Entreprises : le moral en berne

Les dernières statistiques de l’activité et de l’emploi français ne sont guère encourageantes. Si bien que les prévisions pour l’année prochaine, apparemment raisonnables, pourraient se révéler trop optimistes. La confiance des ménages ne décolle pas. Mais elle demeure plus vigoureuse que le moral des entrepreneurs…

Les statistiques semblent confirmer un regain de dynamisme pour l’économie américaine, tant en matière de PIB que d’emploi. Il en résulte paradoxalement un vent de dégagements sur les marchés financiers, jusqu’à maintenant portés par un optimisme indéfectible. On en connaît la raison : tant que l’activité US restera fragile, la FED a promis d’apporter son soutien à la reprise par ses « mesures non conventionnelles ». Mais si le bout du tunnel apparaît, la Banque centrale américaine ralentira la cadence de sa planche à billets, celle qui précisément alimente la chaudière boursière. Car les banques ne diffusent à l’économie réelle qu’une fraction modeste de ce crédit disponible ; la plus grosse part se retrouve sur les marchés financiers. Ainsi, que le flot de liquidités se tarisse et la spéculation serait alors promise à l’assèchement. En tout cas, Wall Street se montre moins frileuse que ses homologues européennes face au risque de « tapering » (la réduction des achats de titres qu’opère en ce moment la FED). Dans ce contexte incertain, la Bourse française a davantage rétrogradé que les principales places de l’UE ; mais il faut reconnaître que la gouvernance française ne réjouit guère les investisseurs : ni les performances récentes du pays, ni les prévisions à moyen terme ne sont de nature à entretenir l’optimisme.

Sur le plan de l’emploi, les dernières statistiques font apparaître un nouveau record : le taux de chômage atteint 10,9% de la population active (Métropole et DOM), niveau qui n’avait pas été atteint depuis quinze ans. Les prévisionnistes de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) considèrent que la situation ne peut s’améliorer avant la fin de l’année prochaine, malgré les apports des « emplois d’avenir » subventionnés, et sous réserve que la croissance à venir vienne gommer les sureffectifs présents (estimés à 250 000 salariés). Il faudrait pour cela que les moteurs de l’activité poussent la progression du PIB, ce qui demeure à ce jour assez hypothétique.

Les entrepreneurs dépités

En premier lieu, la consommation des ménages va subir à coup sûr les effets de la hausse des prélèvements : impôts sur le revenu, impôts locaux et TVA. Autant de ponctions qu’il sera difficile de compenser par une hausse des salaires, peu compatible avec l’état général de la conjoncture. L’investissement des entreprises continue de régresser (10 trimestres de recul sur les 12 derniers trimestres) et les prévisionnistes les plus optimistes ne voient pas la situation s’inverser avant le printemps prochain. Quant aux exportations, rien de significatif ne vient modifier le paysage actuel, sauf à compter sur un net décollage de l’activité mondiale (hypothèse très incertaine). Nous demeurons prisonniers du même étau : d’un côté, la concurrence de l’excellence allemande ; de l’autre, celle des pays du Sud qui écrasent les coûts par le matraquage salarial. De ce fait, les perspectives de croissance pour l’année prochaine, officiellement étalonnées à environ 1%, pourraient se révéler bien plus décevantes, après une quasi-stagnation sur l’année qui s’achève.

Les indicateurs disponibles ne sont en effet pas vraiment encourageants. D’abord, la confiance des ménages ne décolle pas des basses-eaux. Certes, il s’agit d’un indice assez volatil : le moral du pékin est très sensible à l’air du temps et peut donc se retourner rapidement. Mais encore lui faut-il des motifs roboratifs pour modifier son sentiment, et les guéguerres africaines n’y suffiront probablement pas. Quant aux entreprises, le panorama est plutôt sombre. En premier lieu, l’indice PMI (indicateur composite de la confiance des directeurs d’achat) le plus récent s’établit chez nous à 48 – en dessous de 50, il traduit une récession dans le secteur -, contre 54 en Allemagne. Même l’Italie (51) et l’Espagne (50) sont plus fringantes. Les patrons français n’ont manifestement pas le moral, et le remue-ménage autour de la fiscalité de l’entreprise ne les prédispose pas à l’optimisme, même si leurs critiques ne sont pas toujours défendables. Il n’empêche que les incertitudes sur leur sort, dans une phase dépressive du cycle économique, ne les poussent pas vers l’avant – en témoigne la faiblesse des investissements. Pour plus de la moitié d’entre eux, l’attitude du gouvernement à l’égard des entreprises a évolué « dans le mauvais sens », sur les derniers mois. Malgré l’instauration du Crédit d’impôt pour l’emploi et la compétitivité (Cice), qui devrait permettre d’alléger le coût du travail à hauteur de 4% de la masse salariale (6% l’année prochaine). Ce qui n’est pas anecdotique.

On ne s’étonnera donc pas de leurs anticipations pour l’exercice prochain, telles qu’elles résultent d’un sondage commandité par le quotidien économique Les Echos. Pour 85% d’entre eux, la situation économique du pays sera identique ou pire l’année prochaine. Toutefois, avec la foi du charbonnier qui anime ordinairement tout entrepreneur, 65% restent confiants envers leur propre entreprise. Ce qui n’est pas vraiment cohérent, mais les dirigeants n’échappent pas à la langue de bois quand il s’agit d’évoquer l’avenir de leur firme. En tout cas, les analystes du sondage notent que « le climat économique et social est anxiogène », ce dont on se doutait un peu. Un climat qui ne doit pas générer une ambiance très sereine dans l’entreprise. Est-ce pour cette raison que des cadres dirigeants s’inscrivent aux stages de management pilotés par… l’armée ? Le chroniqueur croyait naïvement que la gouvernance d’entreprise avait renoncé au mode d’organisation militaire. Cela dit, il faut être réaliste : devant l’âpreté de la guerre économique, mieux vaut sans doute sortir de Saint-Cyr que de HEC pour conduire ses troupes.

Visuel : Photos Libres

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