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Grands chantiers : Seine-Nord Europe, un futur canal entre la Seine et l’Escaut

Seine-Nord Europe, un ouvrage de 106 km, permettra, en 2017, la liaison entre le bassin parisien et le Nord de la France. L’ouvrage, qui doit relancer le transport fluvial en France, devrait coûter 4,2 milliards d’euros.

La France, au contraire du Benelux ou de l’Allemagne, n’est pas réputée pour son réseau de transport fluvial. Les rivières demeurent sauvages et peu navigables, le relief constitue souvent un obstacle, le fer puis la route ont depuis longtemps supplanté ce moyen d’acheminement qui eut son heure de gloire au 19ème siècle. Et pourtant, répètent tous les professionnels de la navigation fluviale, une péniche transporte un volume équivalent à la charge de plusieurs camions, à un prix inférieur et sans consommer autant de carburant.
En France, les seules vraies voies à grand gabarit empruntent les grands fleuves ou irriguent l’extrême nord du pays. Entre l’Ile-de-France et les grands ports du Nord, Anvers ou Dunkerque, la voie est étroite. Le petit canal du Nord, qui relie l’Oise à la Scarpe, affluent de l’Escaut, ne dépasse pas le gabarit Freycinet, du nom de ce ministre de la IIIème République qui croyait au transport par péniches. Seules les embarcations standard, 38 mètres de long pour 5 de large, peuvent y passer. Son parcours emprunte un long tunnel et pas moins de 19 écluses qui ralentissent d’autant le trafic et éloignent la zone de chalandise parisienne des marchandises venant d’Anvers. Aujourd’hui, la quasi-totalité du tonnage débarqué dans le port belge est acheminée en Ile-de-France par la route.

Le vent porteur du développement durable

Depuis longtemps, la France envisage le creusement d’un grand et vaste canal entre Paris et le Nord. Les premières études techniques datent de 1995, la fixation du tracé de 1997 et l’enquête publique de 2007. Depuis 2008, le canal Seine-Nord Europe, ainsi qu’il a été baptisé, fait partie des priorités liées au Grenelle de l’environnement. Et pourtant, le projet fut maintes fois reporté. Le coût d’un tel ouvrage et le quasi-monopole du transport routier en faisaient un projet non rentable. Le port du Havre, qui craignait de perdre une partie de son chiffre d’affaires, freinait des quatre fers.
Aidé par le vent porteur du développement durable, le lobby des professionnels de la navigation fluviale, notamment les transporteurs, ont finalement convaincu les pouvoirs publics. « Après plusieurs mois d’attente, nous avons réglé la question du financement », affirme Alain Gest, député (UMP) de la Somme et président de Voies navigables de France (VNF), l’établissement public chargé de gérer le réseau fluvial. Le 5 avril dernier, l’Etat, l’Union européenne et les collectivités locales rendaient public un accord permettant le financement du projet. L’Elysée saisissait l’occasion pour organiser l’un de ces déplacements thématiques en province, censés provoquer une remontée de la cote de popularité de Nicolas Sarkozy.

Le nouveau canal, a annoncé le président de la République, sera opérationnel « en 2017 » et mesurera 106 km de long, entre Compiègne (Oise) et Marquion, près de Cambrai (Nord), ce qui fera du Nord-Pas-de-Calais, « où seront créés 25 000 emplois » rien de moins que « le cœur de l’Europe économique », a-t-il encore affirmé. Les dimensions de l’ouvrage, 54 mètres en largeur et 4,5 mètres en profondeur, sont adaptées aux convois transportant 4 400 tonnes, soit l’équivalent de 220 camions. La voie sera ponctuée de sept grandes écluses et de trois ponts-canaux, destinés à enjamber la Somme et les autoroutes A26 et A29. Les travaux de l’abaissement de cette dernière autoroute ont déjà commencé. Les travaux s’annoncent monumentaux. « On n’a pas fait de canal depuis un siècle ! » relève Alain Gest. Quatre « plate-formes multimodales », installées tout au long du parcours, accueilleront des activités logistiques et industrielles nécessitant à la fois une voie d’eau, un chemin de fer et une autoroute. « Seine-Nord Europe ne se contente pas de traverser le territoire, mais le fait vivre », plaide Nicolas Bour, directeur du projet pour VNF.

Modifier les habitudes de transport

Le canal devrait coûter au total 4,2 milliards d’euros, dont la moitié seulement sera investie par les pouvoirs publics. L’UE, pour 330 millions d’euros, la France, avec près d’un milliard, et les collectivités locales françaises, 710 millions d’euros, seront les principaux contributeurs. « Il ne manque plus que 118 millions d’euros d’investissements publics », assurait Alain Gest en avril dernier. Le secteur privé versera l’autre moitié, 2,1 milliards d’euros. Bouygues et le groupement Vinci-Eiffage, pareillement intéressés, s’affronteront dans ce que l’Etat a choisi d’appeler un « dialogue compétitif ». « Chaque candidat propose ses solutions, le choix sera établi en 2012. Celui qui ne sera pas retenu sera fortement indemnisé », détaille Nicolas Bour.

VNF attend de la nouvelle voie qu’elle modifie les habitudes de transport. Le plus difficile reste à convaincre les « chargeurs », ces entreprises susceptibles de faire transporter leurs marchandises par bateau. « 80% du bénéfice de l’ouvrage leur revient, mais ils ne le savent pas encore », relève le responsable du projet. VNF vise quatre catégories de clients. Le transport fluvial pourrait ainsi concerner des matériaux bruts, destinés à l’agriculture ou à la chimie, des matières nécessaires à la construction ou la déconstruction, tels que les gravats ou le papier, de l’acier utilisé notamment par les fabricants automobiles et des biens de consommation courante distribués dans les centres urbains.
Le projet suscite aussi des « appétits locaux », selon l’expression d’Alain Gest. Les départements traversés cherchent à développer l’activité économique autour des plate-formes multimodales. Les communes modifient leur plan local d’urbanisme, quitte à transformer de fertiles terres agricoles en zones d’activité garnies d’immenses parkings.

Extension du port de Paris

Quelque 13% des marchandises acheminées en Ile-de-France arrivent par la Seine, débarquant dans l’une des six darses du port de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), d’où les marchandises sont réexpédiées par camion. La plate-forme devrait toutefois être « saturée » vers 2020, affirme Ports de Paris, en charge de la gestion de Gennevilliers. Pour devancer cette échéance et prévenir la hausse prévisible du volume transporté, l’établissement public envisage la création d’un nouveau port à Achères (Yvelines), dans une zone longtemps utilisée pour l’épandage des eaux usées, donc impropre à la construction de logements. Antoine Berbain, directeur de l’aménagement des Ports de Paris, souligne que les principaux acteurs ont donné leur aval au projet et espère le lancement d’un « comité de pilotage » entre l’Etat et les collectivités « début 2013 ».

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