’intention. Que des salariés, dont l’activité physique a rendu la condition physique dégradée puissent partir 2 ans plus tôt à la retraite à taux plein nous parait une mesure de justice sociale. Mais son exécution a soulevé d’importantes difficultés, notamment pour TPE et les PME, privant nos concitoyens d’un accès effectif à cette juste compensation.
Face à ce décalage entre l’intention et la réalité, le Gouvernement, soucieux de maintenir l’ensemble des droits des salariés, mais aussi de libérer les entreprise notamment les TPE PME d’une complexité qui ne leur permettaient pas d’avancer , a pris ses responsabilités. Le Premier Ministre a annoncé la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité.
Je tiens à réaffirmer que les dix facteurs de risques professionnels, prévus par le législateur, sont maintenus. Seules changent les modalités déclaratives pour les quatre derniers facteurs qui étaient absolument irréalistes dans leur application (manutention manuelle de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques, risques chimiques).
Pour ces quatre critères, le Gouvernement propose notamment de libérer les entreprises de l’obligation de déclaration tout à fait inapplicable, en externalisant, le contrôle de la situation des salariés, par des examens médicaux.
La prévention des risques chimiques doit faire l’objet d’une réflexion spécifique.
Grâce à cette réforme, nous pourrons permettre à une génération des salariés qui souffrent d’ores et déjà d’une incapacité, à pouvoir partir à la retraite dès les années prochaines sans attendre qu’ils aient cumulé ses points pour bénéficier de droits réels.
Des droits accessibles, plus rapidement, plus simplement, c’est l’esprit de notre proposition de justice sociale sur la pénibilité, et plus largement, vous l’aurez compris, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, la philosophie de notre projet de loi, et de l’action du Gouvernement.
Un droit, s’il est formel et inapplicable, n’est pas un progrès. Pour être réel, le droit doit être exerçable quel que soit la situation quel que soit la taille de l’entreprise. La complexité est souvent au détriment de l’exercice de droits réels pour les salariés comme pour les entreprises.
Tenir davantage compte de la diversité des situations concrètes ne se traduit nullement par un affaiblissement du droit, mais par un saut qualitatif. C’est tout l’enjeu du dialogue social décentralisé. Mais cela suppose un changement des mentalités pour comprendre que, sans rien renier des droits fondamentaux fixés par la loi, nous devons desserrer l’étau de la norme trop détaillée et permettre aux entreprises et aux salariés de négocier les règles qui leur correspondent dans un cadre fixé par la loi.
Aujourd’hui, par exemple, les branches prévoient souvent de façon très précise de nombreuses modalités sans faire confiances aux entreprises. Nous y reviendrons notamment au sujet des primes – d’ancienneté, de repas, d’assiduité, de vacances –, qui sont, la plus part du temps définis au niveau de la branche sans aucune capacité de négocier dans l’entreprise indépendamment des particularismes des entreprises ou de l’attente des salariés.
Pourquoi ne pas laisser les entreprises et les représentants des salariés décider ensemble des priorités ? Ils savent si la priorité est : la mutuelle renforcée, d’une aide à la garde d’enfants ou d’une prime d’ancienneté ?
Il faut faire confiance aux acteurs dans le dialogue social, encadré par la loi. Mais faisons confiance aux employeurs, aux syndicats de salariés, aux élus du personnel.
Je tiens à le réaffirmer solennellement : la loi est et demeurera le cadre dans lequel la négociation de branche et d’entreprise se déploiera. Elle est constitutionnellement supérieure aux autres normes sociales, lesquelles peuvent néanmoins préciser, compléter ou définir des champs qui ne relèvent pas de la loi. La loi doit définir l’essentiel, les principes l’encadrement des acteurs.
Nous voulons donc décentraliser davantage la négociation opérationnelle pour trouver les meilleurs compromis près du terrain, tout en garantissant le rôle de la loi en matière de droits fondamentaux, comme les droits à la formation et à l’assurance chômage, l’égalité entre les femmes et les hommes ou l’interdiction des discriminations ou du harcèlement. De la même manière, les règles fondamentales à la vie des entreprises, comme la nécessité d’avoir une représentation du personnel ou les normes de santé et de sécurité, ne seront évidemment pas négociables.
La branche continuera de jouer un rôle important, et je dois d’ailleurs vous confier qu’à la demande des partenaires sociaux, tant patronaux que syndicaux, nous avons finalement choisi de renforcer non seulement l’accord d’entreprise, mais aussi l’accord de branche, pour tenir compte notamment du très grand nombre de TPE/PME dans notre pays qui ont besoin de supports et repères .
Nous considérons que la clarification de cette articulation et la sécurisation de l’ensemble supposent de définir trois niveaux.

