Gouvernance : le krach

Qu’il s’agisse de la conduite des affaires intérieures ou du « grand jeu » géostratégique, les dirigeants occidentaux ne brillent guère par leur clairvoyance. La communication propagandiste a ses limites au plan interne. L’arrogance épicière a les siennes au plan international. En témoigne l’affaire de l’Ukraine.

Voilà donc notre pays de nouveau tancé par Bruxelles. Et placé « sous surveillance renforcée » aux côtés de la Slovénie. C’est-à-dire condamné au piquet et coiffé du bonnet d’âne, pour indiscipline récurrente et apostasie de ses engagements. Tout particulièrement sur le terrain budgétaire : la Commission avait déjà fait preuve d’indulgence, en renvoyant à la fin de l’année prochaine l’objectif d’un déficit public inférieur aux fatidiques 3% du PIB. D’évidence, la performance intermédiaire (en 2013) a été inférieure aux « recommandations », et les résultats attendus cette année promettent de suivre la même voie, quand bien même un sursaut providentiel de croissance viendrait-il apporter un biais conjoncturel favorable. Résultat : les promesses d’orthodoxie devraient rester lettre morte, une fois de plus. Ainsi, non seulement la France compromet-elle son propre avenir – selon les critères communautaires – mais elle pollue également celui des autres Etats-membres. Bruxelles attend donc que les réductions de dépenses publiques annoncées se concrétisent – avant le mois de juin (où aura lieu la prochaine réévaluation), date à laquelle « il sera trop tard », selon une source autorisée citée par Les Echos.

Ce n’est pas tout. Le deuxième motif de blâme relève de la compétitivité des entreprises, qui aurait à nouveau régressé l’année dernière. Ce pourquoi le Commissaire européen aux Affaires économiques se déclare impatient de connaître le contenu du « Pacte de responsabilité ». Il n’est pas certain qu’il en sache beaucoup plus avant l’été, mais au moins vient-on d’enregistrer un accord sur le sujet entre le patronat et (presque tous) les syndicats. Il est permis de s’étonner que l’issue été aussi laborieuse : le texte contient essentiellement des généralités qui ne mangent pas de pain. Avec, dans le préambule, cette phrase qui en dit long sur l’état d’esprit ambiant : « La compétitivité n’est pas une fin en soi, mais une condition de la croissance, de l’emploi et de la cohésion sociale ». Il est à peu près aussi crédible d’affirmer que la guerre est une condition de la paix… Les syndicats ne peuvent raisonnablement être contre la croissance, contre l’emploi ou contre la cohésion sociale ; en ayant validé cette allégation, ils font de la compétitivité un objectif plus impérieux encore qu’une « fin en soi ». Quant aux moyens, le texte demande aux branches professionnelles « d’ouvrir des discussions ou des négociations ». En vue d’aboutir à « un relevé de conclusions signé », ou à un « accord précisant les objectifs quantitatifs ou qualitatifs en termes d’emploi ». Les parties se sont ainsi mises d’accord pour… engager des discussions. Ce qui est un résultat somme toute assez modeste. Et ceci, « dès lors que la trajectoire de baisse des prélèvements fiscaux et sociaux sera clairement définie par les pouvoirs publics ». Les « contreparties » pourront donc être négociées quand le Gouvernement aura annoncé la couleur des réductions de charges promises, et accessoirement trouvé une compensation budgétaire qui ne jette pas à la rue une bonne partie de la population. Bref, on n’en sait guère plus aujourd’hui sur le pacte qu’avant l’aimable consensus entre le Medef et les syndicats.

Stratèges d’opérette

Il semble que le bricolage, l’effet d’annonce, la duplicité et la mauvaise foi procèdent désormais du mode ordinaire de la conduite des affaires publiques. En témoigne l’épisode ukrainien. Certes, les querelles entre Etats génèrent toujours leur contingent de propagande mutuelle. Mais celle que véhicule le parti du « Bien », à savoir les USA et leurs affidés européens, atteint des sommets dans l’outrance et laisse supposer que les dirigeants en cause n’ont pas beaucoup d’estime pour la jugeote de leurs concitoyens. Il ne faut pas manquer d’aplomb pour invoquer la démocratie, la souveraineté des peuples et les droits de l’Homme, dans le but de conspuer la conduite de la Russie – certes illégale selon le droit international. On sait pourtant que, sur le modèle qui a si bien fonctionné dans les « révolutions orange » et autres « printemps arabes », diverses fondations et ONG américaines, généreusement dotées, financent depuis plusieurs années des groupes de subversion en Ukraine. On sait aussi que lors des manifestations de Maïdan, opportunément programmées lors des Jeux de Sotchi, bien des morts sont imputables à des snipers totalement étrangers à la police d’Etat. On sait enfin que la stratégie géopolitique des States, clairement définie dans Le grand échiquier de Zbigniew Brzezinski (une autorité de longue date en la matière), vise à contrôler le « continent eurasiatique » et donc à marginaliser la Russie et la Chine comme acteurs géostratégiques. Or, l’Ukraine fait partie des « pivots géopolitiques » essentiels pour ce contrôle (aux côtés de l’Azerbaïdjan, de la Turquie, de l’Iran et de la Corée : autant d’Etats où s’exercent les tentatives américaines de déstabilisation). Priver la Russie de son autorité sur l’Ukraine, étayée par des liens historiques et culturels puissants, c’est l’amputer ad vitam de toute prétention sur le continent eurasiatique. Voilà pourquoi il importe autant pour l’Oncle Sam de marier le pays à ses vassaux de l’UE. Ce qui a peu de chances de se produire : Moscou ne peut objectivement pas renoncer à contrôler la zone-tampon constituée par l’Est du pays, y compris la Crimée, pour des motifs qui ne sont qu’accessoirement économiques. Si bien que l’option – pacifique - la plus probable est celle de la partition de l’Ukraine. Dans ce cas, l’UE héritera de Kiev comme d’un fardeau. Moralité : la zizanie ne profite pas toujours à celui qui l’a provoquée…

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