France : rebond sans croissance

Notre PIB vient de faire un bond sur le premier trimestre de l’année. Pour autant, la croissance a été nulle pendant la même période. Tel sont les effets des nouvelles normes européennes de la comptabilité publique. Qui intègrent des « valeurs immatérielles » jusqu’alors négligées. Nous ne sommes pas plus riches pour autant.

Si la production de richesses a stagné dans notre pays, sur le premier trimestre de l’année, sa méthode de comptabilisation vient de faire un saut qualitatif important. L’initiative n’est pas franco-française, bien que la « Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social », instituée, en 2008, sous la précédente législature, ait vivement recommandé l’adoption de nouvelles normes. Ce qui a été formalisé par le Système européen des comptes (SEC 2010) qui entrera obligatoirement en application dès septembre de cette année. L’Insee apporte cette justification : « Le cadre comptable doit en effet s’adapter pour refléter au mieux les mutations de l’économie. Traiter en investissement les dépenses de R&D permet par exemple de mieux rendre compte du poids de plus en plus important des actifs tirés de la propriété intellectuelle dans l’économie d’aujourd’hui ».

L’argumentaire n’est pas critiquable : chaque jour démontre le poids grandissant des valeurs immatérielles, ce que la comptabilité privée a depuis longtemps intégré. Avec notamment la pratique du « goodwill », qui a déjà donné lieu à une ingénierie sportive dans les comptes de grandes compagnies. Quoi qu’il en soit, il ne serait pas raisonnable de soupçonner notre Institut de la statistique de changer le thermomètre pour échapper aux basses températures : la détermination de la croissance n’en sera pas bouleversée (les années antérieures ont été réinitialisées aux nouvelles normes). Tout au plus pourra-t-on constater une amélioration des ratios de déficit et de dette, puisque le PIB va mécaniquement augmenter : les dépenses de R&D, les achats de base de données ou d’équipements militaires sont maintenant comptabilisés en formation brute de capital fixe (FBCF) au lieu d’être classés en consommations intermédiaires. Ainsi, à la fin de l’exercice dernier, la dette s’élevait à 91,8% du PIB au lieu de 93,5%.

Une forte inertie

Avec le nouveau système comptable, le PIB 2013 est chiffré à 2 113,7 milliards d’euros, soit un coup de pouce de 3,2% par rapport à l’ancienne méthode de calcul. On ne s’étonnera pas de la relative modicité du « bonus » si l’on considère que le budget militaire subit une érosion constante, notamment en termes d’investissement, et que cette tendance se poursuit avec constance. Une telle pingrerie contraste avec les velléités interventionnistes de l’Elysée, mais il faut admettre que la politique étrangère de la France est devenue indéchiffrable – ce qui doit probablement angoisser nos ennemis potentiels. Quant au secteur privé, ses dépenses de recherche et développement sont depuis pas mal de temps réputées inférieures à celles de nos principaux concurrents. Si bien que notre nouvelle FBCF ne bénéficie ni de l’accroissement de nos biscoteaux militaires, ni du bouillonnement intellectuel de nos chercheurs. Dommage.

Venons-en à l’année en cours. Les premières estimations sont désormais arrêtées pour la croissance du premier trimestre et elles démentent les prévisions (0,1% pour l’Insee, 0,2% pour la Banque de France) : la variation est nulle par rapport au dernier trimestre de l’année dernière. Convenons-en, il n’y a pas matière à paniquer : les attentes les plus optimistes n’étaient pas très éloignées de la simple stagnation. Mais sur la même période, le PIB allemand a augmenté de 0,8%, ce qui doit constituer une (mauvaise) surprise pour la plupart de nos prévisionnistes, qui anticipaient un net ralentissement chez notre voisin. Chez nous, les indicateurs demeurent moroses : les ménages ont réduit leur consommation de 0,5% et l’investissement s’est contracté de 0,9% - de 0,5% pour les seules entreprises. Certes, ces dernières ne pouvaient anticiper les bienfaits espérés du Pacte de responsabilité, dont le contenu n’est pas encore totalement établi. Mais cette longue période de sous-investissement laisse planer des doutes sérieux sur le calendrier officiel de la reprise. Quant au troisième pilier, le commerce extérieur, il a connu des jours meilleurs. D’un côté, les exportations ont stagné (+0,3% contre 1,6% en T4 de 2013) ; de l’autre, les importations ont progressé (+1%). Un double effet : contribution négative à la croissance et détérioration de notre balance extérieure.

Au travers de ces premières données, les prévisions gouvernementales sont-elles encore crédibles ? Le budget a été établi sur une anticipation de 1% de croissance pour l’exercice en cours ; l’objectif n’est pas encore hors de portée, mais le mol allant de l’activité du début d’année compromet sa réalisation. Il faut se rendre à l’évidence que la performance du pays est largement conditionnée à ses particularités structurelles : dans la phase aiguë de la crise, l’activité a moins chuté que chez ses partenaires européens. Car l’importance de l’emprise publique a servi d’amortisseur. Mais en période de reprise, de surcroît modeste, le paquebot souffre de son inertie. Les mesures adoptées ou envisagées, emblématiques de l’« économie de l’offre », ne produisent ordinairement leurs pleins effets que deux ans, au moins, après leur adoption. Chez nous, il est probable que le temps de latence sera beaucoup plus long, d’autant que la réduction des dépenses publiques va inévitablement contrarier la dynamique de court terme. La première des conséquences prévisibles, c’est que le retournement du marché de l’emploi n’interviendra pas avant la Saint-Glinglin. Quand bien même les engagements (à venir) des organisations patronales seraient-ils formulés de bonne foi. Ce qui rend encore plus hypothétiques les engagements de notre pays en termes de déficit public. Sauf à valoriser grassement notre exception culturelle. Et à l’intégrer derechef au PIB.

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