Au premier niveau, les accords de branche priment impérativement sur les accords d’entreprise. C’est le cas pour les minima conventionnels, les classifications, la mutualisation des financements paritaires – fonds de financement du paritarisme, fonds de la formation professionnelle, fonds de prévoyance, complémentaire santé et compléments d’indemnité journalière. En outre, et c’est nouveau, nous proposons d’ajouter aux accords de branche la gestion de la qualité de l’emploi : durée minimale du temps partiel et des compléments d’heure, régulations des contrats courts, conditions de recours aux contrats à durée indéterminée de chantier. C’est une nouvelle capacité de négociation dans la branche
Bien évidemment, en l’absence d’accords de branche, c’est la loi actuelle qui continuera de s’appliquer. Notre système reste supplétif : faute d’accord d’entreprise, c’est l’accord de branche s’applique ; faute d’accord de branche, c’est la loi – dans certains domaines, cela ne peut être d’ailleurs que la loi ou l’accord de branche.
Autre point très important qui doit figurer dans les accords de branche : l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Le principe figure dans la loi depuis longtemps, mais les modalités de sa mise en oeuvre ne sont toujours pas effectives bien que la loi en question date d’une quinzaine d’années. On voit bien que la loi seule ne peut pas changer tous les comportements et donc cela deviendra une priorité pour les branches.

Le deuxième bloc serait constitué des domaines pour lesquels la branche peut décider de primer sur les accords d’entreprise, ou pas. Dans le jardon des partenaires sociaux et de l’Etat, cela s’appelle un accord « verrouillé », c’est un accord de branche qui s’impose impérativement aux entreprises. Mais dans certains cas, cela n’est pas pertinent, et la branche peut décider de ne pas l’imposer, d’en faire une référence..
Dans ce deuxième bloc, la prévention des risques professionnels, la prévention de la pénibilité, le handicap et – c’est un élément nouveau – les conditions et les moyens d’exercice d’un mandat syndical, la reconnaissance des compétences acquises et les évolutions de carrière des élus du personnel. C’est un point important. Si nous misons sur le fait d’avoir un dialogue social rénové, renforcé, plus proche du terrain, il faut que l’ensemble des acteurs soit en mesure de le mener. Et donc il faut s’assurer que la reconnaissance des parcours et des carrières fasse partir du renforcement de la capacité de négocier.

