Fin de partie pour (...)

Fin de partie pour la Grèce ?

A court de liquidités, la Grèce s’achemine vers un défaut de paiement et une grave crise. Face à l’ultimatum de ses créanciers, Alexis Tsipras a annoncé un référendum, le 5 juillet, sur le plan imposé par les créanciers.

Les négociations entre la Grèce et ses créanciers, qui s’apparentent davantage à un conflit ouvert, sont depuis des mois dans l’impasse. A tel point que toutes les réunions de la semaine dernière devaient inévitablement s’achever sur des échecs et qu’il est désormais envisageable, et envisagé, que la Grèce fasse défaut et quitte la zone euro. D’autant qu’un point de non-retoura été atteint le 27 juin, lorsque l’Eurogroupe a décidé de poursuivre sa réunion en l’absence d’un représentant de l’État grec, ce qui revient à en exclure manifestement la Grèce.

Errare humanum est, perseverare diabolicum

Les négociations entre la Grèce et ses créanciers (UE, BCE et FMI) achoppent sur les nouvelles réformes structurelles que la Grèce devra mettre en œuvre, en échange d’une prolongation de l’aide financière apportée au pays. Pour le dire simplement, l’ancienne Troïka, formée de l’Union européenne, du FMI et de la BCE, persiste à prescrire des mesures d’austérité à la Grèce en échange de la prolongation de son second plan d’aide. Or, depuis mai 2010, ce sont 240 milliards d’euros que la Troïka a alloué à la Grèce pour faire face à ses obligations, dans le cadre de deux plans d’aide, dont la contrepartie a été une austérité drastique pour remettre les finances publiques d’équerre : baisses de salaires, hausses d’impôts, coupes claires dans la sécurité sociale et privatisations massives.

Avec pour résultat, certes, un équilibre budgétaire primaire : si l’on excepte le remboursement de la dette publique, la Grèce a fait tellement d’efforts que ses dépenses sont désormais au niveau de ses recettes. Mais à quel prix : un taux de chômage insoutenable de 25 % (plus de 50 % pour les jeunes), un système de santé en perdition avec des hôpitaux publics débordés et exsangues, et une explosion du poids de la dette publique à 181 % du PIB en 2015, contre 157 % en 2012, malgré une restructuration !

Le malade est donc mort économiquement, mais guéri selon les critères des créanciers…

C’est que depuis le début il y a eu erreur de diagnostic : la Grèce fait face à une insolvabilité et non pas une crise de liquidités. Et pourtant, les négociations de la semaine dernière ont prouvé que les Européens persévéraient dans l’erreur, en cherchant à prêter encore plus à un État insolvable depuis 2010 !

L’ultimatum des créanciers

Lors de la dernière réunion de l’Eurogroupe, le 27 juin, les créanciers ont lancé un ultimatum au gouvernement grec : 15,3 milliards d’euros d’aide proposés, à la condition expresse d’un engagement immédiat sur un certain nombre de mesures. La ventilation de ces 15,3 milliards d’euros était la suivante : 7,2 milliards d’euros du précédent programme d’aide que l’Eurogroupe proposait de verser progressivement ; 1,8 milliard qui proviendraient des bénéfices de la BCE sur les obligations d’État grecques ; 3 milliards pour recapitaliser les banques qui ne survivent pour l’instant qu’à la faveur des prêts d’urgence ELA (Emergency Liquidity Assistance) de la BCE ; enfin, le FMI contribuerait à hauteur de 3,2 milliards d’euros.

En contrepartie, parmi les mesures exigées, on peut citer l’obligation d’avoir un excédent primaire important, un relèvement de la TVA sur la restauration et l’hôtellerie de 13 % à 23 %, une baisse du budget militaire de 400 millions d’euros, une augmentation du taux d’impôt sur les sociétés de 26 % à 28 %, un changement de statut fiscal pour certaines îles, et surtout de grands changements dans le système des retraites, qui vont de la suppression des retraites anticipées à un report de l’âge de départ à la retraite à 67 ans en 2022, en passant par une réduction du déficit du système de retraite à la faveur d’une hausse des cotisations sociales des salariés et des retraités. Quant à la pension de retraite supplémentaire accordée aux plus pauvres par le nouveau gouvernement, l’accord prévoyait sa suppression au plus vite.

Autant de mesures qui auraient pesé une nouvelle fois sur l’activité et plongé l’économie grecque dans une dépression.

Mais pas un mot sur l’essentiel, à savoir la question de l’annulation d’une partie de la dette publique, qui s’élève à 320 milliards d’euros et qui est détenue en majorité, directement ou indirectement, par les États membres de la zone euro. Son montant colossal empêche toute reprise de l’activité en Grèce, puisqu’une part substantielle du budget de l’État sert à rembourser les seuls intérêts de la dette, au détriment de l’investissement public, qui a atteint un niveau historiquement bas, et des mesures sociales d’urgence, pourtant indispensables pour répondre à l’effrayante paupérisation des ménages depuis 2010.

Ne serait-il pas primordial, pour le bien de tous et en particulier de la zone euro, de négocier avec la Grèce un accord sur sa dette publique, à l’instar de ce qui avait été accordée à l’Allemagne en 1953 ? Si la réponse ne fait pas de doute, la mise en pratique est quasi impossible pour des raisons politiques, puisque tout accord doit obligatoirement être endossé par l’Eurogroupe et ensuite validé par certains parlements nationaux, notamment en Allemagne. Et c’est un euphémisme de dire qu’il n’y pas consensus à ce sujet dans toutes les capitales européennes.

