France : la glissade

France : la glissade

Sans véritable surprise, les performances économiques de la France en 2012 ont été inférieures aux attentes. Et la tendance se poursuit inexorablement. Le flottement stratégique expose notre pays au risque de rater simultanément ses deux objectifs antinomiques : le désendettement et le retour de la croissance.

Voilà donc à nouveau du grain à moudre pour les chamailleries picrocholines, celles qui concernent l’imposition à 75% des salaires supérieurs au million. La menace avait déjà fait fuir sous d’autres cieux quelques millionnaires parcimonieux, avant que le Conseil constitutionnel ne retoque un dispositif trop hâtivement bricolé. Chassé par la grand-porte, le projet revient par la lucarne. Directement responsables des rémunérations pharaoniques, les entreprises auraient ainsi à acquitter les fameux 75% sur les salaires surnuméraires, mais « toutes impositions confondues ». Cette prudente restriction devrait relancer le débat qui a supplanté la querelle sur le sexe des anges : les cotisations sociales sont-elles assimilables à l’impôt ? Cette question byzantine avait été soulevée avec l’instauration de la CSG, considérée comme une cotisation sociale par la Cour de cassation (en phase avec la Cour de justice de l’Union européenne), alors que Conseil constitutionnel et Conseil d’Etat la qualifient d’impôt. A ce jour, l’incertitude demeure. Si la jurisprudence linguistique devait valider le principe selon lequel toute cotisation obligatoire est un impôt, certaines firmes applaudiraient des deux mains le nouveau dispositif : l’Etat leur rendrait de l’argent. Tel serait notamment le cas des banques et compagnies d’assurance, qui sont assujetties, sur les rémunérations élevées, à la taxe sur les salaires au taux de 20%. Paris pourrait enfin devenir un centre financier de grande envergure, maintenant que Chypre a été dézinguée et que les autorités luxembourgeoises commencent à craindre le vent du boulet. En attendant, pendant que l’on ergote sur des symboles, les fondamentaux de la France continuent de se détériorer.

Entre deux eaux

L’Insee venait à peine de confirmer la croissance zéro de l’économie française, pour l’année 2012, que ses conséquences apparaissaient au niveau des comptes publics : tant l’endettement (90,2% du PIB) que le déficit d’exécution (4,8% du PIB) ont nettement dépassé les attentes, mettant ainsi en péril les prévisions officielles (récemment révisées) pour l’exercice en cours. De ce fait, les projections de la Commission européenne deviennent de plus en plus plausibles : à la fin de l’année prochaine, l’endettement et le déficit se situeront respectivement dans l’orbe probable de 95% et 4% du PIB. C’est-à-dire très loin des « engagements » du début de mandat. Dans le même temps, le retour de la croissance sur l’exercice, même dans des proportions modestes, demeure hypothétique à l’examen des statistiques du premier trimestre : le business patine, les défaillances d’entreprises se multiplient, avec pour corollaire inévitable l’explosion du chômage. Et pour la première fois depuis presque trente ans, le pouvoir d’achat a baissé l’année dernière. Ce n’est pas la Berezina (- 0,4%) ; mais les ménages hésitent à compenser le manque à gagner par une réduction de leur épargne, qui demeure élevée, ce qui constitue un signal peu encourageant pour les dépenses de consommation. Contrairement aux récentes allégations du quotidien britannique The Guardian, les Français auraient donc désormais quelques raisons objectives de ne pas se sentir heureux.

Pour autant, le contexte actuel de notre pays ne constitue pas un défi au bon sens. Répétons ici, une fois encore, que la forte augmentation des prélèvements obligatoires (44,9% du PIB en 2012), dans une économie mondiale déprimée, ne peut guère constituer un dopant pour l’activité et la distribution de revenus. Il ne faut pas davantage espérer un redressement des finances, quand la dépense publique représente encore 56,6% du PIB, c’est-à-dire que « l’effort budgétaire » porte exclusivement sur l’augmentation des impôts. Si bien que notre pays s’est placé dans une position originale dans le concert des nations, toutes soumises à l’ambition obsessionnelle de ramener leurs finances à un étiage normalisé, et donc toutes exposées à la certitude d’écraser le dynamisme de l’activité. Chez nous, on a choisi d’étriller le contribuable, ce qui pénalise la croissance comme partout ailleurs ; mais on laisse filer la dépense publique, ce qui interdit rationnellement le retour à des finances saines – au sens maastrichtien du terme. Si bien qu’à défendre une demi-orthodoxie budgétaire, afin de flatter les attentes de Bruxelles et celles des marchés, et en même temps invoquer la croissance comme catalyseur de ses espérances, c’est s’exposer au risque d’un double échec : une détérioration de la signature souveraine et une interminable récession rampante.

Convenons-en : la situation actuelle est inextricable partout dans le monde, si l’on s’obstine à recourir à des « boîtes à outils » périmées. Mais la défense opiniâtre d’un ordre ancien épuisé menace la plupart des nations de la pénitence infligée aux pays du « Club Med ». Si bien que nous autres Français, quoi qu’en disent nos autorités, sommes exposés aux mêmes vexations que celles imposées aux Grecs et aux Chypriotes. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les propos du FMI, visant à « rassurer » les populations : « Le cas de Chypre était très complexe et par nature unique. Il serait difficile d’étendre ce cas au reste de l’Europe ou dans le monde ». Notons-le bien : il serait « difficile » de prescrire à d’autres la potion chypriote. Mais ce n’est pas exclu. Au contraire, il semble bien que ce soit le plan majeur du FMI pour assainir le système financier : détrousser les déposants bancaires. Et pilonner le contribuable. Encourageant.

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