Immobilier : le mystère

Immobilier : le mystère du prix

Foin de la crise : après les frimas de 2008, les prix de l’immobilier ont repris leur ascension et tutoient à nouveau leurs plus hauts historiques. En contradiction avec les fondamentaux qui déterminent d’ordinaire les critères objectifs du marché. S’agit-il d’une bulle comme l’énonce le CAS ? Sans aucun doute. Sauf qu’elle est peut-être parfaitement rationnelle.

Une récente note du Centre d’analyse stratégique (le CAS, organisme rattaché au Premier ministre) traite de l’évolution du prix du logement sur les vingt-cinq dernières années.

Le sujet intéresse tout le monde : les propriétaires, désormais largement majoritaires dans notre pays, dont les résidences, principale et secondaire, constituent souvent l’essentiel du patrimoine ; les locataires, qui aspirent généralement à changer de statut et s’empressent de le faire dès qu’ils réunissent les conditions requises.

Nul ne conteste les bienfaits de la propriété immobilière sur la stabilisation d’une société, par l’enrichissement de la classe moyenne grâce à l’épargne forcée que représente le remboursement des emprunts, et la protection inégalée qu’offre « la pierre » face à l’érosion monétaire. Cette protection s’étend même au-delà de l’inflation : sur les seules quinze dernières années, les prix (nominaux) ont en moyenne été multipliés par 2,5, une valorisation sans commune mesure avec la dérive générale des prix à la consommation sur la même période.

A quoi faut-il attribuer cet écart spectaculaire ? C’est ce que cherche à identifier la note du CAS, qui évacue d’emblée la réponse venant spontanément à l’esprit : la pénurie de logements.

Il apparaît en effet que sur la période de référence, les loyers ont globalement progressé dans la même proportion que le revenu disponible des ménages : il n’y a donc pas eu de tension sur le marché. Ce que confirment les statistiques : le nombre de logements s’est accru de 30% pendant que la population n’augmentait que de 13%. Rien de tel pour le prix des logements, qui décroche vigoureusement sur les dernières années de la décennie 1990. Et continue de se maintenir dans la stratosphère : le recul enregistré après le déclenchement de la crise aurait désormais été presque totalement effacé, bien que la crise elle-même n’ait pas encore connu d’épilogue.

Il y aurait donc une anomalie persistante, pour que le prix moyen s’écarte à ce point de sa fourchette d’évolution historique (plus de 60% de distorsion, selon les courbes de Friggit).

Une bulle ?

La note du CAS rappelle que le prix des immeubles dépend de plusieurs facteurs : la valeur foncière, le coût de construction et la rareté relative des biens. Au vu des gains de productivité importants dans le secteur du bâtiment, le coût de la construction n’est que très partiellement responsable de la hausse, à la nuance près que l’évolution réglementaire impose des normes qui alourdissent la facture.

Si bien que les comparaisons de prix dans le long terme doivent intégrer le facteur qualitatif : les éléments de confort des logements contemporains ne sont absolument pas comparables à ceux qui prévalaient voilà encore trente ans. On a vu que la rareté relative n’était pas en cause : au contraire, le parc de logements s’est accru dans des proportions plus importantes que la population.

Mais depuis lors, il faut tout de même observer que la structure de la demande a évolué, notamment avec la multiplication des familles éclatées. En tout cas, le foncier concentre la rente de rareté : le phénomène est aisément perceptible dans le centre des villes, où l’on construit peu mais où le prix de l’ancien évolue (au moins) autant que celui du neuf en périphérie.

Tant que la vie urbaine demeurera convoitée (ce qui pourrait ne pas durer…), la rente foncière restera le premier critère objectif de la formation du prix.

Mais un facteur semble plus déterminant encore : les conditions de financement. L’appétence pour la propriété étant forte, les ménages exploitent tous les moyens possibles pour y accéder : l’allongement considérable de la durée des emprunts a ainsi permis de rendre solvables bon nombre de candidats (les durées de 25 à 30 ans sont désormais largement majoritaires).

Et dans le même temps, nous avons traversé une longue période de taux d’intérêt historiquement faibles. Renforcée par la politique des banques, qui acceptent de prêter sur la base de marges insignifiantes : le crédit immobilier permet en effet de capturer un client pour une très longue période. Les prêts en cause étant éligibles au refinancement hypothécaire, de tels concours ne pèsent pas très lourd dans la balance de leurs engagements. Tant que le refinancement se fait à des conditions exceptionnellement basses, bien entendu : si la BCE poursuit le relèvement de ses taux, la situation deviendra difficile, tant pour les encours existants que pour les nouveaux financements. Une telle perspective devenant désormais probable, il est permis de penser que ces facteurs techniques de pression sur les prix vont disparaître.

Peut-on pour autant conclure avec le CAS qu’une bulle s’est formée sur le marché et qu’elle est mûre pour l’explosion ? Outre les particularités du financement, des facteurs objectifs (forte baisse des rendements locatifs, éviction d’un grand nombre de candidats à l’accession, forte distorsion des prix avec l’indice de la construction) plaident en ce sens.

Mais il ne faut pas négliger le contexte épineux de la conjoncture : nombreux sont ceux qui craignent de graves désordres monétaires – avec des arguments défendables. Si les monnaies devaient dépérir, mieux vaudrait alors détenir des immeubles grevés de dettes que de la rente d’Etat payée comptant. Si bien que nous pourrions aujourd’hui être en présence d’une vraie… fausse bulle.

Par Jean-Jacques JUGIE

deconnecte