France : nouveau business plan

On connaît désormais la feuille de route du Gouvernement. Si l’esprit de la nouvelle stratégie ne suscite pas vraiment l’enthousiasme, son chiffrage soulève pas mal d’interrogations. Notamment de la part de la Commission européenne. Le déficit français s’écrasera-t-il à 3% du PIB en 2015 ? Quelques éléments d’analyse.

Voilà qui est fait. Notre Premier ministre a présenté son business plan à l’Assemblée nationale, laquelle a approuvé le document. Sans enthousiasme excessif, reconnaissons-le, mais avec une majorité suffisante pour qu’il soit mis à exécution – bien que le scrutin n’eût qu’un caractère consultatif. Mais bon : lorsque les jetons de présence sont généreux, les administrateurs hésitent à faire de la peine au Directeur général. Devant le même document, la Commission européenne, dans son rôle de Conseil de surveillance, s’est montrée un tantinet sceptique. Bien qu’à ce stade, son avis ne vaille qu’avertissement. Mais tous les paramètres du Pacte de responsabilité et de solidarité n’ayant pas été intégrés par les auditeurs européens, le jugement définitif de ces derniers peut encore s’adoucir dans un avenir proche – ou gagner en sévérité.

Quoi qu’il en soit, les uns et les autres tirent des plans sur la comète en établissant des prévisions à plus de 18 mois. Et chacun sait qu’un business plan, même « crédible », reflète principalement les espérances de ceux qui l’établissent. En tout cas, les modèles économétriques de Bercy et ceux de Bruxelles ne crachent pas le même résultat. Selon la Commission, l’inversion tant attendue de la courbe du chômage serait beaucoup plus tardive que ne l’escompte le Gouvernement. Et le déficit public, à la fin de l’année prochaine, excéderait nettement les 3% fatidiques, niveau que notre pays s’est engagé à atteindre sous peine de… En fait, on ne sait pas vraiment à quelles sanctions il faut s’attendre, vu que Paris a été autorisé plusieurs fois à retarder son retour à la norme, sans même avoir été privé de dessert pour son indiscipline récurrente.

Aléas dans les deux sens

Même si l’OCDE valide, à peu de choses près, le scénario officiel de la France, de nombreux économistes partagent – voire amplifient – les doutes de la BCE. D’abord, sur les composantes de la croissance. Qu’en sera-t-il de l’investissement des entreprises ? Les avis sur la question sont très partagés. D’aucuns estiment que les décideurs manquent de visibilité, tant pour l’évolution de leur environnement fiscal (pourtant promis à éclaircies) que pour celle de la conjoncture (attendue en amélioration, certes, mais dans des proportions modestes). Autant d’incertitudes qui continueraient de peser sur les décisions d’investissement. Sur ce terrain, la position des optimistes semble toutefois plus réaliste : l’investissement a beaucoup chuté ces dernières années. Une telle situation ne peut perdurer sans mettre en péril l’outil de production. Si bien qu’une embellie conjoncturelle, même timide, pourrait doper l’investissement au-delà des attentes gouvernementales (pronostiquées en hausse de 5,2%, en 2015). Par ailleurs, les milieux patronaux sont nécessairement conscients des « bonnes intentions » que le Gouvernement nourrit à leur égard, même si les faits ne les ont pas encore totalement corroborées. Dans la partie qui s’engage avec le « Pacte », l’exécutif a engagé une grosse mise ; il est donc raisonnable de penser qu’il ne négligera rien pour favoriser son succès, notamment par de nouvelles améliorations de l’environnement de l’entreprise.

Sur le terrain de la consommation, composante essentielle de la croissance, il est en revanche permis de se montrer plus sceptique. Le Gouvernement table sur « le retour de gains de pouvoir d’achat liés aux créations d’emplois » et sur « une baisse graduelle du taux d’épargne » pour gager le dynamisme de la consommation. Sur la question de l’emploi, rares sont les économistes qui adhèrent aux prévisions officielles. Le sentiment quasi-général est que le chômage ne commencera réellement à régresser qu’en 2016, en supposant que la croissance antérieure ait tenu ses promesses. De la même façon, la propension à l’épargne reste élevée en période de sous-emploi : il est très improbable que le Français renonce soudainement à ses réflexes sécuritaires. Quant aux exportations, elles ne peuvent que s’améliorer, sous réserve que la demande internationale ne faiblisse pas (et que l’euro cesse de prendre l’ascenseur). Car le premier objectif du pacte est bien d’abaisser les coûts de production, afin de favoriser la compétitivité de nos produits à l’étranger.

Toutes ces incertitudes se conjuguent pour rendre plus aléatoires encore les prévisions du volet budgétaire. D’abord, en matière de TVA, laquelle représente une grosse partie des recettes. Si la consommation est surestimée, l’impact sur les recettes publiques sera douloureux. D’autant que le Gouvernement a retenu des prévisions d’inflation plutôt optimistes (1,1% en 2014, puis 1,5% et 1,7% en 2015 et 2016), alors que la moyenne glissante sur 12 mois s’élevait à 0,6% en mars dernier. Sur le terrain social, la probable atonie du marché de l’emploi devrait continuer de dégrader les comptes sociaux – sauf à adopter de nouvelles mesures restrictives, par nature très impopulaires. Enfin, pour les recettes fiscales dans leur ensemble, il est à craindre que Bercy n’ait pris quelques libertés avec la méthodologie. En retenant une élasticité de 1 entre l’augmentation des recettes fiscales et celle du PIB – à savoir que le produit de l’impôt augmente exactement dans les mêmes proportions que le PIB. Cette hypothèse est probablement pertinente dans les périodes tranquilles où la croissance tient son train de sénateur. Mais tel n’était pas le cas l’année dernière, où ce coefficient d’élasticité n’était que de 0,2. Et bon nombre d’observateurs estiment qu’il en sera à-peu-près de même cette année. Reste donc à espérer que le nouveau Premier ministre ait la baraka – c’est-à-dire que la croissance reparte vigoureusement. Car dans le cas contraire, chacun sait par avance comment se fera l’ajustement…

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