Le troisième bloc, est constitué par les domaines qui ne figurent pas dans les deux blocs précédents. Là, et c’est une nouveauté, nous disons en effet que l’accord d’entreprise prime – sous réserve bien entendu du respect des dispositions prévues, dont j’ai déjà parlé.
Cette clarification est essentielle à la préservation et au développement de nos emplois. C’est en permettant aux entreprises d’adapter leurs règles pour faire face, par exemple, à une hausse ou à une baisse rapide de leur activité, en élargissant le champ de négociation, en donnant plus de grain à moudre et en encadrant de façon pragmatique la liberté de négocier, que l’on créera de la protection pour les salariés et plus d’espace d’initiative et de visibilité pour les entreprises.
C’est dans cette même logique de clarification et de pragmatisme que vient s’inscrire notre second maitre-mot : la lisibilité.
Nous sommes l’un des rares pays à être doté d’un système très complexe de représentation des salariés puisque il existe quatre instances différentes, dès lors que l’entreprise compte cinquante salariés. Outre son caractère chronophage pour l’employeur, cette segmentation prive les salariés et leurs représentants d’une vision d’ensemble, stratégique, qui leur permette de peser sur l’avenir de l’entreprise. Aussi faut-il rendre plus lisible ce système et simplifier le dialogue social en réduisant le nombre des instances.
Pour mettre fin au morcellement des négociations, nous proposons de fusionner les trois d’information et de consultation : le comité d’entreprise, les délégués du personnel et le CHSCT. Ils formeraient une nouvelle entité : le comité social et économique.
Par accord d’entreprise majoritaire ou de branche, ce comité pourrait devenir une instance unique, dénommée conseil d’entreprise, intégrant la compétence de négociation.
Il ne s’agit évidemment pas de diminuer, à l’occasion de la fusion, le champ des responsabilités et des attributions des instances fusionnées.
J’ai entendu en commission vos réserves s’agissant de l’intégration du CHSCT au sein de l’instance fusionnée. Cette proposition n’est en aucun cas un prétexte pour « baisser la garde » sur la santé et la sécurité au travail. D’une part, car rien n’empêchera la constitution d’une commission spécialisée au sein de l’instance fusionnée bénéficiant de la vision stratégique globale. D’autre part, car, et c’est le fruit des concertations, la compétence d’ester en justice sur les sujets de santé et de sécurité au travail sera transférée à cette nouvelle instance.
Par ailleurs, pour obtenir un dialogue de qualité, il faut que les acteurs puissent disposer de moyens appropriés. Les recours à des expertises seront maintenus – vous avez d’ailleurs encadré ce droit en commission - et nous devrons avancer sur le nombre d’heures de délégation, la formation et les parcours de carrière des représentants syndicaux et du personnel.

C’est pourquoi j’ai confié à Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l’association Dialogues, une mission visant à recenser les pratiques les plus innovantes et avancées des branches et des entreprises en matière de parcours syndicaux, et à formuler des propositions opérationnelles et concrètes en ce sens. Ces propositions ont vocation à figurer dans les ordonnances.
Enfin, je sais que vous partagez avec moi le souci de trouver une solution opérationnelle pour encourager le dialogue social structuré dans les TPE et PME qui concerne la majorité des entreprises et des salariés de notre pays. Ce n’est pas simple, car aujourd’hui, malgré plusieurs décennies d’effort et l’adoption de nombreux textes, on y dénombre seulement 4 % de délégués syndicaux.
Le système actuel de mandatement ne fonctionne pas. Plusieurs pistes sont envisagées à ce stade pour permettre à la négociation de s’engager en l’absence de délégué syndical. Les concertations se poursuivent, mais je compte sur nos débats pour affiner ce point essentiel sans pour autant nous fermer des portes pour la rédaction des ordonnances,

Enfin, notre troisième et dernier maître-mot pour restaurer la confiance, notamment dans l’avenir, est d’en accroitre la prévisibilité, en réduisant les incertitudes juridiques.
L’insécurité juridique pénalise d’abord les entreprises, surtout les plus petites, qui ne connaissent pas parfaitement à l’avance les règles du jeu quand elles veulent se réorganiser, adapter leurs effectifs ou prendre des initiatives. Cet enchevêtrement de normes peu lisible, doublé d’une jurisprudence évolutive et parfois inconstante, sont d’ailleurs particulièrement dissuasifs pour les investisseurs étrangers.
un tel arsenal normatif peut donner l’impression d’un système protecteur pour les salariés, il s’avère souvent contreproductif, car les incertitudes et les rigidités qu’il génère, conduisent à freiner l’embauche, notamment dans les TPE et les PME.
La probabilité qu’un licenciement sur cinq se solde par un contentieux qui dure en moyenne entre 21,9 mois, et 29 mois en cas de formation de départage, constitue, vous en conviendriez aisément, une perspective extrêmement angoissante tant pour l’employeur, que pour le salarié qui ne peuvent pas se projeter sereinement dans l’avenir. Et ce d’autant plus que l’issue du contentieux devant les prud’hommes, pour le même préjudice et avec la même ancienneté, peut être très aléatoire : un salarié peut se voir octroyer des dommages et intérêts qui vont d’un à quatre en fonction du conseil devant lequel est portée l’affaire. Ce qui nuit à la prévisibilité, à la sécurité et à l’équité.
Les entreprises comme les salariés ont donc cruellement besoin de repères. C’est pourquoi nous voulons instaurer des barèmes plancher et plafond pour les dommages et intérêts, qui s’ajoutent aux indemnités de licenciement légales et conventionnelles. Une exception à la notion de plafond sera toutefois faite pour les cas de harcèlement et de discrimination, où il n’est pas simplement question d’emploi mais d’atteinte à l’intégrité de la personne.
Plus largement, nous devons trouver un système qui favorise la résolution des litiges en amont en encourageant, lorsque la rupture est inévitable, la rupture conventionnelle, la transaction et la conciliation.
Il ne s’agit donc évidemment pas de toucher aux indemnités de licenciement auxquelles le salarié a droit lorsqu’il est licencié. Les indemnités de licenciement sont prévisibles, connues à l’avance, et clairement définies. J’ai d’ailleurs annoncé à l’Assemblée Nationale l’engagement du gouvernement à en augmenter le montant.

