Entrepreneurs en difficul

Entrepreneurs en difficulté : comment éviter le pire ?

Si les temps sont difficiles, il n’y a pas de fatalité. Les entreprises en difficulté peuvent trouver un soutien auprès des tribunaux de commerce

"Chefs d’entreprises, avez-vous peur des tribunaux de commerce ?" En temps ordinaires, le sujet de la visioconférence organisée sur ce thème par l’UPE-06 (1) aurait paru provocateur. Sauf qu’aujourd’hui la crise sanitaire et économique met en grande difficulté des entreprises. Elles se débattent pour survivre entre la baisse de leur chiffre d’affaires, les restrictions et fermetures liées au confinement, les charges qui continuent à courir malgré les diverses aides apportées. Certaines sont prêtes à basculer dans un avenir plus qu’incertain. Mais il existe des "lumières" au bout de ce tunnel.

De gauche à droite Robert Martin, président du TC d’Antibes ; Maître Marielle Walicki (WABG), Albert Filippini, président du TC de Grasse et
éric Astegiano, président du TC de Cannes. (Toutes photos DR)

Aider les entrepreneurs

"Les tribunaux de commerce ne sont pas vos ennemis. Les magistrats consulaires, qui sont entrepreneurs, ont les mêmes problématiques que vous. Avocats d’affaires, experts-comptables, mandataires et administrateurs judiciaires peuvent vous aider à anticiper les difficultés en vous expliquant les dispositifs adaptés à la crise actuelle. Il est important de ne pas arriver trop tard car la bonne volonté ne suffit pas à sauver toutes les situations. Oui, vous pouvez vous mettre sous la protection du tribunal de commerce" a expliqué en introduction Maître Marielle Walicki, du cabinet WABG Avocats et associés.
"Les tribunaux de commerce sont composés de juges consulaires bénévoles qui sont des chefs d’entreprise. C’est important, car ils sont à vos côtés. Ce ne sont pas des parachutés, ils sont élus" a rappelé Robert Martin, président du TC d’Antibes. Il a parlé des trois missions principales des juridictions commerciales : le suivi des formalités de l’ouverture à la fermeture de l’entreprise, la résolution des litiges contentieux et... le traitement des difficultés.
"Les TC sont là pour aider et protéger les entrepreneurs en difficulté. Il existe des outils pour éviter le pire, et plus on vient tôt, plus on a de chances de trouver des solutions. Le tribunal a un rôle de prévention systématique. L’entrepreneur peut s’y présenter spontanément, ou peut être convoqué en chambre de prévention, lorsque des alarmes remontent. La prévention a été négligée dans le passé, elle monte en puissance maintenant, et c’est une bonne chose dans la période présente alors que beaucoup d’entreprises se trouvent sous perfusion".

Un maître mot : la prévention

Eric Astegiano, président du TC de Cannes, a ainsi précisé avoir spécialement délégué trois juges à la prévention pour recevoir en entretien les chefs d’entreprise. "Nous les informons des possibilités offertes par la loi, notamment sur les procédures amiables que sont le mandat ad hoc et la conciliation. Le but est de désigner un mandataire avec mission de négocier un accord avec les créanciers, de trouver des solutions juridiques, voire de préparer une éventuelle cession. Mais il y a une condition : ne pas être en état de cessation de paiement". Le président de la juridiction cannoise a insisté sur le fait, psychologiquement important pour les entrepreneurs, que ceux-ci restent "maîtres de la gestion de leur entreprise pendant la procédure amiable. Donc : an-ti-ci-pez !"
Dans le même esprit, les MARD (Modes Alternatifs de Résolution des Différends) sont des solutions confidentielles et rapides pour régler les litiges. Elles sont élaborées avec l’aide d’un auxiliaire de justice facilitateur pour faire émerger une solution négociée satisfaisante. "Elles sont une forme de conciliation totalement confidentielle, le juge reçoit en audience dans une salle privée. Les MARD vont voir leur principe étendu dans un proche avenir".