Rejet de l’ultimatum et référendum

Le chef du gouvernent grec a rapidement rejeté cet ultimatum. Or, même s’il l’avait accepté, en l’état, il n’aurait pas constitué un règlement définitif du problème, puisque, répétons-le, la Grèce n’est pas capable de rembourser une telle somme. Tout au plus, le pays aurait-il obtenu des fonds suffisants pour faire face à ses obligations – comprenez pour rembourser les créanciers avec l’argent qu’ils viennent juste de lui prêter ! – jusqu’en novembre 2015, puis le psychodrame aurait repris de plus belle… Or, comme la Grèce s’est endettée pour près de 40 ans, on imagine mal remettre l’ouvrage sur le métier tous les six mois à l’Eurogroupe.

Le Premier ministre grec a dès lors décidé de jouer son va-tout, en annonçant l’organisation d’un référendum, le 5 juillet prochain, sur le plan proposé par les créanciers. Tenaillé entre le marteau des créanciers et l’enclume de sa base électorale, Alexis Tsipras est probablement allé, en tout état de cause, au bout de ce qu’il pouvait faire pour son pays. C’est pourquoi, dans l’incapacité d’appliquer le programme politique pour lequel il a été élu, le gouvernement demande au peuple de choisir s’il souhaite accepter les conditions exigées par les créanciers pour que la Grèce reste dans la zone euro.
Certes, cela participe indubitablement de la stratégie de négociation du gouvernement grec, mais un « non » majoritaire à ce référendum lui donnerait en quelque sorte un mandat pour entamer la sortie officielle de son pays de la zone euro, quand bien même il répète à l’envi que ce référendum n’est pas celui du maintien dans l’Euro.

C’est du reste pourquoi l’option du référendum n’est pas nécessairement la meilleure réponse dans ce contexte tendu, puisqu’il se fera dans un délai très court qui empêche toute campagne et peut donc fausser le résultat, notamment si les tenants et aboutissants de ce référendum ne sont pas compris ou si les passions priment sur la raison. Et que dire des réactions de paniques spéculatives qu’il risque d’engendrer…

La BCE, fossoyeur de la Grèce et de l’Euro ?

Tout l’enjeu est désormais de connaître la position de la Banque centrale européenne face à cette nouvelle donne.
La BCE continuera-t-elle à fournir les banques grecques en liquidités grâce au mécanisme d’urgence ELA (près de 90 milliards d’euros actuellement) ou bien décidera-t-elle de couper ce dernier fil d’Ariane qui retient la Grèce à la zone euro ? Dans le deuxième cas, la Grèce serait alors contrainte de mettre en place d’urgence un contrôle drastique des capitaux, afin de juguler les sorties de capitaux et retraits de dépôt bancaires, entamés déjà depuis plusieurs mois. Mais sans liquidités en euros, le Grexit (sortie de la Grèce de l’Euro) deviendrait par conséquent réalité, même si les Grecs ne souhaitaient pas quitter la zone euro. Ce qui n’était pas prévu de jure, car les traités ne prévoient pas la sortie d’un État de la zone euro, le deviendrait donc de facto !

En effet, pour faire fonctionner son économie, si elle est privée de la monnaie unique, la Banque centrale de Grèce devra impérativement lui trouver un substitut au plus vite. A très court terme, cela pourra passer par l’utilisation de créances-papiers, qui auraient valeur de monnaie, ou par le poinçonnage des pièces et l’oblitération des billets existants. Dans un deuxième temps, un nouveau jeu complet de billets et de pièces, c’est-à-dire de monnaie fiduciaire, devra être créé, afin de mettre un terme à l’inévitable anarchie économique qui ne manquera pas de régner dans le pays durant cette période de transition. Dans tous les cas, la Grèce se verra obliger de faire défaut sur toutes ses dettes libellées en euros, puisque le taux de change de sa nouvelle monnaie fera s’envoler les montants à rembourser.

Ainsi, si la BCE refuse d’alimenter les banques grecques en liquidités, elle restera dans l’histoire comme le fossoyeur de la Grèce… et de l’Euro si la panique s’empare de toute la zone, ce qui est hélas envisageable ! Car, les conséquences d’un tel événement ne pourront que difficilement être contenues à la Grèce seule, quand bien même l’économie du pays ne pèse que 2 % du PIB de la zone euro. En effet, les investisseurs du monde entier comprendraient que la construction européenne n’est pas irréversible, contrairement à ce qu’avait laissé entendre Mario Draghi il y a quelques mois. Pire, comment croire qu’une sortie précipitée de la Grèce ne créerait pas une panique politique, économique et sociale en Espagne, au Portugal et surtout en Italie ?

Certes, le président de la BCE avait annoncé, en 2012, sa volonté de tout faire pour sauver l’Euro. Certes le programme OMT a été validé par la Cour européenne de justice de l’UE, ce qui signifie que la BCE pourrait intervenir massivement sur le marché secondaire de la dette souveraine pour éviter la spéculation sur les autres États membres. Certes, le Mécanisme européen de stabilité (MES), doté de 700 milliards d’euros, pourrait lui apporter son concours.

Mais l’OMT n’ayant encore jamais été utilisé, personne ne peut affirmer avec certitude qu’il permettrait de lutter efficacement contre une panique dans la zone euro, d’autant que la solidité du système bancaire européen reste encore à prouver, malgré les stress tests. Mais surtout, au-delà de l’aspect financier, il ne faut pas oublier la réaction des ménages et des entreprises qui, loin d’accorder un grand crédit aux institutions européennes, pourraient prendre peur et reporter leurs projets d’investissement et de consommation, annulant ainsi la timide embellie due à la baisse des prix du pétrole. La récession européenne pourrait alors être violente…
En définitive, au-delà du défaut, prévisible, de la Grèce, c’est l’avenir de toute la zone euro qui en jeu puisqu’elle s’apprête à faire un saut, peut-être fatal, dans l’inconnu !

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