France : la confiance en

France : la confiance en dérive

Au sein de la population européenne, les Français seraient les champions du moral dans les chaussettes. Car ils ignorent la teneur exacte des sacrifices à consentir et n’ont pas de vision claire de leur avenir. Une conséquence probable de l’indécision gouvernementale et d’une stratégie politique indéchiffrable.

Les statistiques sont formelles : les pauvres gèrent mal leur budget. Qu’en est-il de l’Etat ? Son administration n’est guère optimale quand ses ressources sont abondantes : l’expérience du demi-siècle écoulé en témoigne. Mais la situation ne s’améliore guère quand les moyens se tarissent : la gestion publique est délicate sous des vents contraires. Il en résulte des manœuvres chaotiques et une tenue de cap incertaine. Pour avoir souvent abordé le sujet ici, on ne reviendra pas sur le débat relatif à la politique d’austérité budgétaire : cette option fait consensus à-peu-près partout dans le monde, même s’il s’agit d’un choix imposé. Il faut convenir que les moyens à mettre en œuvre ne coulent pas de source, car ils doivent contrarier le moins possible la dynamique de l’activité. Or, il ne fait de doute pour personne que réduire les dépenses budgétaires, et/ou majorer les prélèvements, ne sauraient doper la croissance ni favoriser l’emploi. Mais toutes les options de rigueur n’ont pas le même impact prévisible sur ces deux objectifs majeurs.

C’est donc à juste raison que le projet de supprimer l’indemnité compensatrice de formation - une aide accordée aux entreprises qui forment des apprentis -, a soulevé une tempête de consternation. L’aide en cause représente environ 550 millions d’euros, versée pour les deux tiers aux TPE, les plus actives en matière d’apprentissage. Car chacun a été frappé par cette évidence : c’était compromettre le moyen le plus efficace de doter les jeunes d’un métier, une stratégie autrement efficace, dans le long terme, que celle consistant à subventionner des emplois (sous-entendu « précaires », mal rétribués, ne nécessitant aucune spécialisation et ne présentant généralement aucun attrait pour ceux qui les exercent). Chacun aura pu également en déduire que dans l’esprit des gestionnaires chargés d’administrer la pénurie, il est totalement ringard de former des plombiers ou des électriciens – désormais aussi rares que le trèfle à quatre feuilles -, tout aussi ringard de former des mécaniciens ou des jardiniers, des coiffeurs ou des menuisiers. Et qu’il est préférable de créer des emplois dans les « services à la personne », qui assurent la faveur électorale des vieilles dames auxquelles on sert le déjeuner à domicile, ou une parlote vespérale. Le propos n’est pas d’abandonner les vieilles dames à leur insuffisance culinaire ou à leur morne solitude ; mais de tels services relèvent plutôt du bénévolat associatif – celui que l’Insee aimerait comptabiliser dans le PIB pour booster notre production statistique de richesses.

Bref, sacrifier l’apprentissage pour un plat de lentilles, c’était compromettre durablement l’amélioration du marché du travail. Ainsi que la production nationale. Heureusement, le Gouvernement est revenu illico sur ses intentions initiales. Mais la plaie reste ouverte : s’il est exact que l’amorçage de la croissance suppose la confiance des citoyens, une telle embardée n’est guère de nature à la restaurer.

Le fléau de l’indécision

Le revirement sur la question de l’apprentissage illustre assez bien le sentiment d’indécision qui se dégage de la politique gouvernementale. Ce qui alimente, très vraisemblablement, la dépression sur le baromètre de la confiance des Français. Aucun d’entre eux ne peut ignorer que le pays est en situation délicate - comme, du reste, la plupart de ses homologues européens. Tous les citoyens sont conscients du fait que le poids de l’endettement et l’atonie généralisée sont synonymes de sacrifices. Et beaucoup d’entre eux sont prêts à les affronter avec détermination. Encore faudrait-il qu’ils puissent identifier clairement les efforts à accomplir. Et qu’ils puissent en outre imaginer le mieux-être futur qui récompensera leurs sacrifices présents. Rien de tel : les petites punitions se succèdent et s’additionnent, sans que l’on sache si la prochaine étape ne sera pas la torture ; quant à la peinture officielle de l’avenir, elle est aussi indéchiffrable qu’une toile de Jackson Pollock. Il ne peut en être autrement, faute de stratégie politique intelligible.

Car il y deux pôles majeurs dans les comptes publics : le plus important est celui des régimes de base de la Sécu, qui représentent un volume de dépenses de 570 milliards d’euros. En ce compris un déficit de 14 mds, soit environ 2,5% des recettes. Sur le papier, atteindre l’équilibre ne constitue pas une épreuve hors de portée : en coupant la poire en deux, il suffit d’économiser 1,25% sur la gestion et de majorer les cotisations de 1,25%. Si l’on fait abstraction de la dérive prévisible des dépenses de retraite, consolider la Sécu n’est donc pas un problème – eu égard à son importance pour la cohésion nationale. Pour le budget de l’Etat, c’est une autre paire de manches : 302 mds d’euros de dépenses votées pour 2013, dont 62 mds de déficit prévisionnel – soit plus de 25% des recettes attendues ! Quiconque dépense durablement un quart de plus qu’il ne gagne s’expose à de sérieuses déconvenues… Et c’est là que se situe le problème : ou bien les charges fixes de l’Etat sont extravagantes et il faut les sabrer sans tarder ; ou bien elles sont justifiées et il faut majorer les prélèvements en conséquence. Il appartient au politique de se positionner dans cette alternative et d’en assumer les conséquences. Mais rester au milieu du gué n’apporte qu’une certitude : la situation ne s’améliorera jamais. Pas étonnant que les Français broient du noir.

Visuel : Photos Libres

deconnecte