L’humain n’est pas oublié

Dans des exposés juridiques et techniques précis, Maître Geoffroy Berthelot, mandataire judiciaire, et Maître Daniel Valdman, administrateur judiciaire, ont confirmé qu’il est possible "d’éviter la catastrophe" en faisant un diagnostic de la situation, en choisissant pendant qu’il est temps la bonne procédure.
Durant l’état d’urgence sanitaire, des dispositions exceptionnelles ont été prises pour protéger au mieux les entreprises. D’où l’intérêt de se faire accompagner par des spécialistes pour négocier des virages serrés.
"En cas de difficultés économiques, le dirigeant doit aussi être protégé sur le plan humain. Depuis 2015 il existe une aide psychologique pour les entrepreneurs en souffrance. Le TC de Grasse est partenaire de l’APESA, certains juges en sont des sentinelles" rappelle Albert Filippini, président du TC de Grasse. "Je considère que le mandat "ad hoc" et la conciliation sont des médicaments. Ils évitent la chimiothérapie de la procédure de redressement, et le décès de la liquidation judiciaire".

Apesa : une cellule d’aide

Fabien Paul est Membre du bureau de la CCI et pilote d’APESA. DR

Crise, stress, burn out, envie suicidaire... Un greffier associé du TC de Saintes et un psychologue clinicien ont créé APESA (Aide Psychologique pour les Entrepreneurs en Souffrance Aiguë) pour répondre aux situation d’urgence. Car la mauvaise santé financière d’une entreprise atteint aussi la santé psychologique de ses dirigeants. Il suffit d’un rien pour que la vie bascule...
Le dispositif APESA est présent dans les Alpes-Maritimes. Il est relayé par la chambre de commerce et d’industrie, les trois TC azuréens, le barreau de Grasse, l’URSSAF et par d’autres partenaires en contact avec le monde de l’entreprise. Ces structures ont mis en place des "sentinelles" pour identifier les personnes en danger et les confier à des spécialistes qui les aideront à surmonter le moment critique.

Membre du bureau de la CCI et pilote d’APESA, Fabien Paul fait le point sur le dispositif.

La crise sanitaire a t-elle un impact sur la santé psychique des chefs d’entreprises ?
- Clairement oui. Nous avions budgété en année normale une vingtaine de dossiers et l’on en suit beaucoup plus actuellement. Pour le dernier exercice 2020, nous en avons fait trente-six. Il ne s’agit pas d’entrepreneurs ayant une petite baisse de moral ou un besoin de parler mais de personnes en grand danger qui risquent d’attenter à leurs jours. Les sentinelles du réseau sont formées pour les détecter.

Qui sont ces sentinelles ?
- Des profils différents : des juges dans les tribunaux de commerce qui sont formés, des avocats, des experts comptables, mandataires et administrateurs de justice etc, tous ceux qui sont au contact des chefs d’entreprise aux moments cruciaux.

Comment intervenez-vous ?

- Les sentinelles suivent un protocole très précis appris pendant la formation. Avec l’accord de la personne, une fiche APESA est remplie et envoyée à un centre d’appel qui, tout de suite, renvoie sur un psychologue. Celui-ci prend contact immédiatement avec la personnes, en général dans les 40 minutes en moyenne. Cette réactivité est primordiale. Lorsque j’étais président du TC de Nice, j’ai eu le cas d’un entrepreneur qui a reçu un huissier à 10 heures et qui mettait fin à ses jours à onze heures. Lorsque l’on a détecté le besoin, il faut aller vite ! Nous rencontrons des cas très sérieux. Tout ce qui a été mis en place par le gouvernement pour soutenir les entreprises pendant cette crise sanitaire masque les difficultés économiques. On le voit bien sur les statistiques de défaillances, avec - 40% sur 2020 grâce aux aides, PGE etc. La crise est devant nous.