Restaurer un climat de confiance dans l’avenir en levant ces incertitudes juridiques, est indispensable pour assurer l’équité et la sécurité juridique tant des employeurs et que des salariés. Mais surtout et à très court terme, c’est essentiel pour que la croissance, de retour dans l’hexagone, soit porteuse d’emplois.
La réforme dont nous discuterons en détail les dispositions ces prochains jours, est donc indispensable à cet égard. Mais prétendre qu’elle sera suffisante à dynamiser le marché du travail serait une impasse.
La récente note de conjoncture de l’INSEE fait apparaitre très clairement deux autres obstacles majeurs à l’embauche pour les entreprises : tout d’abord le coût du travail – c’est la raison de la transformation de CICE en baisse des charges pérennes pour les entreprises – ensuite la difficulté à trouver les compétences requises.
Il nous faut impérativement renforcer les compétences à la fois pour répondre aux besoins des entreprises, mais aussi pour doter les actifs de protections actives face au chômage. Pour cela, le levier de la réussite, c’est la formation.
C’est l’enjeu majeur du plan massif de développement des compétences des jeunes, des demandeurs d’emploi et de l’ensemble des actifs que le Gouvernement mettra en oeuvre. C’est l’objectif du plan d’investissement dans les compétences et de la réforme de la formation professionnelle que nous entendons mener dans les prochains mois. Ce sujet est essentiel pour que les actifs soient acteurs de leur propre devenir professionnel et ne subissent pas simplement ces évolutions.
La réforme de la formation professionnelle s’inscrira dans le droit fil de l’existant tout en renforçant les droits individuels à la formation. Cette logique centrée sur l’individu doit aussi inspirer la réforme de l’assurance chômage. Si, comme l’annonce en a été faite durant la campagne pour l’élection présidentielle, nous souhaitons ouvrir l’assurance chômage aux démissionnaires dans certaines conditions ainsi qu’aux indépendants, afin de les accompagner et de les sécuriser dans leur choix de changer de carrière, c’est parce qu’aujourd’hui, et encore plus demain, chacun pourra avoir plusieurs statuts au cours de sa vie professionnelle – salarié, entrepreneur, indépendant. Il convient donc d’évoluer dans tous les domaines d’une protection par statut à une protection de la personne qui soit transportable en donnant davantage de droits pour créer davantage d’égalité et davantage de liberté.
Mesdames et messieurs les Sénateurs, gardons à l’esprit, pendant nos discussions, l’objectif ultime que nous poursuivons en bâtissant ensemble ces réformes successives et interdépendantes, pour rénover notre maison commune que constitue le modèle social français. Cet objectif, c’est celui de redonner du sens au travail.
Cette réforme y contribuera significativement, car elle induira dans les prochaines années des changements profonds dans le sens d’une meilleure performance économique, d’une plus grande liberté, mais aussi d’une proximité sociale qui permettra de répondre non pas à des questions théoriques mais aux vraies questions que se posent au quotidien les salariés, quels qu’ils soient, à ceux qui n’ont pas de travail et en voudraient, à ceux dont la situation est trop précaire, aux territoires qui sont parfois oubliés et en grande difficulté, aux entreprises qui veulent aller de l’avant, innover, créer de l’emploi et porter le flambeau de la France dans le monde. Cette rénovation de notre modèle doit donc permettre plus de confiance, plus de liberté et plus de sécurité, grâce à un dialogue social et économique renforcé."

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