Signes avant coureurs, à partir de quand se faire accompagner ?
- Nous détectons les appels au secours, quelquefois ce ne sont que des signaux faibles, d’autres fois des lettres poignantes. Il n’y a pas qu’une seule origine à la détresse, c’est un faisceau de raisons qui peuvent être économiques, personnelles etc. Comme cet entrepreneur qui, période de Noël approchant, ne pouvait pas parler de ses difficultés à sa famille. Sur le moment, sa seule issue fut de s’enfermer dans le mensonge, mais c’était une telle douleur qu’il fallait bien qu’elle s’arrête.


Comment voyez-vous 2021-2022 ?

- Quand il faudra rembourser les décalages de charges, les PGE, éventuellement les loyers, cela deviendra compliqué. Nous aurons une capacité de rebond. Je ne suis pas complètement pessimiste.

Joindre l’APESA : 0805 65 50 50.

Devenir juge consulaire au tribunal de commerce

Les fonctions d’un juge consulaire concernent principalement :
1. Le contentieux général commercial qui règle les litiges entre commerçants.
2. La gestion des procédures collectives (sauvegardes, redressements judiciaires, liquidations judiciaires).
3. La prévention (Mandat ad’hoc - Conciliation).

Le Juge au tribunal de commerce prête serment et est soumis aux mêmes valeurs que les magistrats professionnels. Il assiste aux audiences, participe aux délibérés et à la rédaction des jugements

La formation
Le juge devra obligatoirement suivre une formation initiale, dispensée par l’école Nationale de la Magistrature les deux premières années de son mandat, puis une formation continue tout au long des mandats qui éventuellement suivront.

Pour être candidat
Les conditions d’éligibilité sont cumulatives (L. 723-4). A la date de dépôt des candidatures sont éligibles aux fonctions de juge d’un tribunal de commerce les personnes âgées de 30 ans au moins :
- Qui sont inscrites sur la liste électorale des délégués consulaires dressée en application de l’article L. 713-7 dans le ressort du tribunal de commerce ou dans le ressort des tribunaux de commerce limitrophes.
- qui remplissent la condition de nationalité prévue à
l ’article L.2 du code électoral.
- à l’égard desquelles une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires n’a pas été ouverte.
- Qui, s’agissant des personnes mentionnées au 1 ° ou au 2° de l’article L. 713-7, n’appartiennent pas à une société ou à un établissement public ayant fait l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires.
- Qui justifient soit d’une immatriculation de cinq années au moins au registre du commerce et des sociétés, soit de l’exercice, pendant une durée totale cumulée de 5 ans, de l’une des qualités énumérées à l’article L.713-8 du code de commerce au titre de mandataire, des fonctions impliquant des responsabilités de directeur commercial, technique ou administratif de l’entreprise ou de l’établissement.
- Sont également éligibles les juges d’un tribunal de commerce ayant prêté serment, à jour de leurs obligations déontologiques et de formation, qui souhaitent être candidats dans un autre tribunal de commerce non limitrophe du tribunal dans lequel ils ont été élus, dans les conditions prévues à l’article R. 723-6 du code de commerce.

Les incompatibilités fonctionnelles
Le candidat ne doit pas :
- être membre d’un Conseil de Prud’hommes.
- être membre d’un autre Tribunal de Commerce.
- Exercer un mandat de conseiller régional, départemental, municipal ou d’arrondissement.
- Il est interdit d’acquérir directement ou indirectement des biens issus d’une procédure collective dépendant du Tribunal dans le ressort duquel le Juge exerce ses fonctions (art. 1597 du Code Civil et L 654-12 Code du Commerce).

Disponibilité
Disponibilité : La fonction nécessite une grande disponibilité. Outre la formation obligatoire dispensée dans le Var ou dans les Bouches du-Rhône et les formations internes pratiquées au sein de chaque tribunal, la fonction nécessite de une demi à deux journées d’audience par mois et au moins un demi journée de rédaction de jugement par semaine.
La fonction juridictionnelle des juges est strictement bénévole.

(1) Visible sur le site www.upe06.com

Photo de Une / Maître mot : entrepreneur ne restez pas seul face à vos difficultés. DR

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